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Contestation de la Loi sur la succession royale: vive la république libre du Québec!

Il ne faut pas se laisser berner par le sentiment d'indifférence par rapport à la monarchie. Le Québec a aujourd'hui le pouvoir de dire: «non, c'est assez, nous n'appartenons pas à ce monde».
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Voici mon troisième et dernier texte au sujet de la contestation judiciaire de la Loi fédérale sur la succession royale.

J'affirmais, dans mon texte précédent, qu'au moins deux questions juridiques de forme se posaient quant à la loi canadienne sur la succession royale. J'ai déjà abordé la première, qui concerne le manque d'effet de cette loi. Voici la seconde question.

Le fédéral détient-il la compétence constitutionnelle pour modifier seul ces règles?

Selon plusieurs constitutionnalistes, non. Il doit plutôt obtenir l'accord des provinces, parce que les modifications aux règles de succession sont visées par la procédure d'amendement de la Constitution.

C'est du moins ce qui ressort d'une décision de la Cour supérieure de l'Ontario, maintenue en Cour d'appel: les règles de succession royale ne peuvent être modifiées par une loi ordinaire telle que celle adoptée unilatéralement par Ottawa, puisqu'il s'agit de normes constitutionnelles requérant un amendement à ladite Constitution, cela dans les règles de l'art.

Autrement, imaginons ab aburdo que les règles de succession royale n'étaient pas de nature constitutionnelle, qu'elles étaient simplement des normes ordinaires, au même titre que n'importe quel règlement municipal, par exemple... Si c'était le cas, ces normes pourraient donc être invalidées en vertu de nos chartes des droits et libertés! Il est certain, dans ce cas de figure, que la loi sur la succession royale ne passerait pas le test des chartes, car on admettra qu'elle est nettement discriminatoire. En effet, le rôle de chef d'État n'est réservé qu'aux héritiers d'une famille privilégiée, la famille Windsor, et en plus les non-Anglicans ne peuvent y accéder! Ainsi, la monarchie constitutionnelle que forme le Canada tomberait!

Décidément, ces règles sont, oui, de nature constitutionnelle au Canada: c'est d'ailleurs ce que le procureur général du Canada a prétendu dans l'affaire ontarienne susmentionnée, qui lui a donné raison. La question de la compétence constitutionnelle du Parlement d'Ottawa pour modifier seul ces règles se pose donc. En fait, il se pourrait même qu'Ottawa ait besoin de l'accord unanime de toutes les provinces, ce qui confèrerait au Québec un droit de véto sur cette question, comme le pense le constitutionnaliste Patrick Taillon de l'Université Laval. Philippe Lagassé, de l'Université d'Ottawa, a lui aussi produit un excellent texte sur le sujet (anglais).

La «charge» de la Reine

Tout tourne autour de la notion de «charge de la reine» inscrite à l'article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982. La question à se poser revient donc à savoir si les règles de succession concernent cette «charge de la reine»? Si c'est le cas, la procédure de modification unanime de la Constitution, qui requiert l'accord de toutes les provinces, de la Chambre des communes, du sénat et du gouverneur général, sera effectivement le véhicule approprié.

Et il existe quelques bons arguments pour soutenir cette thèse. L'équivalent anglais de la «charge de la reine» dans la Constitution, c'est l'Office of the Queen. Or, au plan étymologique, le terme office, par ailleurs synonyme de «charge», dérive du latin officium, lequel renvoie à une fonction publique transmissible héréditairement. Aussi, le réputé juriste anglais Blackstone écrivait au 18e siècle que l'office et la personne qui en est chargée forment une société unipersonnelle, a corporation sole, absolument indivisible. Le corolaire d'une charge pour la personne qui en est responsable, c'est son habilité à l'exercer. Dans le cas de la charge royale, ce sont les règles de succession et d'accession qui déterminent la personne qui, parmi les membres de la famille royale, est habile à l'exercer...

Un dangereux précédent

Dans l'hypothèse où il serait reconnu que la Loi fédérale sur les règles de succession est valide et génère ses effets en droit interne canadien, cela pourrait constituer un dangereux précédent pour le Québec. Parce que cela voudrait dire qu'Ottawa pourra désormais modifier seul certaines règles de droit constitutionnel, sans avoir à passer par les provinces.

Ce pourrait notamment être le cas pour tous les documents constitutionnels ne faisant pas partie de la constitution dite formelle du Canada, comme les règles de succession royale qui sont contenues pour l'essentiel dans l'Act of Settlement de 1701, mais qui ne sont pas mentionnées dans la définition formelle de la Constitution canadienne édictée au paragraphe 52(2) de la Loi de 1982. Donc, on peut penser que le fédéral pourrait unilatéralement modifier l'Acte de Québec, la Loi sur la Cour suprême (cela a déjà fait l'objet d'une controverse, qui n'est toujours pas résolue) et certains traités, etc.

Conclusion: soyons alertes!

Il ne faut pas se laisser berner par le sentiment d'indifférence par rapport à la monarchie, même si c'est tentant.

Il s'avère que la Constitution canadienne qui nous a été imposée de force pourrait cette fois requérir notre accord pour que le monde britannique puisse continuer à jouer à la fée clochette ainsi qu'au star system monarchique. Je me souviens que ce beau rêve impérial s'est toutefois fait sur notre dos, sur la mort de la Nouvelle-France, sur la déportation des Acadiens, sur la pendaison des Patriotes, sur la subordination de la nation québécoise et sur la mise en tutelle des Premières nations.

Après le refus cinglant d'Ottawa d'abroger la Loi sur la clarté référendaire, le Québec a aujourd'hui une occasion de pouvoir dire: «non, c'est assez, nous n'appartenons pas à ce monde».

Et de toute façon, ce n'est pas en restant indifférents qu'on arrivera à changer grand-chose. Or, il est temps pour le Québec de devenir une république libre et indépendante, et de passer à autre chose, en rejetant ces institutions d'un autre âge qui, honteusement, nous régissent encore. Alors, soyons fiers et surtout, donnons-nous un pays à notre image, dont la constitution sera, en toute légitimité démocratique et en toute légalité, celle du peuple québécois!

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