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Trump, un vieux modèle politique

L'avenir le dira. Mais le président élu pourrait changer plus profondément qu'on se l'imagine la façon de concevoir l'exercice de la démocratie américaine.
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En novembre, les Américains élisaient Donald Trump comme futur président des États-Unis, un candidat pour le moins atypique dans le monde politique. À peu près personne n'avait prévu un tel scénario. La grande majorité des politicologues, sondeurs et journalistes se sont enfargés dans les apparences «trash» du personnage, ses mensonges, ses préjugés sur les femmes, les Mexicains, les musulmans... les Noirs.

Dans une entrevue à Radio-Canada, le philosophe Frédéric Lenoir a cerné simplement mots la nature profonde du nouveau président:: «C'est avant tout un démagogue». La démarche de Trump s'apparente parfaitement à ce que l'historien Jean-Michel Roddaz écrit lorsqu'il décrit celle des Gracchus* à l'époque de la Rome antique. Depuis, on ne compte plus les démagogues qui ont gouverné.

Trump est le dernier-né de ce vieux modèle politique où, contrairement à la plupart des dictateurs du siècle dernier, il lui sera difficile, sans se heurter à la Constitution, de s'imposer par la force. Par exemple, Fidel Castro, le Lider Maximo de Cuba, vient de mourir. Révolutionnaire à la mode du communisme du 20e siècle, il portera encore longtemps l'aura que lui a conférée une certaine gauche romantique. En réalité, il fut un dictateur impitoyable qui utilisa la force militaire et policière pour imposer aux Cubains son régime politique et la prison ou l'exécution pour ceux qui ne partageaient pas sa vision d'avenir du pays ou sa conception du pouvoir.

Malgré sa richesse, Trump est un populiste. Contestataire du statu quo de l'establishment politique au nom du peuple, il est un manipulateur habile de l'opinion. L'opinion devient, à travers lui, une doctrine politique, une idéologie, celle d'un homme politique qui agit per populum plutôt que per senatum, se présentant comme celui qui défend le peuple contre les privilégiés. Proposant la souveraineté du peuple contre l'autorité des faiseurs de lois, du Congrès à la Cour Suprême, il a semé le doute sur les pratiques démocratiques, celles, bien sûr, du Parti démocrate, mais aussi, sans trop le dire, celles de son propre parti. Dans l'opinion publique, l'idée de démocratie a été réduite à un exercice ne servant que l'intérêt privé.

Le contexte actuel s'y prête bien. Le sentiment d'échec de l'État face à une mondialisation engendrant délocalisations d'entreprises, pertes d'emplois, pauvreté et désœuvrement, l'échec sur le terrain militaire, les affaires de corruption et les entourloupettes dans le domaine financier sont autant d'exemples qui mettent à mal le rêve américain. Trump a compris le besoin de renforcer la souveraineté populaire contre les oligarques de tout acabit qui appauvrissent le peuple, c'est-à-dire tous ceux qui ne sont pas représentés par un groupe d'intérêts.

L'avenir le dira. Mais le président élu pourrait changer plus profondément qu'on se l'imagine la façon de concevoir l'exercice de la démocratie américaine, et ce de diverses façons :

  1. Trump n'hésite pas à utiliser Twitter pour disqualifier ses adversaires. Les médias sociaux permettent au personnage d'exposer ses humeurs : un langage inconvenant, des propos déplacés et des affirmations équivoques sinon contestables. Cette pratique d'un futur président, jugée inacceptable par l'intelligentsia, risque de s'opposer et s'imposer aux médias traditionnels.
  2. Contrairement aux politiciens traditionnels, Trump a érigé son empire en imaginant ce qui pouvait plaire à l'opinion publique. Il est le démagogue de la post modernité, un tribun de la téléréalité qui occupe maintenant l'espace médiatique de la vidéopolitique : on parle du télépopulisme, de celui aussi qui occupe le Web pour y extraire l'assentiment du peuple.
  3. Avec le temps, les grands médias se sont perçus comme partie de la «minorité intelligente». Ces médias sont devenus des «acteurs de la grande mise en scène de la société de spectacles». Cela laisse présager que leurs journalistes se retrouveront plutôt en porte-à-faux pour rapporter les faits et gestes du futur président.
  4. Donald Trump restera un homme imprévisible, qui retombera toujours sur ses pattes sur la base d'un contrat social populiste implicite : une société américaine majoritairement blanche, à l'abri des effets pervers ou du danger des ententes commerciales internationales, débarrassée des élucubrations écologistes, en contrôle sur l'immigration et militairement capable d'affronter toute menace, y compris celle de l'islam radical.

