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L'Oubli de la tragédie tibétaine

Combien de décennies faudra-t-il encore attendre - et combien de martyrs qui s'immoleront par le feu ou d'autres qui seront torturés et condamnés à mort - pour espérer qu'un nouveau président chinois accorde au moins une autonomie culturelle au peuple tibétain?
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INTERNATIONAL - Samedi matin à Paris, une manifestation rassemblant plus d'un millier de personnes venues de toute l'Europe (essentiellement de l'ouest), autour du premier ministre tibétain en exil à Dharamsala, se sont retrouvées pour marquer le 56e anniversaire du soulèvement national du peuple tibétain, qui eut lieu à Lhassa et dans les autres villes du Tibet, le 10 mars 1959, jour de l'invasion totale du pays par l'«Armée de Libération Populaire», l'Armée rouge envoyée par Mao Zedong. La garde rapprochée du dalaï lama l'avait obligé à fuir la nuit même pour l'Inde, où Nehru l'avait accueilli en lui offrant l'hospitalité dans la ville de Dharamsala, dans l'Himalaya.

Le sort tragique de tant de peuples à nos portes, comme celui des chrétiens d'Orient, des Azéries, des Kurdes, mais aussi celui des Irakiens, des Syriens ou des Libyens fuyant la guerre civile et Daesh ou l'AI (Armée islamique), venant s'échouer sur les côtes avancées d'Italie, à Lampedusa, pour les plus chanceux d'entre eux, nous font un peu oublier la tragédie du peuple du Tibet. Et puis, le dalaï lama, qui va fêter ses quatre-vingts ans cette année, se fait rare en France, en Europe.

La manifestation de samedi entendait remettre la cause tibétaine à la une parmi combien d'autres unes.

Depuis cinquante ans, on compte plus d'un millier de Tibétains civils ou bonzes, qui se sont immolés à Lhassa essentiellement, mais aussi dans d'autres villes, sans parler des Tibétains emprisonnés, torturés souvent jusqu'à la mort, sans procès ou dans une parodie de jugement.

Le rassemblement entendait aussi rendre un hommage solennel à Tenzin Choedak, mort le 5 décembre dernier, qui naquit en octobre 1981. Arrêté en avril 2008 par le Bureau de sécurité publique accusé d'avoir mené des manifestations durant les troubles au Tibet en 2008. En septembre ou octobre 2008, il fut condamné par la Cour Populaire Intermédiaire de Lhassa à 15 ans de prison et à une amende 10 000 renminbi. Il a été incarcéré dans la prison de Chushul, condamné aux travaux forcés.

À la suite de tortures et d'un état de santé plus qu'alarmant, il est transporté à l'hôpital du MenTseeKhang de Lhassa, où il meurt le 5 décembre 2014, 3 jours après sa libération «pour raison médicale». «Libéré» à la limite de ses forces, la mâchoire fracturée, les os de ses pieds brisés, les reins gravement atteints, il a souffert jusqu'aux limites de la souffrance humaine.

La Chine de Xi Jinping a fait de Choedak un martyr de plus à la cause tibétaine. On sait aussi que depuis le 7 avril 2002 la police d'occupation a arrêté un dignitaire tibétain en la personne du lama Tenzin Delek Rimpoché, combattant pour l'indépendance du Tibet, né à Lithal, dans la région du Kham, province du sud-est du Tibet en 1950. En 1982, craignant l'arrestation, il s'enfuit en Inde, où il suit un enseignement intensif et rencontre le dalaï lama. De retour en 1987 au Tibet, il fait construire un monastère dans le Kham dont il devient le supérieur et fait construire des écoles, cliniques, orphelinats, etc.

En 2002, il est arrêté et accusé de vouloir commettre des attentats. D'abord condamné à mort, l'appel de Tenzin Delekh fut rejeté et sa condamnation à mort avec un sursis de 2 ans confirmée. Tenzin Delek Rinpoché risquait d'être exécuté après le 25 janvier 2005, selon le TCHRD (Tibetan Centre for Human Rights and Democracy). Depuis, et faisant suite à une importante mobilisation internationale, il a vu sa peine commuée en prison à vie, comme l'annonça l'agence Chine nouvelle le 26 janvier 2005. Âgé de 57 ans, Tenzin Delek Rinpoché souffre de graves problèmes de santé.

Que peuvent mille, dix mille ou cent mille personnes hissant ou revêtu du drapeau tibétain face au gouvernement totalitaire chinois?

Depuis soixante ans, tant de grandes voix à la suite de Tenzin Gyatso, XIVe dalaï lama, ont alerté le monde depuis Danièle Mitterrand en France, Elie Wiesel, lui-même prix Nobel de la paix (1986), Harrison Ford et combien d'autres personnalités de par le monde, jusqu'au jury du prix Nobel de la paix à Oslo, qui élit le dalaï lama en 1989 à cette reconnaissance suprême, au grand dam de l'empire communiste chinois, protestant contre l'ingérence du comité Nobel dans les affaires intérieures chinoises! Chacun a donc alerté le monde sur le génocide du peuple tibétain et l'assimilation culturelle à grande échelle que les Chinois ont mis en place dans la région «autonome» du Tibet depuis 1959 - sans grand effet pourtant.

Au lendemain de l'indépendance du Bangladesh, Malraux s'était écrié à l'université martyre de Rasjahi, dont il était fait docteur honoris causa : «Vous avez montré au monde qu'on assassine jamais assez pour tuer l'âme d'un peuple qui ne se soumet pas.» Mais le Pakistan n'est pas la Chine.

Combien de décennies faudra-t-il encore attendre -et combien de martyrs qui s'immoleront par le feu ou d'autres qui seront torturés et condamnés à mort - pour espérer qu'un nouveau président chinois accorde au moins une autonomie culturelle au peuple tibétain?

M. de Saint-Cheron est philosophe des religions, dernière publication, Du juste au saint. Ricoeur, Levinas, Rosenzweig (DDB, 2013).

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