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Qui est Qassem Soleimani, le nouvel ennemi juré de l'Etat islamique?

Un ancien agent de la CIA dit de lui: «C'est le stratège le plus puissant du Moyen-Orient et personne n'en a jamais entendu parler ». Et pour cause, Soleimani est un homme de l'ombre qui cultive le mystère, devenant progressivement une figure de guerrier quasi-mythologique pour les Iraniens et les Chiites en général.
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Dans son dernier message diffusé sur Internet, Abu Mohammed al-Adnani, porte-parole de l'État islamique, désigne le véritable ennemi de l'organisation : "Oh sunnites ! L'alliance entre les juifs et les chiites est claire aujourd'hui. Voici l'Iran alliée à l'Amérique se partageant les rôles dans leur guerre contre l'Islam et les sunnites. (...) Le leader de cette bataille est l'immonde (sic) Safavide Soleimani : il est leur maître et celui qui reçoit leurs bénédictions".

Dans ce message long d'une trentaine de minutes, Soleimani est le seul ennemi de l'État islamique cité par son nom. Ce n'est pas un hasard.

Depuis 1998, le général Qassem Soleimani est à la tête des forces spéciales Al-Qods, en charge des opérations extérieures au sein de l'armée d'élite des Gardiens de la révolution iranienne. Soleimani a rejoint dès 1979 les rangs des gardiens de la révolution après la chute du shah d'Iran. Il s'illustra lors de la guerre Iran-Iraq de 1980 à 1988. Devenu commandant des forces Al-Qods en 1998, il a joué un rôle majeur dans le renforcement militaire du Hezbollah libanais puis lors de la guerre d'Iraq où il a été responsable, en supervisant et guidant des milices au sol, de la mort de centaines de soldats américains. Ce qui a fait de lui un ennemi mortel des Etats-Unis qui l'a désigné à plusieurs reprises comme un "chef terroriste". C'est aussi lui qui a été déterminant dans le maintien au pouvoir de Bachar El-Assad en 2012 en dirigeant de facto les opérations militaires contre les rebelles.

Malgré ce parcours hors norme, Soleimani est resté longtemps peu connu du grand public. Le New Yorker l'a surnommé le "Shadow commander" (le commandant de l'ombre) dans un long et documenté portrait paru en 2013 . Cité dans cet article, un ancien agent de la CIA dit de lui : "C'est le stratège le plus puissant du Moyen-Orient et personne n'a jamais entendu parler de lui". Et pour cause : Soleimani est un homme de l'ombre qui cultive le mystère, devenant progressivement une figure de guerrier quasi mythologique pour les Iraniens et les chiites en général.

Mais l'homme de l'ombre est soudainement apparu à la lumière ces derniers mois dans le conflit qui oppose les forces irakiennes à l'État islamique, notamment à Tikrit où une terrible bataille est engagée. On a ainsi vu circuler sur les réseaux sociaux des images de Soleimani aux côtés de milices chiites ou encore de combattants kurdes en Iraq. On y aperçoit un homme souriant, charismatique, entouré de soldats dont l'admiration se lit sur leur visage. Dans une autre image qui a beaucoup circulé, le chef de guerre entre dans la ville de Tikrit entouré de chars d'assaut et de soldats, tel un libérateur. L'effet est saisissant. Une brève vidéo a également été mise en ligne sur YouTube il y a quelques jours : Soleimani y dispense des conseils religieux à des soldats assis autour de lui.

Cette apparition en pleine lumière en a surpris plus d'un, à commencer par l'ancien directeur de la CIA, le général David Petraeus, qui évoquait par ces mots le rôle de Soleimani dans une récente interview: "Il opère de manière surprenante au grand jour, ce qui est étonnant pour quelqu'un comme lui plutôt habitué à évoluer dans l'ombre. C'est... préoccupant".

En réalité, on ne peut comprendre cette singulière émergence qu'en la replaçant dans le contexte de la guerre de l'information et de propagande qui se joue en arrière-plan de la guerre terrestre entre les forces iraquiennes, soutenues par l'armée iranienne, et l'État islamique. Interrogé dans le cadre de cet article, le chercheur en études stratégiques Jean-Michel Valantin (auteur notamment de "Hollywood, Washington et le Pentagone", 2004) estime que "la mise en scène médiatique de sa présence et de son action sur le terrain correspond à une stratégie de communication politique qui a pour but d'asseoir la légitimité de la présence des Iraniens aux côtés des Irakiens, combattant ensemble contre l'État islamique". Il ajoute qu'à travers les séquences télévisées et les photos de Qassem Soleimani en Iraq, "celui-ci devient la figure héroïque de celui qui combat la tyrannie de l'État islamique, ce qui là encore est une source de légitimité considérable". Après la diffusion des clichés de Soleimani aux côtés des forces combattant l'EI, il a été aussitôt célébré comme un héros national en Iran où les nouvelles générations découvraient cet homme hors du commun, sorti tout droit d'un film ou d'un roman d'espionnage. Signe de cette ferveur, Soleimani a été désigné il y a quelques jours "homme de l'année" dans un sondage d'un site iranien d'information.

Dans la stratégie géopolitique de l'Iran au Moyen-Orient, le général Soleimani est donc devenu la figure mythologique qui incarne le renouveau de l'influence iranienne dans la région, face à un État islamique qui a lui aussi ses mythes et son leader charismatique en la personne d'Abu Bakr al-Baghdadi. Et en miroir, l'État islamique fait de lui l'ennemi à abattre, celui justement qui leur permet de jouer pleinement la carte du conflit communautaire entre sunnites et chiites, moteur de mobilisation essentiel dans leur stratégie de conquête territoriale. Car la guerre qui fait rage en Iraq et en Syrie est aussi une guerre de communication, une guerre des mythes où les symboles deviennent des vecteurs stratégiques presque aussi puissants que les offensives militaires sur le champ de bataille.

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