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Du relativisme vestimentaire

Qu'est-ce qui, spontanément, caractérise le plus aisément une culture, une époque ou une civilisation, sinon que son mode vestimentaire spécifique? Les Grecs avaient leur chiton, les Romaines leur péplum, les Indiens leur sari, les Maghrébins leur djellaba.
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Qu'est-ce qui, spontanément, caractérise le plus aisément une culture, une époque ou une civilisation, sinon que son mode vestimentaire spécifique? Les Grecs avaient leur chiton, les Romaines leur péplum, l'aristocratie du grand Louis XIV, ses talons hauts à boucles et ses longues perruques bouclées, les Indiens leur sari, les Maghrébins leur djellaba ou encore les Cubains, leur guayabera.

Qu'en est-il ici, en ce Québec de la première partie du XXIe siècle, concernant la tenue vestimentaire? Il n'est probablement pas exagéré d'affirmer que les règles sont minimales et que toutes les tenues, ou presque, se donnent à voir. Nous vivrions une forme de relativisme, même en ce qui concerne nos tenues vestimentaires, tout à fait à l'image de la variabilité de nos idées, croyances, valeurs et finalités. Nous savons que Socrate et Platon avaient pourfendu le relativisme philosophique, en la personne des sophistes tels Protagoras, Gorgias ou Prodicos. Dans le dialogue du même nom, de Platon, Socrate croise le fer avec Protagoras et il est clair que Platon le présente tel un adversaire sérieux de son porte-parole privilégié et aussi qu'il éprouve un sérieux respect pour le personnage et ses idées. En quoi consiste ce relativisme protagoréen?

Selon le célèbre philosophe et rhéteur originaire d'Abdère, en Thrace orientale, l'expérience de connaissance humaine prend racine dans l'information que les sens nous livrent. Ceux-ci étant variables d'un individu à l'autre et, également, chez un même individu, d'un moment à l'autre de sa vie, il en résulte que la connaissance objective et universelle est impossible et, conséquemment, que toute représentation intellectuelle constitue une opinion relative aux individus, aux époques et aux lieux de cette bien petite planète.

Une courte promenade à la ville nous permet de réaliser que nos contemporains (es) fusionnent, en matière d'habillement, toutes les couleurs, textures, motifs, styles et qu'ils ne se souviennent pas trop des anciennes convenances et exigences liées aux évènements, aux circonstances et à ce qui, disons, leur conviendrait d'une manière optimale. Il n'est pas rare de voir un type, en été, se pointer dans un resto avec une paire de ''gougounes'', un short ''kamo'' et une chemise carrelée, par exemple, pas plus qu'il n'est rare de croiser sa fiancée portant une robe semi-longue, assortie de sandales Crocs. On voit de tout, ou presque, y compris des fusions de vêtements d'époques ou de styles considérés, il y a peu, comme hétérogènes. On s'habille désormais pour s'exprimer et se créer une identité, alors que naguère se vêtir correspondait au besoin d'afficher une position de classe ou le rattachement à une entité grégaire ou collective. La logique de l'individualisme hédoniste, bien décrite par le philosophe grenoblois Gilles Lipovetsky, a bel et bien cours dans le domaine de la tenue vestimentaire et des modes actuelles. Nous sommes donc dans le domaine du ''tout est possible'' y compris, parfois, l'improbable. Il y a plusieurs années, le chanteur texan Shawn Phillips se présentait dans de petites salles de spectacle québécoises, fourbi d'un costume de pompier volontaire étasunien!

Nous sommes donc plusieurs, j'imagine, à avoir été étonnés de voir le Québec médiatique se jeter sur la question de l'apparence vestimentaire de cette jeune récipiendaire de l'ADISQ, Safia Nolin. Elle n'est pas la première à avoir défié les anciennes apparences et codes vestimentaires périmés, pourtant! Que celle-ci veuille se servir de ce non-événement pour mousser ses ventes de disques, incarner la cause ''féministe'' ou pour défendre, une de plus ou une de moins, la liste interminable des victimes sociales de notre Belle Province, constitue un autre problème, à nos yeux.

Il y a quand même un bout de temps que les Québécois (es) ne respectent que tout à fait minimalement tout code vestimentaire, qu'ils se promènent parfois au cégep en pyjama (je l'ai vu de mes yeux!), qu'ils se présentent à un mariage en chemise de chasse, que les filles portent des robes ou des 'tops'' ultras minimalistes, mais accompagnés de ''gougounes'', d'espadrilles ou de ballerines. Et à contempler la kyrielle de jeunes artistes de la chanson, au Québec, il est facile de réaliser que tous les anciens canons ont à peu près foutu le camp!

Qu'en penser? Est-il vain de résister à la force entropique de l'esprit vestimentaire du temps? Cette espèce de dérèglementation, ce relativisme affirmions-nous, des styles et des normes vestimentaires comporterait au moins quelques bénéfices, notamment celui de libérer les carcans, de permettre à chacun d'y aller selon son imagination et à toutes les sortes de commerces de vendre leurs foutues fringues. Évidemment, selon une perspective différente, il faut presque dire adieu à ce que l'on nommait hier encore, l'élégance, ou à toute normativité esthétique inspirée des siècles précédents, ainsi qu'à toute idée de se soumettre à un quelconque code de couleurs, de textures, de formes, de styles, de circonstances et de contextes. Personnellement et comme plusieurs, j'ai une préférence pour le relativisme modéré et pour l'idée ''déradicalisée'' d'une certaine codification, consistant à tenir compte des contextes et de ce qui supposément nous avantage. Faut-il imaginer qu'en ce début d'automne, le Québec ne tenait pas tellement à parler davantage de l'espionnage des journalistes ou de la corruption à la SIQ et de l'attitude scandaleuse de son ex-présidente?

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