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N'en déplaise à la ministre Monsef, il existe bien un consensus en faveur d'un mode de scrutin proportionnel

Comme bien d'autres thèmes, le mode de scrutin ne sera jamais un sujet sexy faisant courir les foules. La plupart des gens votent sans avoir conscience qu'une mécanique relie leur bulletin au résultat final, et surtout, sans savoir qu'elle n'est pas neutre. Dans ce contexte, il est bien difficile de leur demander d'imaginer un autre outil que celui qu'ils utilisent sans voir.
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Comme bien d'autres thèmes, le mode de scrutin ne sera jamais un sujet sexy faisant courir les foules. La plupart des gens votent sans avoir conscience qu'une mécanique relie leur bulletin au résultat final, et surtout, sans savoir qu'elle n'est pas neutre. Dans ce contexte, il est bien difficile de leur demander d'imaginer un autre outil que celui qu'ils utilisent sans voir.

Vous ne savez probablement pas qu'une consultation pancanadienne devrait se conclure aujourd'hui (le 1er décembre), par le dépôt du rapport du Comité spécial sur la réforme électorale.

Était-ce une consultation idéale? Évidemment non. Le départ a tardé, la promotion était déficiente, les travaux en plein été avaient tout pour décourager, des enjeux et des pans de population ont été insuffisamment pris en compte, des parlementaires l'ont détourné par partisannerie et mauvaise foi, etc. Malgré cela, depuis juin, 12 parlementaires de 5 partis ont reçu 574 mémoires, visité presque 20 villes, pour entendre 731 personnes et groupes dont 180 témoins experts, et 20 000 personnes ont répondu au formulaire Web. Pour un sujet si peu couvert médiatiquement, et considérant les bémols précédents, une telle participation est exceptionnelle.

Mais le plus important c'est que dans 88% des présentations, un mode de scrutin de la famille proportionnelle a été demandé. Il n'y a qu'à lire quelques mémoires, au hasard, pour le constater.

Pourtant, aujourd'hui, la ministre Maryam Monsef répétera sûrement son discours des dernières semaines, soit qu'elle n'a pas entendu un « large soutien » de la part de la population. Si un taux de 88% ne constitue pas un large soutien, combien lui faut-il? Que TOUTE la population s'exprime? Depuis quand est-ce un objectif? Que le taux de participation n'ait pas été de 100% aux dernières élections n'empêche pas le Parlement de siéger.

L'avis des gens intéressés par le sujet ne plaît pas? Allons chercher l'avis des gens qui ne le connaissent pas! C'est ce que le gouvernement fera, du 1er au 31 décembre, en invitant TOUTE la population à se prononcer dans un sondage internet ayant les apparences d'une campagne référendaire, mais sans en avoir les règles! Faute de temps et d'informations suffisantes pour faire un choix éclairé, ou bien le statu quo remportera, ou bien le faible taux de participation permettra à la ministre de rejeter le changement demandé, le « large soutien » n'étant toujours pas à son goût.

Les chiffres qui devraient émouvoir la ministre sont ailleurs que dans la consultation. Ils sont dans les distorsions systématiques entre le pourcentage des votes et celui des sièges, ce qui a des conséquences sur la formation du gouvernement. Par exemple, ces 50 dernières années, le Parlement canadien n'a été dirigé qu'une seule fois par un parti qui avait remporté plus de 50% des votes et lors des deux dernières élections, le gouvernement a été formé du parti qui a remporté 39% des votes.

Ces phénomènes, courants sous le mode majoritaire, faussent la vision que l'on a de l'appui donné aux différents partis; cela peut même aller jusqu'à donner le pouvoir au parti qui est arrivé deuxième en nombre de votes recueillis. Cela équivaut à renverser la volonté populaire exprimée lors du vote. Le Québec est le triste champion de ces renversements (cinq fois depuis 1867), mais cela s'est aussi produit à deux reprises pour le Parlement fédéral (1957 et 1979). Presque toutes les provinces ont vécu cette situation pour le moins douteuse démocratiquement : Colombie-Britannique (1996), Nouveau-Brunswick (1974 et 2006), Nouvelle-Écosse (1970), Ontario (1985), Saskatchewan (1986 et 1999), Terre-Neuve (1989) et Québec (1886, 1890, 1944, 1966 et 1998)

Quant au choix précis du mode de scrutin à adopter, outre des considérations légitimes, comme le fait de vouloir conserver en partie la représentation basée sur le territoire de circonscriptions, plusieurs objectifs devraient guider l'analyse. Des instruments de comparaison devraient être davantage utilisés, comme l'indice de distorsion (Indice de Gallagher du nom du professeur irlandais l'ayant inventé). Cet indice permet de juger du niveau de distorsion global d'une élection - et pas uniquement de la distorsion d'un parti à la fois - et de voir les tendances de plusieurs élections. Un indice élevé signifie de grandes distorsions. Depuis 1950, l'indice moyen des élections canadiennes est de 11,4 points (11,7 en Grande-Bretagne). En comparaison, des pays utilisant un système proportionnel de liste, comme l'Uruguay et les Pays-Bas, ont des indices de 1 et 1,25 point. Les pays utilisant un système proportionnel mixte compensatoire, comme la Nouvelle-Zélande, l'Allemagne et la Bolivie, se situent entre 2,8 et 5,5 points. L'effet du changement entre le mode majoritaire est bien visible par le cas de la Nouvelle-Zélande, qui est passé de 12,2 lorsqu'elle utilisait un mode majoritaire, à 3 sous un mode proportionnel mixte compensatoire. La recherche de la meilleure proportionnalité possible doit être visée.

La réforme du système électoral doit être guidée par deux buts interreliés:

  1. Représenter efficacement les choix politiques de l'électorat : que chaque vote compte.
  2. Être en concordance avec la composition de la société : que chaque personne compte.

Faire l'un sans l'autre constituerait un grave rendez-vous manqué. Choisir, par exemple, un système qui produirait une proportionnalité parfaite, mais qui ne permettrait pas aussi de diversifier la composition du Parlement ne serait pas socialement acceptable, en 2016. Ce serait même irresponsable de notre part, puisque ce geste équivaudrait à décider de maintenir les problèmes identifiés. Il faut donc aussi choisir le mode de scrutin en fonction de sa capacité à intégrer des mécanismes institutionnels permettant d'accroître l'élection de femmes et de personnes racisées.

Nous saurons bientôt si le comité s'unira derrière une proposition précise, mais n'en déplaise à la ministre Monsef, cela ne changera rien au fait qu'un consensus fort s'est déjà exprimé en faveur d'un mode de scrutin de la famille proportionnelle. Le gouvernement doit en tenir compte et remplir sa promesse électorale.

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