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Un 25 janvier, place Tahrir

Le coup porte. Comment prétendre par exemple que le préhistorique système parlementaire canadien, qui permet à des extrémistes néo-Pierrafeu de diriger le pays sans opposition avec le tiers des votes populaires, pourrait sauver l'Égypte ? Est-ce que l'Europe émergera de ses propres crises?
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Quelques heures avant, l'avion qui m'amena vers Le Caire était si vide que j'avais senti le besoin de m'informer auprès du personnel d'Egypt Air. Pourquoi ? «Nous sommes le 25 janvier monsieur, me fis-je répondre. C'est le 3e anniversaire de la révolution. Et avec les bombes de la veille, beaucoup de gens ont annulé».

Quel timing en effet...

Et les raisons d'être inquiet sont réelles en Égypte, car le pays traverse une période des plus préoccupantes depuis juillet dernier, alors que l'armée et le désormais Maréchal Abdel Fattah Al Sisi, déposaient puis emprisonnaient Mohammed Morsi, président issu de la mouvance islamiste et accusé par ses détracteurs d'avoir été moins intéressé au développement social et économique de l'Égypte qu'à l'imposition graduelle de la loi islamique sur le pays.

Les grands titres internationaux sont clairs et forts. Coup d'État, retour de la poigne de fer, massacre, intense répression des opposants de gauche autant que des militants réels ou supposés des Frères musulmans. La réaction des alliés les plus radicaux de ces derniers est sanglante avec des assassinats d'abord ciblés, puis des attaques terroristes jusqu'en plein centre-ville du Caire (le dernier en date à la veille de mon arrivée!). De parts et d'autres, les déclarations guerrières annoncent le pire. Les terroristes veulent déstabiliser davantage en s'attaquant, notamment, aux intérêts financiers du régime dont le pipeline de gaz vers la Jordanie fournit des milliards de livres égyptiennes tant à l'État que directement à l'armée. Les généraux, affirmant qu'ils déracineront l'islam politique d'Égypte, n'annoncent rien de moins qu'une répression féroce qui créera beaucoup de morts du côté des opposants, toutes allégeances politiques confondues. Une période sombre s'ouvre pour l'Égypte.

Place Tahrir

Il nous fallut ce soir-là une volonté sans faille pour rejoindre, à contre-courant, le centre-ville. La route entre l'aéroport et Nasr City était parsemée de tanks, de fils barbelés et de soldats improvisant de nombreux barrages qui forcèrent autant de détours. Dans les quartiers populaires, l'armée cherchait à contrôler les foules, mais surtout, à empêcher les sympathisants des Frères musulmans de se regrouper et de « prendre une place » à partir de laquelle ils auraient pu orchestrer une confrontation. Au centre-ville, les autorités ont dû faire le compromis de laisser leurs propres partisans se rassembler à la place Tahrir avec les jeunesses révolutionnaires et toutes les classes populaires qui ont soutenu la révolution de 2011. Mais ce sont finalement des dizaines de milliers de personnes qui se sont présentées avec, comme résultat, plusieurs affrontements, parfois avec la police et souvent entre les manifestants. Le lendemain, les médias parleront de 50 décès et de plus de 250 blessés !

Marchant dans les dernières brumes des gaz lacrymogènes utilisés en fin de journée pour dissiper les masses, j'accompagne un groupe de personnes qui marquent, à leur façon, la révolution de 2011. Ils étaient alors là, à la place Tahrir, et c'est cette révolution qu'ils rêvent encore de défendre. Les propos ne sont pas nostalgiques, c'est du présent et du futur dont ont parle ici.

Tarek, qui dirige une station de radio communautaire du Caire, affirme tout de même : « Nous n'étions pas prêts à gouverner après Moubarak ni après Morsi. C'est pour ça que l'armée a eu le beau jeu de prendre les commandes maintenant. »

Et c'est là toute la question: l'armée au pouvoir, le maréchal qui deviendra, selon toutes vraisemblances, président dès le printemps, cette lutte acharnée qu'il livrera au « terrorisme » au sein duquel sont maintenant confondus toutes les oppositions et notamment tous les mouvements sociaux progressistes. Une violence attendue, possiblement provoquée, même, par les nouveaux pharaons... «Qu'adviendra-t-il de vos luttes?», me hasardai-je. Pourquoi avoir soutenu les militaires qui sont dans les faits les tenants de l'ancien régime ?

Le « beau risque » égyptien

L'étude de l'histoire des révolutions démontre qu'elles sont essentiellement des processus qui durent souvent plusieurs années. Les alliances politiques, y compris avec la population, se font et se défont. Les tournants de l'histoire ne sont pas toujours là où ils semblent être à premières vues. C'est Zyad, un vieux militant communiste qui, le premier, me répond : « Les Égyptiens ont choisi le moins pire des deux scénarios. En Égypte, la crise politique se nourrit d'une crise sociale profonde. Les gens sont sans emplois, sans services et sans ressources. Ils n'acceptaient plus comme seule réponse que la solution à leurs drames soit dans la soumission à l'islam. »

«Bien sûr, l'islam», dis-je. Mais comment faire confiance à l'exclusion et la répression érigées en système? N'y avait-il pas moyen d'investir dans le modèle démocratique qui était quand même en train d'émerger après les premières élections ?

C'est Asmaa, une porte-parole étudiante, qui intervient : «Quelle drôle d'idée que de croire que l'islam politique mène à la démocratie! Allez dire cela aux sept millions de Coptes d'Égypte!»

Et Tarek de reprendre : « Nous cherchons un système dans lequel on peut construire une société durable pour 80 millions d'Égyptiens. Les gens viennent ici des É.-U., d'Espagne, du Canada, de partout avec leurs inquiétudes. Moi je leur dis, pouvez-vous franchement prétendre que vos systèmes démocratiques fonctionnent ? Lequel nous conseillez-vous ? Lequel de vos systèmes vous permettra de sortir de la crise ? »

Le coup porte. Comment prétendre par exemple que le préhistorique système parlementaire canadien, qui permet à des extrémistes néo-Pierrafeu de diriger le pays sans opposition avec le tiers des votes populaires, pourrait sauver l'Égypte ? Est-ce que l'Europe émergera de ses propres crises ?

Nous entrons finalement dans un café enfumé. Je remarque sur le mur un néon rosé All we have is now. L'endroit est rempli de jeunes armés de cellulaires qui diffusent à chaque seconde des dizaines d'analyses et de compte rendu sur les derniers événements de la journée. Chacun mobilise un réseau de milliers de jeunes Égyptiens et Égyptiennes du Caire et de partout au pays. Depuis trois années maintenant, les jeunes inventent de nouveaux mouvements, de nouveaux moyens de communication, de nouvelles approches. Ils s'organisent partout. Ils savent que l'Égypte les regarde, que le monde les regarde. Ils savent comme des dizaines de milliers d'autres jeunes qu'il n'y a pas d'autres options et que leur combat est juste. Ils ne s'arrêteront pas.

À cet instant, je ne sais pas comment se terminera l'histoire de la révolution en Égypte. Et même si je crois que les prochains chapitres seront sans doute les plus sombres, il est clair que ces jeunes-là écriront encore l'histoire.

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