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Intervention au Mali: vive la France!

Le multilatéralisme en tant que modus operandi diplomatique et militaire présente l'inconvénient d'être lent à organiser, rigide et inefficace. L'opération en Libye menée par l'OTAN a été un désastre, celle au Mali s'est révélée d'une grande efficacité.
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French soldiers sit aboard a C17 aircraft of the US Airforce carriying French armoured vehicles at the Istres military airport (BA 125) on January 24, 2012 in Istres, southern France, prior to take off and heading toward Mali as part of the 'Serval' operation. AFP PHOTO / GERARD JULIEN (Photo credit should read GERARD JULIEN/AFP/Getty Images)
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French soldiers sit aboard a C17 aircraft of the US Airforce carriying French armoured vehicles at the Istres military airport (BA 125) on January 24, 2012 in Istres, southern France, prior to take off and heading toward Mali as part of the 'Serval' operation. AFP PHOTO / GERARD JULIEN (Photo credit should read GERARD JULIEN/AFP/Getty Images)

Les Français ont détruit et dispersé les jihadistes islamistes au Mali. Cela leur a pris trois semaines. Washington en reste stupéfait. Les "french fries" (frites) vont peut-être revenir au menu de la cafétéria du Congrès. Les ultra patriotes devront peut-être ôter de leur vocabulaire l'expression péjorative: "French surrender monkeys" (littéralement, "les singes français dégonflés"). Il paraît même que la France et les Français seraient de nouveau à la mode chez les cosmopolites de Georgetown. Tout ça en raison d'une modeste action de police ayant impliqué une vingtaine d'avions et une coalition ad hoc de régions voisines. Tout ça pendant que la Maison Blanche se prenait encore la tête à savoir si elle devait ou non fournir aux Français des avions de ravitaillement et si oui, si elle devait ou pas les facturer. Tout ça pendant que les grands stratèges de la Guerre contre le terrorisme débattaient à l'infini d'un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies pour qu'un corps expéditionnaire de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest aille défendre Bamako.

Ce texte est traduction d'un billet d'un universitaire américain spécialiste des relations transatlantiques.

Les sceptiques de la Guerre américaine contre le terrorisme seront peut-être tentés de prendre un malin plaisir à comparer cette performance avec les échecs répétés des Etats-Unis ces onze dernières années. Ce serait un jugement trop simpliste. Le contraste est en effet frappant, mais il y a beaucoup de facteurs à prendre à compte avant de sauter à la conclusion qu'on vient de trouver la véritable solution miracle au terrorisme islamiste. Ce qu'il faut, c'est un vrai raisonnement qui allie connaissance et bon sens, pour mettre en place des objectifs, au lieu de coups de tête et de lubies. Voici quelques suggestions de ce que nous devrions retenir de cet épisode du Mali, et des opportunités qu'il a ouvert sur notre chemin pour débarrasser le monde de jihadistes violents, hostiles à l'Occident.

Tout d'abord, il y a le besoin irréfutable de la différentiation. Chaque groupe auquel le phénomène d'Al-Qaida a donné naissance possède ses propres caractéristiques. Chacun opère dans un milieu, social, politique et religieux différent. Utiliser le terme réducteur "Al-Qaida" ou "groupe islamiste" est une mauvaise habitude. Cela affecte les officiels et les analystes dont le recours instinctif aux formules toutes faites démontre un esprit paresseux et un dogmatisme intéressé cachant un programme plus vaste. Ce programme prévoit une expansion de l'influence politique américaine dans le monde islamique et le maintien des régimes proches des gouvernements occidentaux. La stratégie est guidée par l'objectif téméraire et inatteignable d'éliminer les derniers vestiges de tout groupe prêt à utiliser le terrorisme contre l'Amérique, les Américains ou les intérêts du pays. Pour certains de nos leaders, tel est le but ; pour d'autres, cette croisade permet une mobilisation générale pour renforcer des positions établies de domination.

Dans les deux cas, ils adhèrent à cette simple formule : "Si vous connaissez un mouvement djihadiste, vous les connaissez tous." Surtout s'ils ont ajouté les mots "Al-Qaida" à leur nom. Donc, Al-Qaida en Irak, Al-Qaida dans la Corne de l'Afrique, Al-Qaida dans la péninsule arabique, Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), suscitent la peur et sonnent le signal d'alarme. Leurs revendications, identités ou objectifs locaux sont noyés dans cette réaction pavlovienne. Du coup, leur propre choix d'une étiquette pour des raisons à la fois de publicité, de prestige et de financement, en fait la cible de la Guerre contre le terrorisme. Le résultat en est une simplicité d'interprétation et de réponse. Les cow-boys et les Indiens. La menace et la force deviennent les dénominateurs communs.

