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Veuillez m'excuser, monsieur Couillard et madame Austérité

Viens dans ma classe Philippe. Toi aussi Yves. Asseyez-vous entre Camille et Simon. Expliquez-leur la société dans laquelle nous vivons. Vous allez voir, ils questionnent, ils critiquent et ils doutent. Ils ont même des idées; oui, oui, de vrais citoyens en devenir.
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Émile Zola accusait, moi je m'excuse. Qu'on me pardonne, mais il faut être de son temps, il faut penser à soi, d'abord; ce qui n'est pas une raison pour ne pas penser les autres, ensuite. S'excuser, c'est s'attaquer soi-même; je me provoque ainsi en duel et je l'accepte. On m'excusera à l'avance de me pardonner de m'excuser aux autres après coup, donc.

Honte à moi. Sur le continent de la rentabilité et des résultats, je suis apatride. Je suis orphelin de la statistique et de la performance. Qu'on m'acquitte d'être complètement inutile... une erreur existentielle. Je suis seulement professeur de cégep. D'histoire en plus. Imaginez! J'ai peine à me croire. « Il n'y a pas de sot métier » m'encouragerez-vous, je vous en remercie! Tout ce que j'enseigne ne sert strictement à rien. Voilà la triste vérité (ceci n'est pas un oxymore): des étudiants en sciences humaines assistent à mes cours et ça ne rapporte que dalle. «On ne répare pas un viaduc avec un concept de démocratie athénienne», m'enverront instantanément les plus futés d'entre vous. Bien vu! Excusez-moi d'avoir douté un moment de votre vive intelligence. Sans rancune.

Veuillez m'absoudre à l'avance de cette boutade malvenue: devant l'omniprésence du lieu commun de l'ignorance incestueuse, qu'on m'excuse d'inciter les étudiants au vice, au crime de lèse gouvernement. Je les pousse à devenir des êtres pensants, des esprits indépendants et critiques. Je réalise que je n'ai jamais enseigné comment éliminer le déficit et pourquoi il faut faire sa juste part. J'aurais dû. Mais je vous l'ai dit, ce que j'enseigne ne sert à rien, ou plutôt, ne sert rien. Servir vient du latin servire qui signifie «être esclave». Mon enseignement n'est ni maître ni esclave de quiconque. J'ai raison que je me dis, je suis cohérent que je me répète. C'est rassurant de s'entendre entre soi.

Viens dans ma classe Philippe. Toi aussi Yves. Asseyez-vous entre Camille et Simon. Expliquez-leur la société dans laquelle nous vivons. Vous allez voir, ils questionnent, ils critiquent et ils doutent. Ils ont même des idées; oui, oui, de vrais citoyens en devenir. Vous n'êtes pas habitués à cela, hein? C'est fatigant, hein?

Un jour, inspiré par Platon (Yves, tu devrais lire l'allégorie de la caverne) et le film La Matrice, j'ai posé la mise en situation fictive suivante à mes étudiants : Vous naissez à l'âge de 18 ans. Avant de poursuivre votre vie, vous devez absolument faire un choix: avaler la pilule bleue ou la pilule rouge.

En prenant la pilule bleue, vous allez vivre heureux jusqu'à 101 ans. Seul hic: vous ne comprendrez pas le monde qui vous entoure tel qu'il est. Vous vivrez paisiblement sans faire de vagues: vous mangerez, dormirez, rirez et profiterez de la vie sans jamais savoir que ce que vous vivez n'est pas réel. En contrepartie, en prenant la pilule rouge, vous comprendrez clairement le monde qui vous entoure. Cela vous poussera nécessairement à vous questionner constamment sur votre propre existence et sur celle des autres, ce qui amène son lot d'angoisses et de critiques. Pour balancer cette vie de clairvoyance, vous vivrez seulement jusqu'à 61 ans. Quelle pilule choisissez-vous?

Tous ont pris la pilule rouge.

Zola et moi, on a déjà hâte à demain. On s'en excuse encore.

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