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Retour sur le plan d'action sur le trouble du spectre autistique

En tant qu'autiste et mère d'enfants autistes, je ne peux que ressentir un profond malaise, une stupéfaction et une énorme déception face à ce plan d'action.
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C'est mardi le 21 mars 2017 que le plan d'action sur le trouble du spectre de l'autisme 2017-2022 a été déposé par la ministre Lucie Charlebois.

Un plan fort attendu tant par les autistes que par les familles concernées par l'autisme. Je tiens tout d'abord à souligner l'initiative de la ministre Lucie Charlebois pour la tenue d'un premier Forum québécois de l'autisme l'an dernier, ainsi que pour l'élaboration de ce plan d'action, incluant enfants et adultes autistes, remplis de sincérité, de compassion et bonnes intentions.

Cependant, en tant qu'autiste et mère d'enfants autistes, je ne peux que ressentir un profond malaise, une stupéfaction et une énorme déception face à ce plan d'action.

Pour soutenir les mesures de ce plan, le gouvernement consacrera un investissement annuel récurrent de 29 millions de dollars. De cette somme totale, la part du lion, soit 11,2 millions, servira à accroître les services de réadaptation et en intervention comportementale intensive, qu'on appelle dans le milieu ICI, pour les enfants de 0 à 5 ans.

Lors du Forum québécois sur l'autisme qui a eu lieu le 11 et 12 février 2016, un vote concernant les thérapies comportementales intensives (ICI) a eu lieu. Dans une proportion de 63%, les membres ont voté contre cette mesure unique d'intervention. C'était clair : une seule approche ne peut convenir pour tous. Par ailleurs, les ICI sont des méthodes de plus en plus remises en question tant pour leurs utilités que pour leur côté éthique envers la nature profonde des autistes. Les ICI ne sont pas essentiels au développement des autistes et dans certains cas, elles peuvent causer des séquelles psychologiques à court ou long terme : diminution de l'estime de soi, trouble anxieux, dépression, etc. Les familles d'enfants autistes méritent d'avoir l'heure juste sur ces méthodes pour prendre une décision éclairée, et surtout, les familles devraient avoir le choix de la méthode utilisée.

L'autisme n'est ni un trouble ni un déficit et il serait essentiel d'en tenir compte dans les services proposés.

Une toute petite portion de ce plan d'action suggère d'établir des balises sur l'utilisation d'approches d'intervention de réadaptation autre que le ICI. Un point qui me laisse grandement perplexe. D'une part, lorsque l'on considère l'autisme comme étant une condition neurologique distincte, il est impossible de parler « d'intervention de réadaptation » : il n'y a rien à réadapter chez la personne autiste. D'autre part, il n'est nullement mention de ces autres approches. Pourtant, encore une fois, lors du Forum québécois sur l'autisme, il avait entre autres été fait mention du modèle SACCADE qui utilise la remédiation cognitive et pédagogique à l'aide d'un code écrit appelé Langage SACCADE Conceptuel. Un modèle conçu par une autiste, Brigitte Harrisson, permettant aux autistes d'avoir accès à l'information, à la communication et à la perception des émotions. Également, Laurent Mottron proposait lors de ce Forum, d'établir un programme de guidance parentale en outillant les parents afin qu'ils puissent composer avec la neurologie particulière de leur enfant dans leur intervention éducative quotidienne. Dans son programme, il est également prévu d'outiller les garderies régulières afin que ces mêmes principes y soient établis. Ces exemples d'aide et de soutien, contrairement aux ICI, prennent en considération la structure cognitive particulière de la personne autiste ainsi que ses besoins uniques, sans tentative de normalisation. Ces outils respectent l'intégrité de la personne autiste. L'autisme n'est ni un trouble ni un déficit et il serait essentiel d'en tenir compte dans les services proposés. Également, il n'y a aucune mention sur les différents services telles l'orthophonie, la physiothérapie, l'ergothérapie, la zoothérapie, etc.

Cinq adultes autistes étaient présents lors du Forum en 2016, mais où étaient ces autistes lors de l'élaboration de ce plan d'action? Encore une fois, les principaux concernés semblent être oubliés. Pourtant, la société gagnerait grandement à écouter les adultes autistes qui apportent une contribution inestimable à la compréhension de l'autisme. Mais, malheureusement, rarement ceux-ci sont pris au sérieux.

Les adultes autistes existent et s'expriment. Ils ont également une voix qu'ils souhaitent faire entendre. Une voix souhaitant dénoncer le temps d'attente, le manque de services et la seule méthode d'intervention actuelle recommandée officiellement pour les enfants autistes. Une voix souhaitant démystifier l'autisme en y apportant une compréhension du fonctionnement interne. Une voix souhaitant favoriser l'acceptation et la reconnaissance positive de l'autisme. Une voix qui parfois bouscule et dérange puisqu'elle remet en doute les fausses croyances sur l'autisme bien ancrées dans la population. La voix des adultes autistes ne s'élève pas contre les parents d'enfants autistes ni contre les organismes. La voix des adultes autistes s'élève pour une meilleure compréhension de l'autisme, pour le respect de la condition et pour la reconnaissance positive de l'autisme avec tous les défis que cela implique.

Un autre point suscite mon attention et un questionnement: qui favorisera l'appropriation et le développement des connaissances chez les intervenants des différents réseaux? Lorsque nous dressons un portrait général de l'autisme au Québec, nous ne pouvons que constater de grandes lacunes quant à sa compréhension. Ainsi, je me demande quelle sera la base de cette formation et comment on pourra aider les autistes alors que la compréhension du fonctionnement interne de la pensée autistique est encore incomprise.

Entendre le cri du cœur de parents d'enfants autistes et d'adultes autistes est une chose, mais élaborer un plan d'action qui soutient véritablement les autistes, enfants comme adultes, le tout conformément à la neurologie autistique est une autre paire de manches.

Les inquiétudes multiples subsistent encore:

Quand l'autisme sera-t-il abordé sous un nouvel angle : celui de la Neurodiversité?

Quand cesserons-nous d'aborder l'autisme comme un trouble et comme un phénomène épidémiologique?

Quand utiliserons-nous des terminologies appropriées et respectueuses pour parler d'autisme?

Quand les définitions de l'autisme seront-elles meilleures afin d'améliorer la compréhension de la pensée autistique et de considérer les autistes comme des personnes à part entière?

Quand cesserons-nous de séparer les autistes en deux clans: «autistes légers» et «autistes lourds» et prendrons-nous en compte qu'une personne autiste évolue à son rythme unique?

Quand les témoignages d'adultes autistes seront-ils véritablement pris en compte?

Quand les parents auront-ils de l'aide pour accepter et comprendre la condition de leur enfant?

Quand les méthodes d'aide et de soutien seront éthiques et seront en mesure de respecter la pensée autistique?

Quand les parents seront-ils outillés pour offrir une guidance parentale adaptée à la neurologie autistique?

Quand les méthodes d'apprentissage par tutelle latérale seront-elles mises en avant-plan?

Quand aura-t-il des formations pour la gestion et la compréhension des crises (meltown autistique), de l'automutilation et autres comportements problématiques?

Quand allons-nous prendre les besoins particuliers des enfants et leur offrir un soutien adéquat sans l'attente d'un diagnostic?

Quand l'inclusion véritable sera-t-elle favorisée en milieux scolaires et de travail?

J'invite personnellement la ministre Lucie Charlebois, le ministre Sébastien Proulx ainsi que le ministre Gaétan Barrette au premier Salon de la neurodiversité qui aura lieu le dimanche 30 avril prochain au pavillon SH de l'UQAM.

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