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L'anglais au Québec : Un gros mensonge encore tenace après 35 ans de loi 101

M. Stephen A. Jarislowsky, président d'une «société agréée de conseillers en placements», a fait récemment quelques semonces aux Québécois francophones: réfractaires à l'anglais, ils s'isoleraient de l'humanité toute entière. Le 21 septembre 2012, il dénonçait un Québec voulant «supprimer l'anglais pour que le français puisse survivre» et «maintenir le peuple dans l'ignorance». Il affirmait que «nulle part ailleurs sur Terre, l'apprentissage de l'anglais n'est découragé».
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M. Stephen A. Jarislowsky, président d'une «société agréée de conseillers en placements», a fait récemment quelques semonces aux Québécois francophones: réfractaires à l'anglais, ils s'isoleraient de l'humanité toute entière. Le 21 septembre 2012, il dénonçait un Québec voulant «supprimer l'anglais pour que le français puisse survivre» et «maintenir le peuple dans l'ignorance». Il affirmait que «nulle part ailleurs sur Terre, l'apprentissage de l'anglais n'est découragé».

Comme si cela n'était pas assez, il en rajoutait le 9 octobre dernier en posant la question suivante: «Est-ce que le fait de connaître l'anglais est un désavantage pour un francophone?» Et pour faire bonne mesure, il affirme: «Je veux bien défendre le français, mais pas l'exclusion de la langue mondiale», l'anglais.

Le réchauffé de M. Jarislowsky

Il n'y a là rien de nouveau. Au contraire, on croirait revenir aux vieux débats linguistiques des années 1970. Puisqu'il le faut, rappelons quelques phrases tirées d'un texte que j'ai fait paraître dans le Bulletin d'histoire politique en 2009. Elles montrent que M. Jarislowsky a tout faux depuis 35 ans:

«On se rappellera que [...] les opposants au principe même d'une politique linguistique ont cherché à discréditer ces lois [lois 22 et 101] en déformant les intentions gouvernementales. Accusés de fermeture sur eux-mêmes, les francophones ont été montrés du doigt comme voulant retrouver l'unilinguisme français, réel ou supposé, de leurs ancêtres.

Devant l'Association des manufacturiers canadiens, M. Laurin [parrain de la loi 101], s'exprimait on ne peut plus clairement (2 mai 1977): «certains détracteurs de notre politique veulent [la] caricaturer sous l'image d'un repli sur soi, d'un unilinguisme qui [nous] couperait du reste de l'Amérique du Nord. Rien n'est plus faux, car tel n'est pas du tout notre intention» (Le français, langue du Québec, 1977, p. 48).

Mais la caricature a duré et dure encore. [...] Plus de 30 ans après l'adoption de la loi 101, d'aucuns cherchent encore à culpabiliser la majorité francophone du Québec relativement à la question linguistique. Souvent avec succès.»

Or, les recensements canadiens ont montré que le bilinguisme chez les francophones du Québec (p. 33-41) a continué à augmenter après la loi 101. Camille Laurin a donc vu juste: sa politique linguistique n'a pas été perçue comme une invitation à l'unilinguisme français. Mieux encore, on a même observé une grande ouverture à l'apprentissage de l'espagnol (p. 44-53), seule langue tierce au Québec qui soit connue à travers tout le territoire, et plus particulièrement chez les francophones.

Un effet pervers chez les francophones bilingues

Hélas, trop insister sur le bilinguisme individuel a eu des effets pervers. En effet. de nombreux francophones s'expriment en anglais devant des personnes qui, bien que parlant français, se distinguent par certains traits physiques, par leurs vêtements ou par un accent quelconque. Dans mon billet du 30 mars 2012, j'ai fait de ce comportement, aux allures de profilage, un «cheval de Troie».

En mai 2004, j'ai témoigné de mes propres observations à cet égard. Voici l'une d'elles:

«Dans un commerce du boulevard René-Lévesque à Québec, à quelques rues de l'Assemblée nationale, un caissier demande en anglais à un couple visiblement immigré: 'do you speak English'? Le jeune garçon qui les accompagnait lui explique, dans un très bon français, qu'il accompagne ses parents pour traduire dans leur langue d'origine. Mon sang n'a fait qu'un tour quand j'ai entendu le caissier persister à ne parler qu'en anglais à cet écolier que la loi 101 a pourtant dirigé à l'école française. Comme l'écolier ne comprenait rien, le caissier s'est finalement résigné à lui parler dans la langue officielle du Québec!»

Psychiatre, Camille Laurin voyait dans sa politique linguistique une thérapie de choc qui amènerait les francophones à plus d'estime envers leur propre langue. Trente-cinq ans plus tard, il serait déçu de constater que de trop nombreux francophones bilingues donnent encore priorité à l'anglais dans leur vie publique, très souvent sans aucune nécessité.

Le dos large de la mondialisation

La connaissance de l'anglais serait absolument nécessaire parce qu'elle serait à jamais, selon M. Jarislowsky, la seule langue internationale des affaires. Sans détour, je pose la question suivante: pourrait-on identifier une seule entreprise du Québec qui aurait raté un important contrat d'affaires avec l'extérieur pour la seule raison qu'elle n'aurait pas trouvé des négociateurs s'exprimant en anglais?

Ne cherchons pas cette pauvre entreprise, car elle n'existe pas. Comme le Québec compte au moins 3,3 millions de personnes sachant parler l'anglais (p. 38) - parmi lesquelles la minorité anglophone toute entière -, on ne manquera jamais de ressources humaines pour négocier des contrats avec l'étranger, même si nous devions le faire exclusivement en anglais. Et si jamais le Québec venait à manquer de négociateurs anglophones, il n'aurait qu'à solliciter nos cousins francophones des autres provinces canadiennes qui parlent presque tous l'anglais, jusqu'à élever, pour une bonne part, leurs enfants dans cette langue.

Ce jour-là n'arrivera jamais, car l'apprentissage de l'anglais au Québec se poursuit toujours, notamment chez les francophones. Ne dit-on pas: «le français s'apprend, l'anglais s'attrape»? L'offre d'anglais excédera toujours la demande, d'autant plus que tous les employés d'une entreprise québécoise faisant de l'import-export, n'ont pas à faire usage de l'anglais.

Fragments biographiques relatifs à l'anglais

J'ai fait une partie de mes études universitaires en démographie à l'Université de Pennsylvanie, j'ai enseigné à l'Université Bishop's, ma fille est professeur d'anglais au collégial, mon fils a travaillé à Whisler et Ottawa, ma compagne est de langue maternelle allemande, ses deux filles sont traductrices, nous comptons plusieurs amis de langues maternelles diverses nés à l'extérieur du Québec.

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