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La loi 101 jusqu'au cégep: la langue oui, mais la culture et la cohésion sociale aussi

La culture, la cohésion sociale, voilà deux grandes oubliées dans le débat entourant la langue d'enseignement au collégial. Je constate une fois encore qu'au Québec, la question linguistique est un gros arbre qui cache bien d'autres dimensions de vie en société. Dans le cas particulier de l'intégration des immigrants, croire qu'il suffit de leur faire apprendre quelques rudiments de français pour les laisser à leur sort ensuite est un leurre.
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Le débat portant sur l'extension de la Charte de la langue française (loi 101) au-delà des études secondaires couve depuis bien longtemps au Québec. Lors des élections générales de 2012, le Parti québécois et Option nationale s'entendaient sur la nécessité de restreindre l'admissibilité aux cégeps anglophones, ce que Québec solidaire récusait. Sans doute parce que le gouvernement Marois est minoritaire, le projet de loi 14, actuellement à l'étude, garde intacte la pleine liberté de choix de la langue d'enseignement au collégial.

Le cégep en lui-même

Lors de la récente course à la direction du Parti libéral du Québec, cette question aurait pu être tranchée indirectement. En effet, le candidat Pierre Moreau, arrivé deuxième, avait mis en doute la pertinence même de ce niveau d'enseignement. La réponse de David Desjardins, chroniqueur au Devoir, bien que sans allusion aucune à la langue d'enseignement, nous y conduit de belle façon.

De la chronique de David Desjardins, je retiens ces deux paragraphes qui ont l'heur de répondre coup sur coup à Pierre Moreau et au gagnant de la course, Philippe Couillard :

Au secondaire et au primaire, on [...] apprend [...] le monde: quels sont ses contours, comment le nommer, l'écrire et le compter. On marche à quatre pattes dans un univers où tout ramène invariablement à son nombril, à des envies qui sont programmées par les parents, la culture ambiante, les amis, la télé et l'ordi, toutes frelatées par un égoïsme enfantin. À l'université? On est déjà dans la spécialisation, dans une machine à fabriquer des professionnels, tournée vers l'emploi.

Pour plusieurs, le cégep sera l'unique occasion de sortir d'une vie moulée par cette logique du monde du travail, de l'utilitarisme et de la consommation. C'est pour cela que, plus navrant encore que la suggestion de Moreau, il y a la réponse par laquelle Le Bon Docteur Couillard (marque déposée) a rapidement mis le couvercle sur le débat: les cégeps sont d'importants leviers économiques pour les régions. Point.

Au nouveau chef du PLQ, M. Desjardins rappelle que «le cégep répond à une autre exigence que celle de fabriquer des travailleurs ou de créer de l'emploi en région : celle de former [...] des citoyens». Et à ceux qui doutent de la pertinence des cégeps, il précise qu'en «quelques cours de français et de philosophie, on tente de donner à des enfants les outils pour réfléchir à leur condition, pour apprendre à douter de tout, et surtout d'eux-mêmes».

Bref, les études collégiales ne sont pas qu'une étape ordinaire, voire «en trop», dans notre système d'éducation. C'est plutôt un moment privilégié dans la formation de citoyens responsables. Revoir la question sous l'angle de la langue d'enseignement en rajoute davantage.

Le cégep en français

En défendant la pertinence des cégeps comme il l'a fait, David Desjardins m'a ramené à un texte de Charles Gill. Ce dernier soutient que des études collégiales en français, notamment pour les écoliers de la loi 101, sont incontournables pour «diffuser un ciment culturel, un dénominateur commun par lequel nous [pourrions] arriver à nous comprendre, à échanger».

Ce «ciment culturel» et ce «dénominateur commun», M. Gill les voit dans le programme de littérature au cégep. En effet, la formation en littérature dans les cégeps consiste à «analyser des textes littéraires», à «expliquer les représentations du monde» et à «apprécier des textes de la littérature québécoise». J'ajoute la création littéraire.

Or, la grande majorité des jeunes ne feront de la littérature qu'au cégep. Ainsi, pour les enfants de la loi 101 scolarisés en français au primaire et au secondaire, comme pour les francophones nés ici, cette étape sera perdue, peut-être à jamais, pour tous ceux qui s'inscrivent dans un cégep où l'enseignement se donne en anglais.

D'où cette question de Charles Gill: «Où donc les étudiants du collégial apprendront-ils l'histoire du Québec et les œuvres littéraires fondatrices de son identité si ce n'est dans ce cours, lequel s'insère dans un programme qui prépare l'étudiant à en saisir toute la splendeur?». A fortiori lorsqu'on aura enfin enrichi le trop faible programme d'enseignement en histoire au collégial.

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Puisque nous sommes toujours insatisfaits des résultats de la francisation après 35 ans de loi 101, nous en sommes venus à ne plus voir la dimension culturelle de l'intégration des immigrants. Pour plusieurs, sinon pour la majorité, le libre accès au cégep de langue anglaise pour tous n'est qu'une affaire de langue. Le cégep ne serait, dans leur esprit, qu'une autre institution pour y apprendre l'anglais. À mon avis, apprendre l'anglais au cégep, c'est trop tard, car comment étudier les sciences, la philosophie ou les mathématiques de niveau collégial dans une langue que l'on ne maitrise pas déjà?

Échos en Commission parlementaire

La dimension culturelle abordée par Charles Gill a trouvé un écho à la Commission parlementaire chargée de faire l'examen du projet de loi 14. Le 14 mars 2013, Catherine Dorion a fait état des témoignages qu'elle a reçus lors d'un documentaire qu'elle a réalisé auprès d'immigrants déjà bien intégrés à la société québécoise. La majorité d'entre eux, affirme-t-elle, auraient admis avoir commencé à s'intéresser à la culture du Québec au cégep:

«Au cégep, [on devient] un citoyen, c'est vraiment le passage où on rencontre les gens avec qui on va travailler plus tard, on devient un travailleur, un citoyen». Ces immigrants affirment avoir «rencontré dans les cégeps francophones des Québécois francophones qui leur ont transmis, fait partager leur culture ; [...] leur préjugé s'est défait, s'est étiolé petit à petit.» Ces immigrants sont devenus «des ponts entre deux communautés», la leur «pleine de préjugés», et celles des francophones «qui ne connaissaient pas les immigrants, pleins de préjugés» aussi. Ils ont aidé à la «cohésion sociale [...] au Québec».

La culture, la cohésion sociale, voilà deux grandes oubliées dans le débat entourant la langue d'enseignement au collégial. Je constate une fois encore qu'au Québec, la question linguistique est un gros arbre qui cache bien d'autres dimensions de vie en société. Dans le cas particulier de l'intégration des immigrants, croire qu'il suffit de leur faire apprendre quelques rudiments de français pour les laisser à leur sort ensuite est un leurre. Le grand témoignage lucide et sans détour de Longpré - Québec cherche Québécois pour relation à long terme et plus - l'illustre très clairement. J'y reviendrai.

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La Loi 101 au Québec

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