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Le second degré (ou l'excuse de Martineau)

À force de se prononcer sur tout et rien quotidiennement avec l'assurance d'un expert dans le prêt-à-porter de l'opinion, il est inévitable un jour ou l'autre de se planter.
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S'il n'était nul besoin de démontrer que la popularité ne fait pas pour autant la qualité, il est quand même intéressant de voir un chroniqueur de la trempe de Martineau s'étonner lui-même de l'effet qu'il produit.

Fou à quel point certaines personnes imbéciles ne savent pas lire un texte...

Un adulte sur deux est analphabète au Québec, rappelez-vous!

La capacité de lire un texte au deuxième degré (exercice qui demande un peu d'intelligence) n'est visiblement pas donnée à tout le monde....

Aujourd'hui, si Yvon Deschamps récitait son monologue Nigger Black, 90 % des gens le prendraient au premier degré...

Quoi qu'il pourrait en penser, je ne suis pas un imbécile analphabète fonctionnel.

Même si je trouvais son texte, Les filles c'est nono, d'une extrême médiocrité, il m'apparaissait néanmoins impossible qu'il se révèle ouvertement aussi misogyne. Ce deuxième degré, je l'ai donc déduit par défaut, par élimination. En me fiant davantage sur ce qui était improbable que sur ce que je devais vraiment comprendre. D'ailleurs, je relis ce texte, et je me demande encore ce qu'il faut y comprendre. C'est, au mieux, un projet à oublier.

Un deuxième degré suppose qu'il y ait une morale, un message d'origine, une intention de communication. Une chute. Il faut que ce qui y est dénoncé soit, malgré le second degré, perceptible. C'est le mandat de l'auteur, et le lecteur lui fait confiance. Car après tout, c'est un professionnel.

S'il y avait cette intention, mais qu'elle ne fut pas perçue, la faute ne peut reposer seule sur les destinataires. Ou, dans ce cas-ci, sur la moitié de la population québécoise. L'auteur a toujours le mérite, ou le fardeau, de ses propos.

Je suis enseignant de français, amateur de littérature, et j'ai tout appris du second degré en écoutant Coluche. Je connais aussi assez Deschamps, malgré ma jeunesse, pour savoir que Martineau a autant de pertinence à côté de lui qu'un chihuahua mal dressé en a auprès d'un chien mira. L'œuvre de l'humoriste ne se limitait pas à sa maîtrise de l'ironie provocatrice. On connaissait l'homme derrière ses personnages. On connaissait ses chansons, sa poésie, ses valeurs, ses engagements. Il avait de la crédibilité. Martineau a perdu la sienne. Il l'a vendue pour de meilleurs tirages, et il a si bien fait qu'il ne peut plus aujourd'hui se caricaturer au deuxième degré sans que l'on suppose qu'il est resté au premier.

Personnellement, il me paraît de toute façon inconcevable de voir un chroniqueur d'expérience blâmer, insulter et traiter avec autant de condescendance tant de gens qui n'auraient pas su interpréter un humour aussi douteux. Il est tête d'affiche du Journal de Montréal qui, pour être le plus lu au Québec, a manifestement choisi de tenir compte d'une population potentiellement analphabète fonctionnelle. Comment donc interpréter un faiseur d'opinion qui ose ainsi cracher sur ses lecteurs? Est-ce au premier ou au second degré qu'il faut comprendre ces insultes?

Le problème avec les polémistes est de savoir s'ils endossent vraiment, honnêtement, intégralement leurs propos. Si ce sont bel et bien leurs idées, leurs valeurs, ou s'ils veulent simplement exploiter les préjugés des autres.

Le deuxième degré maintient adéquatement ce flou. Martineau s'en sert d'ailleurs souvent et parfois vulgairement, si l'on considère ses sophismes à peine maquillés. S'il est certainement plus intelligent que le laisse entrevoir la qualité de ses textes, on peut douter sérieusement du fait qu'il soit engagé pour le démontrer. Que voulez-vous, peinturer quotidiennement l'actualité au rouleau ne permet pas vraiment un découpage élégant. La nuance, longue et exigeante, ça ne rapporte pas.

Mais à force de se prononcer sur tout et rien quotidiennement avec l'assurance d'un expert dans le prêt-à-porter de l'opinion, il est inévitable un jour ou l'autre de se planter. Sinon, ce serait un métier sans risque, sans mérite, permettant effectivement de dire n'importe quoi, n'importe comment.

Aussi prompt qu'il l'a toujours été à critiquer les autres, la moindre des choses aurait été que Martineau fasse preuve de recul, reconnaisse les risques inhérents à son travail, et admette son manque de jugement. Au lieu de cela, il semble incapable de prendre ses responsabilités et préfère carrément insulter la moitié du Québec. Compte tenu de l'influence que peut avoir un nono comme lui, ce genre d'éthique «journalistique» a de quoi inquiéter.

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