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À trop traquer la paille de l'islam politique, on a fini par ne pas voir la poutre de notre islamophobie.
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Pendant le débat sur la Charte des valeurs du Parti québécois, on parlait de l'envahissement de l'islam politique au Québec. Bernard Drainville a utilisé cet argument. Fatima Houda-Pépin a pour sa part prétendu que l'Arabie saoudite subventionnait les mosquées du Québec pour qu'on y enseigne le salafisme (une variante radicale de la religion sunnite prônant le retour à des mœurs issues de l'époque de Mahomet).

À entendre tout cela, relayé par des chroniqueurs comme Mathieu Bock-Côté, Richard Martineau et ceux des radios-poubelles de Québec, plusieurs Québécois ont développé une mentalité d'assiégés. Cela a favorisé la peur de l'autre, la haine de l'immigrant arabe et la détestation de l'islam. J'omets ici de discuter des féministes, des LGBT, des républicains, des athées et des évolutionnistes qui se sont montrés pour la charte du PQ et contre l'expression du religieux dans les institutions de l'État. Ceux-ci n'ont rien à voir avec le discours national-populiste véhiculé par certaines élites politiques, intellectuelles et médiatiques.

Laïcité et sécularisation

S'il faut déplorer la réapparition d'anciens rapports hommes-femmes qui vont de pair avec le salafisme conçu comme une religion, cela concerne les mœurs et relève d'un débat de société. Cela ne concerne pas la laïcité de l'État, mais bien la sécularisation de la société. L'État n'a pas à légiférer sur les mœurs éthico-religieuses des uns et des autres. S'il le fait, il cesse d'être laïque, car il fait alors de la laïcité une «religion», au sens où il prend parti à l'égard du religieux et prône l'émancipation de la religion au sein de la société.

L'État peut certes mettre en place des mesures institutionnelles pour favoriser l'égalité des hommes et des femmes et doit s'opposer à l'instauration de la charia, mais il n'a pas à intervenir dans les chambres à coucher, dans les cuisines et dans les garde-robes des gens. Ces lieux sont aussi des lieux politiques, mais ils relèvent de la politique à l'échelle sociétale, et non gouvernementale.

La paille et la poutre

Pendant qu'on attendait, sous les avertissements de nos prophètes de malheur, l'apparition d'un mouvement politique djihadiste prônant l'instauration de la charia, on n'apercevait pas qu'était en train de s'immiscer dans les consciences une posture politique islamophobe, présente un peu partout à travers le monde depuis septembre 2001. On attend encore l'arrivée d'un mouvement islamiste politique, mais les groupuscules politiques anti-musulmans, anti-arabes ou anti immigration pullulent et sont pour leur part déjà bel et bien implantés (Pegida Québec, Fédération des Québécois de souche, La Meute).

Y a-t-il une seule once de djihadisme salafiste dans le sourire de cet homme, de ce héros qu'est Azzedine Soufiane, propriétaire de la boucherie Assalam? La mosquée de Québec est-elle un repaire de djihadistes? Avez-vous vu la réaction des porte-parole de la communauté musulmane de Québec? N'ont-ils pas démontré qu'ils se sentaient membres à part entière de la société québécoise?

À trop traquer la paille de l'islam politique, on a fini par ne pas voir la poutre de notre islamophobie.

L'islamophobie

On a dit combien de fois que la peur de l'autre, l'intolérance et l'annonce d'un envahissement imminent de l'islamisme politique, présents dans le discours de certains chroniqueurs et politiciens, constituaient un danger pouvant conduire à de la violence? On l'a dit combien de fois?

On a dit combien de fois que la violence perpétrée dans certains pays arabes à l'encontre des femmes ne devait pas servir d'exemple pour comprendre la situation des femmes musulmanes québécoises?

On a dit combien de fois que le modèle français provenait d'une autre culture et n'avait pas lieu d'être importé ici?

On a dit combien de fois que l'on n'avait pas à tendre le micro aux Pineault-Caron de ce monde qui véhiculent des propos trahissant leur ignorance?

Malgré ces avertissements répétés, certains ont soufflé sur les braises. L'islamisme politique n'est jamais venu et l'islamophobie s'est installée.

Un examen de conscience

Le maire de Québec, Régis Labeaume, ne comprend pas comment la tuerie du dimanche 29 janvier 2017 a pu avoir lieu. Mais un climat s'est lentement installé, allant des radios-poubelles jusqu'à Donald Trump. Ce climat a fini par prendre racine et à avoir une certaine emprise au sein de la population. Il ne fallait plus ensuite qu'un esprit dérangé pour se laisser guider par une frénésie insensée et pour poser un acte terroriste tragique. Il faut que des voix s'élèvent pour contrer le discours populiste des radios poubelles, M. Labeaume, même si cela risque de rendre moins populaires les politiciens qui leur tiennent tête!

Va quand même falloir réfléchir à ça. Il y a l'islamophobie qui s'installe partout dans le monde depuis le 11 septembre 2001. Il y a l'élection de Donald Trump avec ses déclarations fracassantes et incendiaires. Il y a une immigration maghrébine importante au Québec. Il y a un discours politique qui exploite l'insécurité identitaire des citoyens. Il y a l'atomisation de la société. Il y a les réseaux sociaux qui transforment l'Autre en une réalité virtuelle. Puis il y a les radios poubelles. Ces divers facteurs n'expliquent pas tout, mais ils ont créé des conditions favorables à l'apparition chez nous d'un terrorisme anti-musulman.

Notre questionnement identitaire

Plus profondément encore, il y a notre propre questionnement identitaire. Les peuples ayant des États souverains interrogent leur propre identité par rapport à l'immigration. C'est évidemment encore plus vrai dans une société comme le Québec.

En tant que peuple sans État souverain qui n'est même pas reconnu dans la constitution du Canada, on se croit toujours victime et jamais bourreau. On pense alors avoir toujours raison. Francine Pelletier a bien identifié le problème lorsqu'elle écrit : «Comme les Juifs d'Israël, nous sommes non seulement des survivants, mais des miraculés de l'Histoire. Contre toute attente -- la conquête, la domination anglaise, la pauvreté... -- nous sommes toujours là. Un petit village gaulois qui résiste. Le sentiment d'être les « bons », jamais les « méchants », quelle que soit l'histoire que nous vivons, vient en partie de là : nous sommes ceux à qui on veut faire du mal, pas le contraire.» («Sortir de l'angélisme», Le Devoir, 1er février 2017)

Le problème n'est pas d'être nationaliste. Le problème est de ne pas respecter les minorités. Il y a les nationalistes conservateurs. Il y a les nationalistes qui veulent faire front commun avec les nationalistes conservateurs pour venir à bout de l'État canadien. Puis il y a les anciens nationalistes de gauche qui ont depuis longtemps retourné leur veste et ne sont plus de gauche, le seul enjeu étant pour eux la question nationale. L'erreur communément partagée par ces différents types de nationalistes est justement d'être des hommes et des femmes d'une seule cause. Le problème est d'être indifférents à l'égard des droits minoritaires et d'être trop complaisants à l'égard du nationalisme conservateur. Or, comme à QS, il faut être nationaliste libéral, féministe, environnementaliste, internationaliste et de gauche, tout en défendant les droits minoritaires (Anglo-Québécois, autochtone et communautés issues de l'immigration).

Le débat sur l'identité a tout lieu d'être. La question nationale est une vraie question. Le problème est seulement le repli identitaire et la défense d'une laïcité stricte. Le problème est aussi d'entretenir la menace de l'islamisme politique et de ne se fier qu'aux nationalistes conservateurs.

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