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Marcel Masse et nos misères démographiques et linguistiques au référendum de 1995

Le récent décès de Marcel Masse m'a ramené à une courte période de ma carrière dans la fonction publique du Québec. Elle commence avec la nomination de M. Masse au poste de président du Conseil de la langue française, en 1995, et se termine abruptement, à peine un peu plus de 100 jours plus tard par sa démission inattendue.
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Le récent décès de Marcel Masse m'a ramené à une courte période de ma carrière dans la fonction publique du Québec. Elle commence avec la nomination de M. Masse au poste de président du Conseil de la langue française (19 juin 1995), et se termine abruptement, à peine un peu plus de 100 jours plus tard (4 oct. 1995), par sa démission inattendue.

Peu avant son arrivée au Conseil, Marcel Masse avait d'abord présidé la Commission de Montréal sur l'avenir du Québec, pour devenir ensuite l'un des vice-présidents de la Commission nationale sur l'avenir du Québec. Ces commissions ont été tenues, parmi plusieurs autres, en préparation du référendum de 1995.

L'arrivée de M. Masse au Conseil où je travaillais déjà depuis 15 ans ne pouvait que me ramener au Rapport de la Commission nationale sur l'avenir du Québec publié deux mois plus tôt (avril 1995). En effet, il était fortement imprégné par des questions démographiques et linguistiques relevant de ma tâche de travail.

Nos difficultés démographiques en 1995

Les aspects démographiques et linguistiques abordés dans le Rapport de la Commission nationale étaient fondés et très pertinents. Montréal y trouvait une place centrale :

«La Commission de Montréal a fait état de la situation fragile de la langue française dans la métropole [...]. Montréal constitue la porte d'entrée naturelle pour les immigrants [...]. C'est donc à Montréal, à ses institutions, à son réseau scolaire et à ses entreprises que revient la responsabilité d'intégrer harmonieusement les nouveaux arrivants à la société québécoise, à sa langue et à sa culture» (p. 19).

À propos du contexte démographique montréalais, le Rapport ajoutait aussitôt ce qui suit :

«À Montréal [...] la dénatalité et l'exode des jeunes ménages francophones vers les banlieues posent de sérieux problèmes à l'intégration des nouveaux arrivants. Langue continentale de l'Amérique du Nord et gage de mobilité, l'anglais continue d'exercer sur eux une grande attraction. Nonobstant les gains obtenus depuis l'adoption de la Charte de la langue française en 1977, la proportion de ceux qui utilisent le français comme langue d'usage diminue progressivement sur l'Île de Montréal [...]» (p. 20).

Tirant profit de projections démographiques (1) parues à la fin des années 80, le Rapport précisait que :

«bien que trois recensements consécutifs (1976, 1981 et 1986) montraient une stabilisation du groupe francophone autour de 60%, tous les scénarios [...] conduisaient à une diminution de la portion des francophones. Le recensement de 1991 a confirmé qu'il y avait bien depuis la fin des années 80 un déclin. Ce déclin est même plus important que prévu» (p. 52).

Devant ces projections, la Commission nationale proposait quelques mesures nécessaires au redressement. Elle témoignait ainsi de l'insuffisance de certaines politiques de l'époque :

«Selon plusieurs témoignages [on souhaite] intégrer à la culture et à la vie du Québec [les communautés culturelles]. Pour y parvenir, l'État doit soutenir les immigrants, en leur fournissant les outils indispensables à leur intégration, tout particulièrement les services qui concernent l'apprentissage de la langue française et l'initiation à la culture [et à] l'histoire du Québec» (p. 22).

Une commande de M. Marcel Masse

Tard en septembre 1995, Marcel Masse m'a commandé une note informelle où je devais brièvement livrer mon «point de vue sur les conséquences éventuelles de l'indépendance du Québec sur la situation démolinguistique à Montréal».

Au centième jour de sa présidence (27 septembre 1995), je lui remettais quelques feuillets où les avantages d'une éventuelle indépendance politique apparaissaient plutôt ténus (2). Ne concernant que l'immigration internationale, et à la condition expresse que le « nouvel État adopte des politiques et des mesures précises», l'essentiel se ramenait à ce qui suit :

  • Un Québec souverain «pourrait sélectionner tous ses immigrants plutôt que [les] seuls immigrants indépendants»
  • Après l'indépendance politique, «le gouvernement du Québec pourrait fixer ses niveaux annuels [d'immigration] sans tenir compte de ceux [...] du Canada»
  • «[U]n Québec indépendant devrait mieux retenir ses immigrants, car ceux-ci auront sciemment choisi le nouveau pays plutôt que le Canada»
  • Accueillis exclusivement en français, les nouveaux immigrants verraient mieux le caractère francophone du nouveau pays «qu'une province ne peut le faire au sein d'un pays officiellement bilingue».

Cependant, une fois ces quelques avantages énoncés, j'affirmais sans ambages que « la souveraineté ne pourrait être la panacée à tous nos problèmes démographiques ». J'ai développé trois grandes dimensions qui se ramènent à ce qui suit :

  • «[S]ouveraineté ou pas, le Québec ne peut faire l'économie d'une politique globale de population qui comprendrait une politique familiale aidant les couples à avoir les enfants qu'ils désirent (environ 2 par couple)»
  • «[L]a souveraineté ne saurait en elle-même aider à régionaliser l'immigration ; [...] il faudra toutefois que les régions se développent économiquement pour d'abord retenir leurs jeunes avant d'espérer attirer des immigrants»
  • «[L]a souveraineté ne pourra en elle-même modifier la composition linguistique des migrations de l'île [de Montréal] vers les banlieues ; [faudra revoir certaines] politiques qui ont pour résultante indirecte de favoriser l'étalement [urbain]».

Le Québec tourne en rond

Ce mémo n'a pas eu de suite au Conseil de la langue française, car une semaine après l'avoir remis, Marcel Masse démissionnait de la présidence pour participer en toute liberté à la campagne référendaire. Il n'a d'ailleurs pas servi à la campagne référendaire, tant s'en faut.

Cependant, le mémo témoigne de notre situation démographique et linguistique des deux dernières décennies. En effet, est-il nécessaire de démontrer que, 20 ans plus tard, le Québec en est toujours au même point, indépendance politique ou non? De nombreuses études en témoignent.

(1) Nouvelles tendances démolinguistiques dans l'Île de Montréal, Conseil de la langue française, 1989

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