Sous peu, les Américains sauront si, à la tête du pays, ils ont choisi un président ou un chef d'entreprise qui s'est emparé des clefs du pouvoir pour ses affaires.

* Gracques : deux frères, Tiberius et Caius Sempronius ont tenté une réforme agraire au profit des pauvres contre les aristocrates. (166-133 Av. J.C.)

Ce texte est cosigné par Normand Chatigny, qui a œuvré sur la scène municipale et fut maire de Cap Rouge et de 2001 à 2005 et membre du Comité exécutif de la Ville de Québec, Denys Larose et Jean-Noël Tremblay, qui ont été directeurs généraux de collèges, et Michel Héroux, qui a œuvré en information et en communication durant sa carrière.

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Avant Trump, les "personnalités de l'année" controversées du Time

1938: Adolf Hitler
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Le choix le plus controversé est sans doute le plus connu. En 1938, le Time désignait Adolf Hitler "personnalité de l'année". Si, à ce moment là, le leader allemand n'était pas encore le dictateur le plus sanguinaire de l'Histoire, le magazine écrivait déjà à son propos: "Hitler est devenu en 1938 la plus grande force menaçante à laquelle le monde démocratique, épris de liberté, fait face aujourd'hui." Son invasion de la Pologne l'année suivante a déclenché la Seconde Guerre mondiale avec ses millions de victimes.
1939 et 1942: Joseph Staline
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Le soviétique a été désigné "personnalité de l'année" deux fois: avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Durant trois décennies, le communiste a assassiné des millions d'opposants politiques, et déporté ses citoyens "déloyaux envers la cause soviétique" en Sibérie. Le Time revenait notamment sur son culte de la personnalité: "Joseph Staline a poussé loin la tactique de sa propre déification de son vivant. Aucune flatterie n'est trop transparente pour lui. Aucun compliment n'est trop grand pour lui. Il est devenu la fontaine de toute la sagesse socialiste."
1957: Nikita Khrouchtchev
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Le Time a désigné le successeur de Staline "Person of the Year", l'année où les Soviétiques ont envoyé le premier satellite artificiel dans l'espace. Il condamna Staline et chercha à défaire une grande partie de son héritage. Mais sa décision d'envoyer des chars pour écraser l'insurrection de 1956 en Hongrie a montré que le régime continuerait à recourir à la force pour écraser la dissidence. Un choix qui, en pleine guerre froide, avait suscité la polémique.
1979: Ayatollah Khomeini
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En 1979, Khomeini a mené une révolution qui a fait de l'Iran une République islamique profondément hostile à l'Occident. Quand le Time l'a fait "Homme de l'année", il retenait 52 Américains en otage, à l'ambassade de Téhéran. Ils ont été détenus pendant plus d'un an. "Rarement, un leader aussi improbable a secoué le monde", écrivait, ainsi, le Time à son sujet.
2007: Vladimir Poutine
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Vladimir Poutine a sauvé la Russie alors qu'elle était "sur le point de devenir un Etat défaillant", écrivait le Time en 2007. Pour le magazine, le dirigeant a réussi à remettre la "mère Russie" à la table des grandes puissances mondiales. Un "Homme de l'année" très controversé, qui avait poussé les journalistes à s'expliquer dans une tribune intitulée "Choisir l'ordre avant la liberté.""Rien n'est impossible. Nous avons souvent désigné de grands méchants par le passé", résumait Nancy Gibbs, la directrice de la publication du Time en 2015. Cette année là, la chancelière allemande Angela Merkel avait été désignée "personnalité de l'année", juste devant le leader de Daech Abou Bakr al-Baghdadi.

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