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De nouveaux ministres à l'éducation: pour quoi faire?

Le défi de nos nouveaux ministres en éducation appelle un changement profond de mentalité.
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Les constats d'échec dans le réseau de l'éducation régulièrement rapportés dans les médias ces derniers mois ne sont pas nouveaux. Depuis la réforme scolaire des années 60, chacun des ministres successifs a produit sa réforme, son plan de redressement, son livre blanc ou vert, multiplié les études, les colloques et autres États généraux sur l'éducation. Le débat d'aujourd'hui sur l'école, reste sur le fond celui d'hier: il y plus de 25 ans.

Donnons donc un peu de mémoire aux mémoires. En 1992, un groupe de personnes [1] fortes de leur longue expérience professionnelle en éducation décidèrent d'intervenir dans le débat qui s'annonçait. Six textes furent publiés dans La Presse entre décembre 1992 et juin 1994. Deux portaient sur le niveau collégial; trois sur le niveau secondaire; le dernier sur l'école et l'emploi. Ce fut le point de départ pour la publication, en 1996, d'un volume intitulé: L'École pour quoi faire [2].

Reportons-nous en 1992 au moment où Mme Lucienne Robillard, alors ministre de l'Enseignement supérieur et de la Science, annonçait une réforme radicale du niveau collégial. En clair la réforme visait sa disparition. C'est du moins ce que souhaitaient en coulisse les Commissions scolaires et le réseau universitaire, pour des raisons avant tout clientélistes. Après de longues consultations, études et débats, la disparition envisagée du réseau collégial s'est finalement muée en projet de réforme, mis en place en 1995 et dont on peut dire aujourd'hui qu'il a été confisqué par différents groupes d'intérêts. Et pour les raisons invoquées par les auteurs, la réforme n'a pas entraîné de changements significatifs dans l'évolution du niveau collégial: pas de vision à long terme, trop de mesures dilatoires, électoralistes ou cosmétiques.

À la même époque, en novembre 1993, la ministre rend public un document intitulé: Faire avancer l'école portant sur la réforme des niveaux primaire et secondaire. Les remèdes proposés portent entre autres sur l'enseignement du français (langue maternelle), l'apprentissage de l'anglais (langue seconde), la formation générale, la révision des règles d'obtention du diplôme d'études secondaires, la gestion pédagogique. Là encore, force est de constater, en 2016, que la réforme en profondeur de l'école québécoise n'était pas à l'ordre du jour.

Ainsi donc, comme il y a 25 ans, le fait que «l'école ne soit plus, ces années-ci, une priorité politique est le signe que le tissu social s'effrite»[3]. L'évolution du système d'éducation «s'est butée sur la corruption de l'idée de démocratisation de l'enseignement: le glissement de l'égalité des chances à l'égalité des résultats. Les examens de passage assouplis, l'évaluation à la baisse combinée au trafiquage des statistiques». On ne double plus au primaire; on diplôme au secondaire, la notion de réussite ayant perdu son sens véritable.

Le cas du français est encore plus révélateur. Nous survolons ici une période de plus de 40 ans. En 1975, Lysianne Gagnon publiait dans La Presse une série d'articles sous le titre «Le drame de l'enseignement du français». Depuis, on peine à faire le décompte de tous les cris d'alarme lancés au sujet de la langue. Ce qui n'a pas empêché, au fil du temps, comme ce fut déjà souligné à l'époque, que le niveau d'exigences des programmes ait été abaissé et la «sanction des études normalisée» pour satisfaire en définitive les statisticiens de la réussite.

Comment s'expliquer autrement le nombre d'analphabètes fonctionnels, près de 50% de notre population? Comment ne pas être interpellé par ce propos de Danny Laferrière, membre de l'Académie française: «Mille questions à propos de la langue, sauf celle de la rendre vivante en tentant de la bien parler. De la sortir de sa charpente anglo-saxonne... Le danger n'est pas le vocabulaire, mais bien la grammaire. Le génie d'une langue s'y cache... Langue pauvre finit par conduire au silence»[4]. Ajoutons cette conclusion d'une toute récente chronique de Denise Bombardier: «C'est par la langue que nous existons culturellement. Sans elle, nos disparaitrons».

