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Francisation des immigrants: les propositions de la CAQ à la loupe

La Coalition avenir Québec a confié à sa porte-parole sur la langue française, Claire Samson, la députée d'Iberville, le mandat de formuler quelques propositions «pour mieux réussir la francisation des néo-québécois».
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La Coalition avenir Québec (CAQ) a confié à sa porte-parole sur la langue française, Claire Samson, la députée d'Iberville, le mandat de formuler quelques propositions «pour mieux réussir la francisation des néo-québécois».

Dans le «message» qu'elle adresse au lecteur dans Une langue commune à tous et pour tous, la députée aborde sans ambages la question de l'intégration en français des immigrants internationaux : «Un coup de barre doit être donné pour consolider la position du français au Québec comme langue commune, en commençant par l'amélioration des mesures visant à faciliter son apprentissage par ceux et celles qui choisissent de venir vivre ici» (p. 3).

À l'instar de Tania Longpré et moi-même, elle constate «[l]'augmentation drastique des seuils d'immigration [de pair avec] une réduction des ressources consacrées à la francisation». Ce paradoxe l'amène à déclarer d'abord que «l'accès à la francisation devrait être un droit pour tous les immigrants», et à affirmer ensuite que le gouvernement du Québec a le devoir d'assurer leur francisation, un «service essentiel pour notre société» (p. 3).

Je reconnais dans ces propos le «contrat moral» du gouvernement Bourassa de 1990 formulé autrement. Hélas, il ne suffira pas d'«un énoncé solennel» et d'«une pièce législative fondatrice [comparable à] la Charte de la langue française» (p. 4) pour que les ressources financières soient au rendez-vous, et pour que des dizaines de milliers d'immigrants se mettent résolument à l'apprentissage du français.

Comme l'a bien montré Éric Poirier dans un imposant ouvrage juridique paru récemment, malgré toute la solennité que Camille Laurin a donnée à la loi 101 en 1977 (p. 167) - justement appelée Charte à cette fin -, elle n'était, devant les tribunaux, qu'une loi ordinaire (p. 23). Contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'interprétation de la Loi 101 ne se trouvait pas dans son libellé «ni même dans l'intention de ses concepteurs» (p. 81). Au contraire, c'est «un principe du droit pris dans son ensemble» qui a primé (p. 96).

Des ressources additionnelles

Consciente que la solennité d'une nouvelle loi ne suffira pas, Mme Samson y va de quelques recommandations concrètes. À propos des ressources financières, «la CAQ propose d'offrir 200 $ par semaine pour chaque nouvel arrivant» qui s'engagerait à plein temps, de manière assidue, à des cours de français obligatoires. Il s'agirait d'une augmentation de 80 $ par semaine. En outre, la durée de «la formation devrait pouvoir s'échelonner [de 32] jusqu'à 72 semaines» (p. 9).

Le rapport Samson ne présente aucune estimation des coûts supplémentaires inhérents à cette suggestion. On peut toutefois livrer quelques ordres de grandeur, en considérant la période quinquennale 2006-2011 où nous avons accueilli en moyenne 47 700 immigrants par année. Parmi ses immigrants, environ 35 800 étaient des adultes, dont 11 200 n'avaient aucune connaissance du français à leur arrivée.

Si l'on avait appliqué, dès cette époque, la proposition de la CAQ, l'État aurait dû verser un montant global en allocation hebdomadaire de 53 millions pour couvrir les 32 premières semaines. Or, en allongeant la période d'apprentissage jusqu'à 52 semaines (médiane entre 32 et 72), ce sont 142 millions qu'il aurait fallu prévoir. C'est presque 2,5 fois les montants annuels dépensés par le ministère au chapitre de la francisation.

Nos calculs basés sur 40 000 immigrants par année, comme le propose la CAQ, montrent tout de même des coûts de 117 millions (deux fois le budget de francisation). Encore faudrait-il tenir compte également de l'embauche de nouveaux professeurs et de tout ce qui en découle (locaux, équipement, personnel de soutien, etc.). Sans compter l'ouverture de nouvelles places en garderies ou de «frais de garde durant les cours» que propose aussi la CAQ (p. 9).

Qui fait quoi ?

Le rapport de la CAQ dénonce, fort à propos, «l'existence de deux programmes de francisation complètement distincts, l'un offert par le ministère de l'Immigration et l'autre par le ministère de l'Éducation» (p. 5). Un guichet unique s'impose donc naturellement (p. 6).

Que l'OQLF soit délesté de quelques fonctions qui le placent en «conflit d'intérêts» irait de soi

Puisque «le ministère de l'Immigration [...] s'est progressivement délesté de ses responsabilités [...] de formation linguistique» (p. 5), il serait tout naturel de les lui retirer. Curieusement, la CAQ propose plutôt de créer un ministère de l'Immigration et de la Francisation (MIF) ! Ainsi, ce nouveau ministère deviendrait responsable de l'application de la Charte de la langue française (p. 6), faisant de l'Office québécois de la langue française (OQLF) un organisme placé sous sa tutelle (p. 7).

Que l'OQLF soit délesté de quelques fonctions qui le placent en «conflit d'intérêts» (p. 7) irait de soi. C'est le cas du Comité de suivi de la situation linguistique, une fonction qui devrait retourner au Conseil supérieur de la langue française (CSLF) comme avant 2002.

Cependant, la responsabilité d'enseigner le français aux immigrants adultes devrait relever du ministère de l'Enseignement supérieur. L'Agence de francisation des immigrants adultes que j'ai déjà proposée, devrait relever de ce ministère où l'on trouve déjà de nombreux immigrants en formation linguistique dans des cégeps.

Pour un Commissaire de la langue française

La Coalition avenir Québec fait sienne une proposition qui circule depuis quelque temps : créer un poste de «Commissaire de la langue française [chargé] de recevoir les plaintes du public», de faire des recommandations au gouvernement, et d'«assurer le statut du français comme langue commune» dans les ministères et les organismes du gouvernement (p. 7).

Retirer à l'OQLF une fonction d'évaluation qui le met en conflit d'intérêts, et proposer la création d'un Commissaire de la langue française, nous conduit tout près des responsabilités du CSLF. Dès lors, au lieu d'abolir ce Conseil comme le suggère la CAQ (p. 7), vaudrait mieux lui attribuer les fonctions de commissariat en redéfinissant et en élargissant ses pouvoirs et ses devoirs.

En s'inspirant de la Loi sur les langues officielles du gouvernement fédéral qui a institué la fonction de Commissaire aux langues officielles du Canada, le nouveau CSLF pourrait recevoir les plaintes de la population québécoise. Les employés de l'État pourraient, en toute discrétion, dénoncer le «bilinguisme institutionnel [qui] continue de prévaloir» au sein de ministères et d'organismes québécois dont fait état le document de la CAQ (p. 12).

Pour que le prochain président du CSLF (ou Commissaire à la langue française du Québec) ait l'autorité nécessaire de recevoir toute plainte, de faire enquête et de s'inviter dans les institutions de l'État, il devra être nommé par l'Assemblée nationale plutôt que par le gouvernement.

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