Les éléments de la coalition d'insurrection au Mali sont d'origines diverses : l'Aqmi est une branche algérienne ; Ansar Dine est un mouvement salafiste national : le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) est un mouvement séparatiste touarègue multiforme ; il y a des groupes criminels devenus salafistes comme le Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest (MOJWA/MUJAO), lui-même issu d'une scission avec Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), et dirigé par Mokhtar Belmokhtar, surnommé "Mr. Marlboro" - hier trafiquant/kidnappeur, aujourd'hui un djihadiste et demain certainement un Robin des Bois du Sahara. C'est un mélange d'au moins trois populations et de cinq ou six nationalités. Les Français connaissaient ces paramètres et ont élaboré une stratégie en adéquation. Ils savaient que faire subir une défaite cuisante et rapide au groupe le plus efficace militairement (ce qu'ils avaient appris de l'armée de mercenaires de Kadhafi) démoraliserait les autres, conduirait à des désertions et pousserait les restants à faire la paix. Une grande expérience coloniale et post-coloniale a aussi joué un rôle dans ce calcul. De même, le fait d'avoir des ressources et des objectifs limités.

Ici les choses ne se sont pas faites "à l'américaine". En Irak, cela nous a pris au moins deux ans pour comprendre la dynamique sunnite-chiite. David Petraeus a recruté une nouvelle armée irakienne de façon désordonnée, sans prendre en compte les divisions sectaires ou de milice des recrues. Telle était l'ersatz d'armée qu'il a proclamée prête à stabiliser un Irak démocratique dans des éditos écrits à l'automne 2004, visant à s'attirer les bonnes grâces de la campagne de réélection de George Bush. Nous avons envoyé là-bas des centaines de milliers de soldats, des agents de sécurité et des civils sans même un guide de conversation arabe. Comme deux officiers en poste à Mossoul sous le commandement de Petraeus me l'ont confié, quand ils abattaient la porte d'une maison ciblée lors d'un raid aérien, ils hurlaient : "Posez vos put***de c*** par terre !"

En Afghanistan, nous avons ignoré et minimisé l'importance d'organiser toutes les agences de sécurité et les services secrets pour qu'elles donnent de l'emprise aux Tadjiks et Ouzbeks tout en dépréciant les Pachtounes.

Une deuxième leçon à retenir est d'éviter d'exagérer le problème concret auquel vous faites face. C'est le syndrome du "ciel qui va nous tomber sur la tête". Le désastre est imminent. Les civilisations occidentales sont en danger, etc. Ainsi Léon Panetta a observé les insurgés disparates au Mali et a prévenu : "Ils représentent une menace pour le monde" (y compris, semble-t-il, la Chine et la Nouvelle Zélande). Hillary Rodham Clinton a reproché aux membres de la Commission des affaires étrangères du Sénat de la harceler avec le consulat à Benghazi alors que le véritable élément important était que : "L'instabilité au Mali a créé un refuge toujours plus grand pour les terroristes cherchant à étendre leur influence et à fomenter d'autres attaques dans toute la région, comme celle à laquelle nous avons assistée la semaine dernière en Algérie." L'attaque de Benghazi n'était pas un évènement isolé, s'est-elle exclamée, mais fait partie d'un "plus grand défi stratégique mené en Afrique du Nord".

Non seulement cette attitude homogénéise une réalité extraordinairement complexe. Mais elle encourage aussi des réponses à l'emporte-pièce vouées à l'échec. Ce n'est pas l'exercice d'"un pouvoir intelligent".

Une troisième leçon à retenir est la proportionnalité des moyens. Il faut savoir trouver le bon mélange entre action militaire et politique, entre le coercitif et l'incitatif - et savoir gérer l'escalade de la violence. L'approche des Etats-Unis a été bien trop "cinétique". Elle induit cette confiance trompeuse envers nos capacités militaires ; elle est rendue contreproductive par les inévitables civils tués ; elle milite contre des méthodes d'adaptation en fonction de l'évolution des circonstances. C'est vrai, les insurgés maliens n'ont pas présenté l'ordre de bataille qui avait encouragé la doctrine militaire "choc et stupeur" en Irak ou le bombardement systématique des positions des Talibans dans la Vallée du Pandjchir. Mais l'usage excessif de forces qui ne nous a mené à rien en Somalie et au Yémen (ou, il y a longtemps, au Vietnam), aurait pu aussi bien être à l'ordre du jour quand nous nous sommes préparés pour une campagne au Mali. Heureusement, on nous a épargné de devoir à nouveau écraser des mouches à l'artillerie lourde. Passez les croissants.

En définitive, le multilatéralisme en tant que modus operandi diplomatique et militaire a l'avantage de conférer une légitimité et de rassembler les soutiens à l'international et au niveau local. Il présente l'inconvénient d'être lent à organiser, rigide et inefficace. L'opération en Libye menée par l'OTAN a été un désastre ; l'opération au Mali s'est révélée d'une grande efficacité.

Des soldats du 2e Régiment d'infanterie de Marine à Bamako

Les soldats français au Mali

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