Le taux de mortalité politique au ministère de l'Éducation

Disons-le: le plus grand scandale au Québec, c'est le pouvoir politique qui, depuis plus de quarante ans, a abandonné petit à petit l'éducation. Et comme nous l'observons ces deux dernières années, cela se démontre par la nomination de «ministres de transition» soit pour résorber une crise, soit pour préparer les prochaines élections. (Bien sûr, nous comprenons que les nominations annoncées hier de M. Proulx à l'Éducation et de Mme David à l'Enseignement supérieur sont le fruit du triste accident du sort qui vient de frapper le ministre Moreau).

Cette absence de volonté politique exige toujours de faire encore plus de sondages, d'études et de négociations. Le discours sur l'éducation se résume souvent à d'hypothétiques changements de structures derrières lesquels le corporatisme devient le véritable enjeu et le discours sur l'emploi nous fait oublier que l'École, c'est avant tout celle des élèves, des professeurs et des gestionnaires d'établissements. Or, «si l'école publique est mal en point, ce n'est pas seulement pour des raisons budgétaires, mais aussi philosophiques(...). La vision sur laquelle on l'appuie est en faillite intellectuelle», comme le souligne justement le chroniqueur du Journal de Québec, Mathieu Bock-Côté[5].

Le défi de nos nouveaux ministres en éducation appelle un changement profond de mentalité et au premier chef dans leur propre cour. Il lui faut convenir que:

1. «L'École n'appartient ni à l'Église, ni à la famille, ni à l'État, ni aux centrales syndicales. L'École appartient à la société. Elle est au fondement même de sa prospérité»[6].

2. Les disciplines essentielles à la formation fondamentale sont la langue, la philosophie, l'histoire, les mathématiques, les sciences. Même si l'expression «formation fondamentale» est disparue du vocabulaire bureaucratique, elle reste l'essence même du rôle de l'École, du primaire à l'université: c'est parler de rigueur intellectuelle, de maîtrise de la langue écrite et parlée, de maîtrise des connaissances, d'autonomie de méthode de travail, de conscience historique et d'ouverture sur le monde. «La formation fondamentale, celle qui amène l'élève à prendre en main ses études afin de devenir un être plus libre... celle qui force les institutions à se retourner vers l'élève plutôt que l'administration de l'élève, cette vision de l'école ne fait partie des préoccupations ministérielles d'une école que l'on prétend "amarrer" au XXI siècle»[7].

3. L'État se mêle «trop» de l'éducation, il est partout, comme en santé d'ailleurs, et cela a de lourdes conséquences: nous sommes fortement sur-administrés; l'objet de la gestion n'est plus concrètement le personnel à la base des opérations ni même la clientèle à desservir mais les systèmes eux-mêmes; le discours du "métier", en l'occurrence celui des enseignants et des spécialistes sur le terrain, est totalement ignoré»[8].

Le chantier est vaste et nous rêvons de ministres en éducation capables de l'entreprendre avec vision, cohérence, ténacité, gardant toujours à l'esprit des éléments essentiels trop souvent oubliés:

Premièrement, l'élève doit savoir qu'apprendre est difficile, qu'il doit y consacrer beaucoup de temps et d'énergie. L'élève ne fait plus partie du bien commun mais bien plutôt d'une cohorte statistique que trop d'intérêts administratifs et économiques à court terme justifient sa présence.

Deuxièmement, les professeurs doivent être considérés comme de véritables professionnels. Les professeurs se sont réfugiés dans les centrales syndicales, sans se doter ou se conserver de lieux professionnels, contrairement aux médecins, avocats, ingénieurs, etc. «L'instituteur, selon le philosophe Alain Finkielkraut, citant Péguy, n'est pas le représentant de la société ni de l'État. Il est le représentant des poètes, des artistes, des savants, de ceux qui ont fait et qui maintiennent l'humanité. Il est le représentant de la culture»[9].

