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La bienveillance pour réconcilier l'économie à court terme, la qualité de vie à moyen terme et l'environnement à long terme

Le juste milieu entre croissance et décroissance se situe donc dans une harmonie durable, c'est-à-dire une situation qui assurerait à chacun un mode de vie décent et réduirait les inégalités tout en cessant d'exploiter la planète à un rythme insoutenable.
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La question de l'environnement est complexe du point de vue scientifique, économique et politique. Mais en définitive, il s'agit d'une opposition entre altruisme et égoïsme. Si nous ne nous soucions pas du destin des générations futures et des millions d'autres espèces qui sont nos concitoyens dans ce monde, nous n'avons guère de raison de nous inquiéter de la question de l'environnement : nous ne serons plus là dans une centaine d'années.

Nous devons donc comprendre que l'altruisme est le seul concept qui peut réconcilier à la fois les besoins de l'économie à court terme, la qualité de vie à moyen terme et l'environnement à long terme.

On peut supposer que la vaste majorité des gens sont de bonne volonté et ont le désir de bâtir un monde meilleur. Ce but peut être accompli grâce à la bienveillance. Si nous avons plus de considération pour l'autre, nous mettrons en place une économie solidaire, nous ferons de notre mieux pour remédier aux inégalités et promouvoir ainsi une meilleure harmonie dans la société. Nous ferons tout ce qu'il faut pour ne pas outrepasser les "limites planétaires" au sein desquelles l'humanité et le reste de la biosphère pourraient continuer à prospérer.

Nous sommes tous dans le même bateau, nous sommes fondamentalement interdépendants et nous avons donc besoin de rehausser le niveau de notre coopération et de notre solidarité.

Que serait le monde si les chefs d'État reconnaissaient sans ambiguïté qu'une croissance sans fin est inconcevable et qu'ils doivent donner la priorité à une gestion sensée et équilibrée des ressources naturelles ? Trop souvent, les hommes politiques s'inquiètent davantage des prochaines élections que des prochaines générations.

On fait grand cas de l'intelligence humaine tout en justifiant par des arguments spécieux notre "domination sur la nature", aussi illusoire qu'éphémère, et notre instrumentalisation massive des autres espèces vivantes.

L'économiste et environnementaliste chilien Manfred Max-Neef affirme que le remarquable développement de l'intelligence humaine s'est accompagné de la faculté de s'aveugler volontairement devant la réalité. Une colonie de fourmis, une bande d'oiseaux migrateurs ou une meute de loups ne se comportent jamais de façon "stupide" et ne prennent pas de décision qui nuise à leur survie ou à celle de leur espèce. Max-Neef en conclut de manière provocatrice que la "stupidité est le propre de l'homme". Son intention n'est pas d'offenser les humains, mais de les inciter à davantage de bon sens.

La vision caricaturale de l'homo economicus, celui qui n'a d'autre but que de promouvoir ses intérêts et ses préférences personnelles faire place à celle de l'homo altericus, qui prend en considération l'intérêt de tous. Si la main invisible de l'économie dérégulée du libre marché est celle d'un aveugle égoïste, les conséquences pour la société ne peuvent être que désastreuses.

Simon Kuznets, lauréat du prix de la banque de Suède en mémoire d'Alfred Nobel, avait montré il y a déjà soixante ans que le "revenu national" -- l'ancêtre du PNB (produit national brut) et du PIB (produit intérieur brut) -- ne mesure que quelques aspects de l'économie et ne devrait jamais servir à évaluer le bien-être, voire les progrès d'une nation : "Le bien-être d'un pays peut [...] difficilement se déduire de la mesure du revenu national", écrivait Kuznets dès 1934. Il attirait l'attention sur le fait qu'il ne fallait pas se contenter de s'interroger sur ce qui augmente quantitativement, mais sur la nature de ce qui augmente : "Il faut garder à l'esprit la distinction entre quantité et qualité de la croissance [...]. Quand on fixe comme objectif "plus" de croissance, il faudrait préciser plus de croissance de quoi et pour quoi faire".

Le PIB comptabilise la pollution de l'air et la publicité pour les cigarettes et les revenus des ambulances qui s'occupent des blessés lors des accidents de la route, le commerce des armes, le trafic de drogue et d'êtres humains. Il prend aussi en compte des merveilles de la nature. Mais il ne tient pas compte de la santé de nos enfants, de la beauté de notre art, ni notre sagesse, ni notre compassion. Comme le disait Ted Kennedy : "En résumé, le PIB mesure tout, sauf ce qui donne de la valeur à notre vie."

Or, rien ne peut remplacer l'air pur, une végétation intacte et des terres saines et fertiles. Il est donc essentiel de distinguer et d'évaluer à leur juste valeur les différents types de capitaux - industriels, financiers, humains et naturels - et d'accorder à chacun l'importance qu'il mérite.

