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«Innocence of Muslims»: le rôle de la propagande derrière la violence

Ce film est un ouvrage de propagande qui a grandement atteint ses objectifs, alors que les extrémistes religieux (qu'ils soient chrétiens, juifs ou musulmans) instrumentalisent ces évènements pour leurs propres fins. Tout d'abord, ce film n'était pas destiné aux chrétiens: le public ciblé était le monde musulman. Pour comprendre ceci, il faut comprendre comment fonctionne la propagande. Il existe trois types de propagande : la propagande blanche, la grise puis la noire.
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Tous connaissent aujourd'hui l'existence du film d'extrêmement piètre qualité qu'est «Innocence of Muslims». Les extraits diffusés sur YouTube ont littéralement mis le monde arabe à feu et à sang. Certains y voient une atteinte à la liberté d'expression, d'autres y voient une preuve que la religion musulmane est intolérante alors que d'autres voient en ce navet une insulte à la religion musulmane sous l'œil complice du Mossad et de la CIA. Une chose est sûre ; ce film est un ouvrage de propagande qui a grandement atteint ses objectifs, alors que les extrémistes religieux (qu'ils soient chrétiens, juifs ou musulmans) instrumentalisent ces évènements pour leurs propres fins.

Un film destiné aux musulmans?

Tout d'abord, ce film n'était pas destiné aux chrétiens: le public ciblé était le monde musulman. Pour comprendre ceci, il faut comprendre comment fonctionne la propagande. Il existe trois types de propagande : la propagande blanche, la grise puis la noire. La propagande blanche est signée par le véritable auteur. Le but est « d'informer » (c'est-à-dire d'influencer) tout en s'identifiant clairement comme étant l'auteur. Par exemple, lors de campagnes électorales, les partis politiques doivent impérativement faire approuver et signer leurs messages publicitaires par leur agent officiel. Que cette information soit fausse ou véridique, l'auteur est facilement identifiable et retrouvable.

La propagande grise est une propagande où l'auteur n'est pas identifié. Ceci peut se faire tout simplement en ne signant pas le message, ou plutôt en utilisant un pseudonyme. Habituellement, elle sert à influencer en misant sur l'ambiguïté derrière son origine. Comme nous avons tous tendance à minimiser l'importance d'un message lorsque nous savons que l'auteur n'est pas impartial, il est parfois utile d'entretenir le doute pour mieux influencer. Dans d'autres cas, la réaction de la population pourrait être néfaste pour l'auteur, d'où l'utilité pour lui d'utiliser un pseudonyme.

La propagande noire est la plus efficace, mais également la plus risquée. Le but est de faire croire que l'auteur est un adversaire quelconque afin de le discréditer et/ou lui attirer les foudres de la population. Par exemple, en Afghanistan, il n'est pas rare que les talibans fassent exploser une bombe en public tout en prétendant par la suite que c'est un missile américain qui a tué des civils. Si un individu n'est pas en mesure de vérifier l'authenticité de cette propagande, il sera plus susceptible de la croire, surtout si son opinion du côté visé est déjà plutôt négative. Ce type de propagande est heureusement illégal au Québec et au Canada, mais à l'ère des réseaux sociaux, il n'est pas rare que certains groupes tentent de l'utiliser. La propagande noire est risquée puisque si le véritable auteur se fait retracer il perdra toute crédibilité auprès de la population et risquera de faire face à de lourdes conséquences.

Innocence of Muslim, de la propagande grise ou noire?

