Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Des hyperliens aux hypermiens

L'époque est féconde. Si nous devions hasarder une lecture de l'histoire des forces sociales ramenée à l'essentiel, nous dirions que la lutte entre possédants et possédés ou l'affrontement entre entreprenants et assistés, s'est toujours abstraite dans une opposition entre informants et informés.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.
Alamy

L'époque est agitée par une crise de l'ampleur que l'on sait. On y voit une crise économique, sociale, énergétique. N'est-elle pas au plus profond celle de la gouvernance, celle de la place des décideurs économiques, politiques, médiatiques? N'est-elle pas la crise de croissance de la société civile, dont l'issue hors de la contention dans lesquels les institutions la confinent l'annonce comme la force politique, sociale et économique majeure du XXIe siècle? Son atout maître, Internet, qui pourra en être la solution de continuité, de résonance, le lieu singulier de l'émancipation.

L'époque est féconde. Si nous devions hasarder une lecture de l'histoire des forces sociales ramenée à l'essentiel, nous dirions que, nourris de l'exaltation de leur opposition à des fins politiques, la lutte entre possédants et possédés ou l'affrontement entre entreprenants et assistés, s'est toujours abstraite dans une opposition certes froide mais chimiquement pure entre informants et informés.

C'est ce monde qu'Internet a abattu.

L'information est distribuée, le savoir ubiquitaire, rompant le système qui aura substitué aux inégalités fondées par la naissance, de nouvelles fondées sur le savoir, pensait-on concurrentes, en fait concourantes. Toutes les barrières à l'entrée de la connaissance sont tombées. Avec Internet, nous faisons l'expérience consciente de notre connexité, de notre proximité, les dynamiques personnels se résolvent dans une connivence collective et la faculté contributive de chacun.

Clé proverbial de la réussite, tout le monde a du réseau. Un réseau d'hyperliens, annonçions-nous, engendrant des hypermiens, par opposition à des structures et des institutions construites dans la fermeture, souvent l'opacité, et par la maîtrise d'un savoir embastillé par un équipage technocratique décalant d'autant les gouvernants de ce qui est la substance même du monde en gestation, l'ouverture et le partage.

À la puissance publique, terme consacré valant démonstration de force de l'État, Internet oppose diversité, désintermédiation, coopération permanente. Au fond, Internet exauce et organise la passation de pouvoir. D'ailleurs, un petit tour dehors, dans le web, montre les premières manifestations d'un dépassement "régalien" de l'État par la société civile: en vrac, wikipedia ou stackoverflow dans l'organisation et l'exploration de nouveaux savoirs, khan academy ou udacity dans leur dispensation, wikileaks ou télécomix dans la sphère des intérêts dits vitaux, un jour git-versionning et co-création de la loi. En substance, l'irruption de la société civile dans tous les domaines de compétences publiques augure d'une révolution dont la crise actuelle est l'annonce, internet le support et l'intelligence collective le principe actif .

L'État ou l'Unité de lieu, de temps et d'action

Dans la complémentarité nécessaire entre un État qui peine et une société civile augmentée par le web, le choc de culture est inévitable. En effet, internet est au fond un nouveau système de coordonnées, et à un nouvel espace-temps, à l'ubiquité, au temps réel, l'État répond par un classicisme désolant: unité de lieu -la nation -, unité de temps - le passé - et unité d'action - l'impôt.

L'État est ici comme un grand dadais dans un monde qui exige réactivité, agilité - il est débordé par la pression d'une société civile informée, alerte, exigeante, elle-même en passe de s'affranchir, notamment du fait des solutions de financement originales et participatives, des laisses serties de subventions publiques. Du coup, une pause est ici nécessaire, car l'État résiste et précisément c'est au nom de la solidarité qu'il prospère.

Or, l'État a essentiellement du pouvoir, et comme tout entité qui a du pouvoir, ne voit pas dans son partage une tentation irrésistible.

Critiqué puisque coûteux, contesté parce qu'envahissant, l'État est posé comme une évidence. Jaloux de son domaine d'intervention, il s'immisce et s'impose un peu partout dans la décision publique. Or l'exclusion sociale, c'est aussi le maintien de la société civile hors des champs de compétences dits de prérogative publique. L'État n'a pas le monopole du coeur et la société civile, organisée dans un tissu associatif dense, ainsi que la société civile économique peuvent générer une valeur ajoutée sociale considérable, servir fins et biens d'intérêts publics.

