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Quoi penser des infirmières qui s'autodénoncent?

Nous sommes déchirés entre nos obligations professionnelles et notre capacité limitée à prodiguer des soins sécuritaires à cause du contexte de surcharge de travail.
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L'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) est sorti publiquement ces derniers jours pour nous apprendre une situation préoccupante au sein de ses membres. En effet, plusieurs infirmières ont appelé l'OIIQ pour déclarer qu'elles n'étaient pas aptes à remplir leurs responsabilités professionnelles à cause des conditions de travail. Pourquoi en être rendu là? Décortiquons la situation ensemble.

L'autodénonciation, c'est faire preuve d'un professionnalisme remarquable

Pensez-y un instant, vous avez épuisé tous les moyens dont vous disposiez dans votre établissement pour déclarer des situations dangereuses et rien n'a changé. En plus, on vous force à rester en temps supplémentaire obligatoire de plus en plus fréquemment. Vous êtes rendu à un point tel sans ressource que vous vous autodénoncez à votre propre Ordre professionnel. Je ne sais pas pour vous, mais je trouve ce geste tout simplement exemplaire. Il n'existe presque aucun moyen pour une infirmière d'avoir des preuves pour la soutenir si une erreur survient lors d'un quart de travail totalement chaotique et où les ressources nécessaires étaient tout simplement absentes. Alors que faire? Appeler pour laisser des preuves!

La pointe de l'iceberg

Il est certain que les centaines d'appels reçus par l'OIIQ peuvent paraître impressionnants, mais je crois que nous n'avons vu que la pointe de l'iceberg. Nous devons nous attendre à une augmentation des autodénonciations, car la crise est à un point tel grave que plusieurs infirmières ne savent plus vers qui se tourner. Nous sommes déchirés entre nos obligations professionnelles et notre capacité limitée à prodiguer des soins sécuritaires à cause du contexte de surcharge de travail. Le pire sentiment qu'une infirmière peut avoir est celui de rentrer chez elle en ayant l'impression de ne pas avoir prodigué les soins qu'elle aurait dû. Ce sentiment est de plus en plus présent parmi les infirmières, ce qui va en amener plusieurs à dénoncer les situations dangereuses et à s'autodénoncer dans un but ultime de faire bouger les choses.

Le pire sentiment qu'une infirmière peut avoir est celui de rentrer chez elle en ayant l'impression de ne pas avoir prodigué les soins qu'elle aurait dû.

Ne regardez pas que nous

On parle ici d'autodénonciation, car nous ne pouvons pas remplir nos obligations professionnelles. Je me demande si les autres Ordres professionnels ont aussi eux des vagues d'autodénonciations. Je pense notamment à celle des inhalothérapeutes, car certaines d'entre elles m'ont relaté des faits troublants en lien avec leur surcharge de travail. Effectivement, ceux-ci aussi sont en nombres limités et n'ont pas de ratio. Rappelons que ceux-ci prodiguent des soins respiratoires essentiels à des patients souvent aux prises avec des affections respiratoires aiguës. Il m'est souvent arrivé d'appeler ceux-ci pour des patients nécessitant des traitements urgents et que ceux-ci étaient tout simplement incapables de suffire à la demande, car des demandes urgentes, ils en avaient en quantité monstre. Ceux-ci se font répondre par leurs supérieurs que si certains patients ne reçoivent pas leur traitement, bien que ce n'est pas plus grave. Non, mais dans quel système de santé sommes-nous?

Le système semble faire ce qu'il veut avec ces professionnels de la santé.

D'autres n'ont pas la chance de s'autodénoncer. Je parle ici des préposés aux bénéficiaires. Ceux-ci n'ont pas d'Ordre professionnel, ils n'ont donc pas de code de déontologie. Vers qui peuvent-ils se tourner? Le système semble faire ce qu'il veut avec ces professionnels de la santé. Je suis certain qui s'ils avaient un Ordre, de nombreux appels y seraient logés.

Des déclarations d'incidents aux oubliettes?

Lorsque survient une situation dangereuse dans un centre hospitalier, les employés ont l'obligation de remplir une déclaration pour rapporter l'incident en question. Or, la transmission de ces rapports est nébuleuse. Nous avons parfois l'impression que ces rapports sont traités arbitrairement par nos supérieurs immédiats. En effet, ce sont ceux-ci qui décident de la pertinence de faire acheminer ces rapports à de plus hautes instances. Si un rapport blâme sévèrement l'unité de soins, on dirait que les rapports ont tendance à se faire déchirer pour ne pas se rendre plus loin. Parfois, on se fait carrément dire de ne pas en remplir. Or, en tant que professionnels de la santé, c'est notre devoir de dénoncer des situations qui mettent en danger nos patients. Je crois que la façon dont ces rapports sont traités nous force à user d'imagination pour que les situations soient rapportées. Un système informatique permettant d'acheminer l'information aux instances concernées sans traitement arbitraire de la part de notre organisation serait approprié.

Constat de la situation

Bien que la crise m'inquiète énormément, je me rassure de voir que mes confrères et consœurs font preuve d'un professionnalisme digne de mention. Ce sont eux qui vont amener le changement dans ce système de santé, car ce sont leurs témoignages qui permettent de réaliser à quel point le système est malsain. Des changements doivent s'opérer dans la façon dont les professionnels de la santé peuvent transmettre l'information sur les situations dangereuses sans que ceux-ci soient censurés. Je crois que dans les prochaines semaines la vague d'autodénonciation ne va qu'augmenter et que d'autres professionnels vont faire de même. Je suis heureux de voir l'OIIQ finalement sortir dans les médias, car jusqu'à présent j'avais le sentiment que c'était un combat mené par une poignée d'infirmiers et d'infirmières. La plupart de ceux-ci sont des étudiants, des travailleurs à temps plein ou bien des mères de famille, mais ils ont tous trouvé le temps de se battre pour que la population reçoive les soins dont elle a le droit. L'appui de l'OIIQ vient une fois de plus confirmer au gouvernement que rien ne va plus et que la santé des patients est en jeu.

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