Nous savons tous aujourd'hui que « Sam Bacile » n'est qu'un pseudonyme. Nous savons que le film, clairement hostile à la religion musulmane, vise à influencer la population contre cette religion. Jusque-là, l'utilisation d'un pseudonyme fait automatiquement de son film un ouvrage de propagande grise ou noire. L'individu en question prétendait être un Israélo-Américain ayant été financé par la communauté juive à la hauteur de 5 millions de dollars. Or, nous savons que ceci est faux, que le véritable auteur, Nakoula Basseley Nakoula, est un Égyptien copte ayant immigré aux États-Unis. Et, par la mauvaise qualité du film, nous savons pertinemment que le budget de 5 millions de dollars évoqué par l'auteur est tout aussi faux que son origine. Il s'agit donc clairement d'un film de propagande noire puisque l'auteur prétendait faussement être un Israélo-Américain supporté par la communauté juive. Comme mentionnée plus haut, la propagande noire vise à discréditer l'auteur qui aurait « signé » le message (tout en sachant que le véritable auteur n'est pas celui prétendu) alors que le public cible devrait, si la propagande est efficace, s'insurger contre le prétendu auteur. Dans ce cas-ci, le public cible est le monde musulman, que Nakoula Basseley Nakoula, un activiste antimusulman, souhaitait opposer à Israël.

Avec la montée de la tension entre Israël et l'Iran, l'auteur a tenté d'y apporter son grain de sel en jetant de l'huile sur le feu tout en rejetant le blâme sur les Juifs. Avec l'histoire des caricatures danoises qui avaient embrasé le monde arabe, Nakoula Basseley Nakoula savait pertinemment que la réaction du monde musulman pourrait être similaire avec un film volontairement provocateur. D'ailleurs, autre preuve que le but était de provoquer : même les « acteurs » de ce film ne savaient pas qu'il s'agissait d'un film antimusulman, les voix ayant été doublées au montage lorsqu'il s'agissait de ridiculiser les musulmans et leur prophète.

D'un côté vous avez donc un escroc antimusulman qui souhaite accentuer les tensions entre le monde occidental et les musulmans, d'un autre côté vous avez des extrémistes islamistes qui tentent aussi d'instrumentaliser ce film pour leurs propres fins idéologiques. C'est d'ailleurs la clé du problème : les extraits du film, disponibles sur Youtube depuis plus de deux mois, étaient passés inaperçus jusqu'au 11 septembre où l'ambassadeur américain en Lybie fut assassiné lors d'une attaque que l'on sait aujourd'hui planifiée par des groupuscules islamistes. Ceux-ci ont fait usage de leur propre propagande, disant que le film était produit par le gouvernement américain et par Israël, manipulant facilement la foule (« psychologie des foules » : le sentiment d'invulnérabilité d'une foule peut lui faire faire des stupidités, comme nous pouvons parfois le constater ici après une victoire du Canadien dans les séries éliminatoires) et utilisant la désinformation afin de mener à bien leur plan. D'autres groupes, comme Al Qaeda et les talibans, font de même, usants de désinformation afin d'arriver à leurs fins.

Et les musulmans dans tout cela?

Évidemment, plusieurs sont portés à critiquer les musulmans et leur soi-disant fermeture d'esprit. Pourtant, il faudrait plutôt regarder du côté de la communauté musulmane occidentale (qui vit donc dans une condition socio-économique similaire à celle de la majorité de la population) qui a généralement eu une réaction exemplaire, c'est-à-dire que les musulmans occidentaux ont exprimé leur indignation dans le respect des lois et pour la très grande majorité de ceux-ci sans remettre en question le principe de la liberté d'expression. Pour ce qui est des pays musulmans, leur réalité sociale n'a rien à voir avec la nôtre, avec des écarts de richesse fort élevés et une scolarisation postsecondaire souvent moindre que dans les sociétés occidentales. À titre comparatif, nous n'avons qu'à reculer d'une centaine d'années pour voir que ce type de violence contre d'autres communautés religieuses était fréquent en occident lorsque les écarts de richesses et la scolarisation faisaient également défaut (par exemple, la montée du fascisme en Europe n'aurait jamais été possible sans la crise économique). Bref, la cause des violences n'est pas la religion musulmane ; l'instrumentalisation par des groupuscules explique ces dérapages. La peur, ici comme ailleurs, est un outil extrêmement efficace pour arriver à des fins idéologiques. Il nous incombe de ne pas nous laisser influencer par celle-ci!

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