Car, l'État n'est rien d'autre qu'une réponse fonctionnelle, un instrument de mutualisation, une forme primitive de cloud où nous déposons nombre de biens pour en récupérer de nouveaux. Ainsi, si l'État n'est pas l'instrument de notre mutualisation soumis à notre contrôle, s'il ne sert d'autre intérêt que son maintien, si le service public n'est plus le service du public, si par les prestations sociales il achète davantage sa préservation qu'il ne distribue, alors son action est droite dans l'abus de position dominante, un instrument de contrainte armé d'une garde rapprochée de fonctionnaires tenus par la sécurité de l'emploi, et bardé de règles pour se rendre incontournable... (Indiquons au passage que si l'absence de règle est bien sûr la jungle, son trop plein l'est tout autant, avec un ordre pyramidal totalement figé où l'espèce État domine toutes les autres).

Aujourd'hui, le niveau de désintermédiation que concrétise le web est telle que la faculté d'agir de la société civile n'a de limite qu'elle-même, faisant tomber toutes les bastides dérivées de la raison d'Etat, amenant l'exercice de la puissance publique d'une logique de domaine réservé à une dynamique de domaines partagés.

Ainsi, le poids relatif de la société civile doit amener l'État à se reformuler comme un instrument de coordination, il doit muter en une substance plus maniable, trouvant son atout dans des complémentarités forgés entre expertise et amatorat, il doit s'"API-ser" en favorisant la multiplication d'interfaces au sein de la société civile, s'appuyer massivement sur de nouvelles communautés open source, développeurs, libristes et autres, les élus devenant les modérateurs du débat public, des sortes de Community Citizen Manager.

Au total, plutôt que retranché tel le forcené derrière ses pratiques, l'appareil d'État et sa famille régnante faite de champions frais et moulus dans l'Ena, dont les certitudes sont souvent nos servitudes, doivent accepter de s'ouvrir pour tisser les nouvelles complémentarités qui ressouderont notre espace politique. Actant une présence moins marquée, l'État doit faire le deuil de sa puissance, la révolution de son humilité, avancer autrement que poussé par la voiture balai de l'histoire, s'unir à la société civile et ainsi donner le change à la culture d'aujourd'hui.

Par conséquent, les questions de transparence, d'open data et autres open gov devraient être hissées au rang de priorités nationales.

La sphère de gouvernance doit croître au rythme d'une société civile globale

On l'aura compris, la super-structure État est maintenant travaillé au flanc par une infra-structure, internet, sur laquelle la société civile peut trouver un lieu de choix pour exercer ses activités. Or, si Internet n'a pas de frontières, l'État lui, est un animal politique qui marque son territoire par une réalité bien virtuelle, la nation dont les frontières manifestent la limite. Au fond, le clivage droite-gauche n'est rien auprès de la vraie ligne de démarcation séparant ceux qui pensent que les solutions se puisent dans la nation et son détonateur patriotique, et ceux qui pensent qu'elles se formuleront dans son dépassement, l'Europe devenant alors une étape sur la voie d'une gouvernance mondiale faisant de la confiance dans une société civile globale son socle.

En effet, nous voyons ici un des points de tensions majeurs de notre époque: l'inadéquation entre l'espace de déploiement des identités, des mobilisations collectives, des sphères de partage, des communautés, aujourd'hui mondiales, et les États-nations qui tentent de les retenir dans le flatteur génie du peuple et au fond de les camisoler dans un territoire mythologique. Car, les communautés ne sont plus nécessairement religieuses, nationales ou familiales, dominées qu'elles sont par l'évidence du sentiment d'appartenance, elles sont des communautés d'actions et d'intérêt entendus, ponctuels ou durables.

La sphère d'appartenance de l'homme est multimodale, en mouvement constant: sur internet, l'homme moderne même assis est nomade. Il nous semble que la société civile globale est un continent émergent aussi bien que la nation nous paraît devenir un lieu de désertion, d'abdication, un shoot dangereux avec l'exaltation comme avers et l'irrationnel comme revers, la fierté comme adrénaline et le repli comme fatalité, bref la nation n'est plus l'édifice nécessaire à la construction d'un destin collectif, pire son maintien est dangereux car en réalité Austerlitz explique Waterloo.

En substance, l'enjeu est de définir une nouvelle alliance entre la société civile, et l'État et à ce titre, pour reprendre un terme emprunté à la bio-génétique, Internet est notre saltation, comme l'imprimerie en son temps, une variation brusque dans l'organisation des sociétés, une configuration des interactions humaines selon un modèle réticulé, neuronal, la nature faisant manifestement le pari d'une organisation distribuée pour abriter ses fonctions vitales.

__________________________________________

Pour mémoire, en ramenant les dépenses annuelles des organisations de la société civile (non économique) au PIB des pays, la société civile mondiale pèse pour la sixième économie mondiale.

VOIR AUSSI

Facebook: 1 milliard d'utilisateurs actifs

Les plus grands pays virtuels

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.