Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Le repos de l'enseignant

Si d'aucuns s'accordent souvent pour leur reconnaître un dévouement qui les dépasse, d'autres pensent plutôt qu'avec deux mois de vacances, les enseignants ne peuvent se plaindre de l'intensité de leur travail.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

«Faites votre part bande de paresseux payés par mes taxes. À 200 jours par années, vous avez trop de temps libres pour chialer contre notre gouvernement majoritaire.» -Steve Cassio*

Si d'aucuns s'accordent souvent pour leur reconnaître un dévouement qui les dépasse, d'autres pensent plutôt qu'avec deux mois de vacances, les enseignants ne peuvent se plaindre de l'intensité de leur travail.

Soit.

Mais jusqu'où peut-on pousser ce type de raisonnement ? À quel point leurs fameuses vacances interdisent aux enseignants de se dire accablés?

Lucien Francoeur affirmait carrément, il y a plusieurs années, que sans ces deux mois de vacances, il pourrait tout aussi bien se «crisser une balle dans la tête». Le fait est que cette profession use davantage les nerfs que les mains, et que l'épuisement subséquent n'est pas tellement de nature à faciliter le sommeil, qu'il s'agisse de corrections interminables ou de soucis pour des enfants trop souvent laissés à eux-mêmes.

Quoi qu'il en soit, il ne faut pas naïvement réduire les difficultés du métier aux conditions logiquement préalablement acceptées, qu'elles soient comprises ou non pas les non initiés.

En fait, l'épuisement, la frustration et le cynisme des enseignants dépendent bien moins de leurs élèves que du cadre qui leur est imposé dans l'exercice de leur travail, et dans lequel beaucoup se sentent trahis et impuissants. En résulte une détresse éthique où l'enseignant «se trouve à devoir affronter l'impossible arbitrage entre, d'une part, ce que sa conscience professionnelle lui dicte de faire en fonction des exigences de la situation et, d'autre part, ce que les ressources dont il dispose lui permettent de faire.»

«Pleure pourriture de fonctionnaire syndiqué!» - Benoit Perrin*

En réaction, l'enseignant classique aura bien souvent le réflexe de palier lui-même aux ressources manquantes, et appréciera infiniment que son temps supplémentaire soit payé en sourires d'élèves, en petites victoires et en graines d'espoir. Mais cette abnégation pourra néanmoins lui coûter son moral, son idéal, sa santé. Survie oblige, donc, risquera de se développer en lui, voire malgré lui, un certain détachement.

Jamais toutefois il n'échappera aux jugements de tous ceux qui l'observeront, année après année, comme s'il avait l'obligation d'être en tout temps grandiose et mémorable, peu importe ses groupes, peu importe sa vie personnelle. On lui reprocherait presque de simplement se contenter d'enseigner.

Paradoxalement, c'est à ce simple rôle d'exécutant que semble le reléguer l'orientation du système d'éducation, toujours selon cette logique de rentabilité propre à l'austérité, alors qu'un objectif de productivité semble tranquillement prendre le pas sur l'idéal d'élévation qui définissait l'école. Tout doit justifier l'investissement le plus limité possible, car seuls les bienfaits à court terme - politiques - semblent prévaloir tandis que les enseignants, comme bien d'autres serviteurs de l'État, restent vulnérables aux préjugés d'éternels insatisfaits qui bien souvent n'auront d'autres considérations que celles liées à l'argent dont ils se croient dépouillés.

«Pauvre ti-pit. Si ça fait pas, changes de job, t'es pas fait pour celle-là.» -Richard Cyr*

D'aucuns pourraient croire que les pires insultes visant les enseignants proviennent de quelques enfants mal élevés. En fait, les commentaires les plus irrespectueux auxquels nous ayons droit sont généralement des raccourcis intellectuels fâcheux et fâchant, plus ou moins anonymes, exprimés dans un langage et un raisonnement si imparfaits qu'ils témoignent indubitablement de la première nécessité de notre dévouement.

Ceux-là de nos concitoyens qui les rédigent sont la preuve même pour bien des enseignants qu'ils doivent, hélas, redoubler d'efforts.

Que, de votre point de vue, vous considériez davantage les meilleurs ou les pires, il faudra toutefois retenir que tous les profs souhaitent faire une différence dans la vie de leurs élèves. Contribuer à leur épanouissement, et idéalement à la société. L'honnêteté commande alors selon moi d'avoir autant d'empathie et de respect pour cet enseignant qui nous a marqués que pour celui dont le groupe, souvenez-vous, est finalement venu à bout. Au fond, peut-être que ces quelques semaines de vacances permettent de ne garder aucune rancune de l'ingratitude de nos élèves, de mieux tolérer l'insouciance de leur jeunesse pour pouvoir adéquatement recommencer et apprécier les suivants.

Peut-être aussi, j'ai tendance à le penser, que bien des travailleurs seraient en droit d'exiger à leur tour, pour eux et leur famille, davantage de vacances leur permettant un meilleur équilibre de vie.

Mais c'est un autre débat.

* Commentaires prélevés sur le site du Journal de Québec et sur Facebook à la suite d'un article intitulé Lettre à «mon patron» Yves Bolduc: un enseignant se vide le coeur, le 22 décembre 2014.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Manifestation pour un réinvestissement dans l'éducation (16 janvier 2016)

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.