Le dernier rapport du GIEC - le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat - nous avertit sans ménagements d'un réchauffement climatique de 4,8 °C d'ici 2100 si les émissions de gaz à effet de serre continuent de progresser au rythme de la dernière décennie. Le monde sera, dans ce cas, très différent de ce qu'il est aujourd'hui. Nous sommes rentrés dans l'anthropocène, "l'ère de l'homme." N'y resterons-nous que le temps de ruiner notre propre habitat ?

Au cours des 3,5 milliards années d'évolution de la vie sur Terre, la planète a connu cinq grandes extinctions. La dernière, très probablement due à la chute d'un astéroïde dans le golfe du Mexique, remonte à soixante-cinq millions d'années. Elle entraîna la fameuse disparition des dinosaures, mais aussi de 62 % des espèces sur Terre. Or au rythme actuel, 30 % de toutes les espèces auront déjà disparu d'ici 2050. Et bien davantage d'ici la fin du siècle. Nous serons ainsi responsables de la sixième extinction.

Rien dans tout cela ne relève de la fatalité. Il est possible d'orienter différemment le cours des choses, pour peu qu'il y ait une volonté populaire et politique. Même dans le monde économique, le respect des valeurs humaines incarnées dans l'altruisme n'est pas un rêve idéaliste, mais l'expression pragmatique de la meilleure façon d'arriver à une économie équitable et à une harmonie durable, concept que j'ai proposé dans Plaidoyer pour l'altruisme. Le terme "développement durable" est en effet trop ambigu, puisqu'il évoque dans bien des esprits une croissance quantitative, laquelle ne peut être durable du simple fait qu'elle requière l'utilisation toujours plus grande d'un écosystème fini. Nous ne disposons pas de 3 ou 5 planètes. Selon l'environnementaliste Johan Rockström, on ne pourrait mieux décrire l'hérésie d'une économie qui croît aux dépens mêmes des ressources premières qui lui permettent d'exister : "La population mondiale augmente, la consommation augmente, mais la Terre, elle, n'augmente pas."

Aujourd'hui, mieux vaut rechercher une croissance qualitative des conditions de vie qu'une croissance quantitative de la consommation. Il est donc nécessaire de changer de cap et de s'attacher à construire dès aujourd'hui une société fondée davantage sur le bien-être que sur la richesse économique. D'où les notions de "simplicité volontaire" et de "sobriété heureuse".

Ce but peut être atteint en évitant l'immense gaspillage auquel s'adonnent les pays développés, en multipliant les améliorations technologiques (rénovations thermiques, etc.), en consommant des produits locaux et saisonniers, en réduisant au moins de moitié la consommation de viande (la production de viande par l'élevage industriel contribue aujourd'hui à 15 % des gaz à effet de serre, et vient en deuxième position, après les bâtiments, mais avant les transports), et en donnant la priorité absolue aux énergies renouvelables : biogaz, éoliennes et énergie photovoltaïque. Au Danemark, 40 % de l'électricité consommée sont actuellement d'origine renouvelable, et ce pays prévoit d'atteindre les 100 % en 2050.

Le juste milieu entre croissance et décroissance se situe donc dans une harmonie durable, c'est-à-dire une situation qui assurerait à chacun un mode de vie décent et réduirait les inégalités tout en cessant d'exploiter la planète à un rythme insoutenable. Pour parvenir à cette harmonie et la maintenir, il faut donc d'une part sortir un milliard de personnes de la pauvreté, réduire la consommation galopante propre aux pays riches, s'approcher partout dans le monde des 100 % d'énergies renouvelables et rendre un visage humain à l'économie mondiale. Il faut également prendre conscience qu'une croissance matérielle illimitée n'est nullement nécessaire à notre bien-être. On sait par exemple que dans les dix années à venir la croissance économique de l'Europe et de bien d'autres pays va très probablement stagner. Il vaut donc mieux rediriger notre attention vers une croissance qualitative de la satisfaction de vie et vers la préservation de l'environnement. C'est ainsi que nous pourrons relever le grand défi de notre époque, celui de concilier les exigences de la prospérité, de la qualité de vie et de la protection de l'environnement, à court, à moyen et à long terme.

La simplicité volontaire ne consiste pas à se priver de ce qui nous rend heureux - ce serait absurde -, mais à mieux comprendre ce qui procure une satisfaction véritable et à ne plus être assoiffé de ce qui engendre davantage de tourments que de bonheur. La simplicité volontaire est à la fois heureuse et altruiste. Heureuse du fait qu'elle n'est pas constamment tourmentée par la soif du "davantage" ; altruiste, car elle n'incite pas à concentrer entre quelques mains des ressources disproportionnées qui, réparties autrement, amélioreraient considérablement la vie de ceux qui sont privés du nécessaire.

Une société responsable doit allier la liberté d'accomplir son propre bien à la responsabilité de ménager celui des générations à venir.

Ce billet de blogue a été initialement publié sur le HuffPost France

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