Le professeur doit retrouver son statut qui faisait qu'autrefois il portait le titre de maître, mot qui est banni aujourd'hui et remplacé par celui plus administratif d'enseignant ou celui plus collectif de syndiqué. Les professeurs sont abandonnés. Ils sont indéfinis à force d'avoir voulu se faire définir par des négociateurs (patronaux/syndicaux) patentés. Les professeurs n'ont plus de statut social, ni de «lieu» professionnel.

Troisièmement, la formation des enseignants particulièrement aux niveaux du primaire et du secondaire doit être repensée. On ne les forme plus comme des spécialistes d'une discipline, mais comme des techniciens de l'enseignement d'une discipline, fruit d'une décision prise dans les années 70. Les facultés des sciences de l'éducation offrent une formation des maîtres basée moins sur la compétence et la connaissance d'une discipline (mathématique, histoire, français, etc.), que sur la base d'une «compétence transversale» qui donne simplement le permis d'enseigner en ces matières.

Quatrièmement, l'école doit être dirigée, c'est un devoir plus qu'un droit. Les directeurs d'école, qu'ils s'appellent recteur, directeur général de cégep ou directeur d'école doivent éviter d'être souvent réduits à de simples gestionnaires que l'on voudrait silencieux et soumis et dont le rôle se limiterait à n'être que la courroie de transmission entre le Ministère, la convention collective et deux ou trois psychopédagogues patentés.

Cinquièmement, il ne sera pas possible de faire une véritable réforme sans revoir la place qu'occupent présentement les conventions collectives dans la gestion des institutions et la formation des élèves. Le discours de la négociation ne peut remplacer celui de la pédagogie.

En somme, pour une vraie réforme, il nous faut un ou des ministres en éducation visionnaires, clairvoyants, au-dessus de la mêlée et qui croient profondément que l'École doit être exigeante.

Avec Normand Chatigny, Denys Larose et Jean-Noël Tremblay

Les auteurs sont des retraités habitant Québec et Montréal. Normand Chatigny a œuvré sur la scène municipale et fut maire de Cap Rouge. De 2001 à 2005, il était membre du Comité exécutif de la Ville de Québec. Denys Larose et Jean-Noël Tremblay ont été directeurs généraux de collèges (Cégep de Sainte-Foy et Campus Notre-Dame-de-Foy). Michel Héroux a œuvré en information et en communication durant toute sa carrière, et il est retraité de l'Université Laval.

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Références:

[1]François Caron et Jean-Noël Tremblay, gestionnaires de carrière en éducation; Jean-Paul Desbiens, mieux connu au début de sa carrière sous le pseudonyme du Frère untel ; Arthur Tremblay, notamment ancien sous-ministre de l'Éducation, de 1964 à 1969.

[2]Collectif sous la direction de Jean-Paul Desbiens, L'École pour quoi faire, Les Éditions Logiques, 1996.

[3]Op. Cit. « L'école en état de siège», p.63

[4]Laferrière Danny, Tout ce qu'on ne te dira pas, Mongo, Mémoire d'encrier, 2015, p.245.

[5] Mathieu Bock-Côté, «Sauver quelle école publique ? », Journal de Québec, 3 février, 2016.

[6] [7] L'École pour quoi faire, Collectif sous la direction de Jean-Paul Desbiens fut publié aux Éditions Logiques en 1996, reprenant une série d'articles publiés dans la Presse entre 1992 et 1994 au sujet de la réforme de l'éducation.

[8] Michel Héroux, Denys Larose, Normand Chatigny et Jean-Noël Tremblay, « Où est l'État ? L'État est partout,» mai 2010, Le Devoir, Le Soleil.

[9] Tiré de la revue Le Point, « Juppé-Finkielkraut : le grand débat », 14 janvier, 2016.

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