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Avec Pedro Pires en attendant Triptyque

Pedro Pires est un cinéaste maître de l'image. Il vient des arts plastiques, il est particulièrement doué en dessin et sa virtuosité s'exprime jusque sur le clavier d'un piano. Son travail avec la caméra s'apparente à celui d'un peintre tellement ses conceptions visuelles sont sublimées, texturées, denses et atmosphériques.
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Avec Pedro Pires dans son studio maison rue Saint-Joseph à Montréal. Un salon double où chaque pied carré est occupé par des équipements d'éclairage, des écrans, des consoles, un piano et une guitare.

Pedro Pires est un cinéaste maître de l'image. Il vient des arts plastiques, il est particulièrement doué en dessin et sa virtuosité s'exprime jusque sur le clavier d'un piano. Son travail avec la caméra s'apparente à celui d'un peintre tellement ses conceptions visuelles sont sublimées, texturées, denses et atmosphériques. Il confectionne et transforme ses images jusqu'à la perfection. Il a coréalisé Triptyque en duo avec Robert Lepage, un film inspiré de l'un des spectacles de Lepage, l'événement théâtral Lipsynch. Triptyque sera en salles dans un cinéma près de chez vous dès le 25 octobre.

Mon entretien avec lui.

...

MR : C'est ici que tu travailles ? Tu montes tous tes films ici ?

PP : Je fais tout ici. Je fais même du tournage. Parfois, il manque des trucs à l'image. Je tourne des petits inserts. J'ai mes éclairages, ma caméra.

MR : Tu retouches toutes tes images ?

PP : Ce n'est pas un but en soi de retoucher mes images, mais la plupart du temps, je ne peux tout simplement pas laisser l'image comme telle. Souvent il manque quelque chose, la réaction de l'acteur ne fonctionne pas, le cadrage ou encore la lumière ne convient pas. Et puis, j'ai cette expertise des effets spéciaux. Il n'y a pas un plan dans Triptyque que nous n'avons pas retouché, ou presque. C'est un peu comme de la pâte à modeler, j'aime beaucoup travailler comme ça.

MR : Peux-tu aller jusqu'à changer le sens d'une scène carrément?

PP : Oui. Par exemple, parfois cela peut vouloir dire d'enlever un personnage d'une scène alors qu'il était là du début à la fin au tournage, ou à l'inverse, ajouter un personnage à une scène carrément. Ça peut aussi vouloir dire d'effacer la neige dans les fenêtres pour une scène qui a été tournée en hiver, mais parce que la structure de l'histoire a été changée, elle doit maintenant sembler avoir eu lieu à l'automne.

MR : Connaissant la façon de travailler de Robert Lepage, ça doit être fantastique de travailler avec un gars comme toi ? Je voulais te parler de cela plus tard, mais tandis qu'on y est, comment as-tu trouvé ça de travailler avec Robert Lepage?

PP : J'ai trouvé ça super cool, c'est toujours inspirant de travailler avec Robert. C'est certain qu'en tournage, parfois, c'est plus stressant, le contexte est plus difficile, mais assis devant un écran de montage, Robert et moi, c'est hyper stimulant.

MR : En tournage c'est plus difficile parce que ?

PP : On est un groupe et il faut que ça roule. Il faut être sur la même longueur d'onde, parfois ça allait bien, parfois ça allait moins bien, c'est normal, c'est pas évident la coréalisation. Je pense que c'est quelque chose que tu ne peux faire qu'avec quelqu'un pour qui tu as un très grand respect. C'est tellement personnel la réalisation.

MR : Ça prend des talents complémentaires aussi, je pense que c'est probablement la force de votre duo?

PP : Oui c'est ça, parce que deux visuels ou deux dramaturges, c'est impossible.

MR : Et avec Lynda comme productrice? (Lynda Beaulieu, adjointe et agente de Robert Lepage, productrice de Triptyque)

PP : Lynda est une femme brillante. Elle est une machine à idée, il faut l'arrêter à un moment donné. Quand j'arrive quelque part, j'aime prendre le temps de m'imprégner du lieu, mais je n'ai même pas le temps de déposer mes sacs qu'elle a déjà un pas d'avance: « Regarde, il y a un miroir dans le fond, on pourrait faire tel truc... », « Oui je l'ai vu, laisse-moi déposer mon sac et brancher ma batterie!».

MR : Très drôle. C'est ton agent aussi depuis quelques années. Elle n'avait représenté que Robert jusqu'à maintenant. Je sais que quand tu étais petit, tu fabriquais toi même tes jouets, étais-tu solitaire ?

PP : Non pas solitaire, je n'étais pas intello non plus, je faisais la fête avec les autres, je sortais, mais il y a eu des périodes où le vendredi soir, je posais des cheveux à l'aiguille sur un masque dans le sous-sol chez mes parents en écoutant du Chopin. Il y avait toujours beaucoup de copains qui tournaient autour de chez nous, nous avions une grande maison et ça circulait beaucoup. J'avais mon atelier, je faisais mes masques, mes projets.

(Masque de vieillissement. Sculpture en plasticine, résultat final en uréthane, pour La Tempête (Shakespeare), mise en scène R. Lepage)

MR : Ça te vient d'où tu penses ?

PP : Je ne sais pas, mes parents sont tous les deux psychiatres. Il n'y a pas vraiment eu d'influence de leur part, sinon qu'ils m'ont toujours encouragé dans mes passions. C'est naturellement, assez jeune, que j'ai commencé à faire des jouets de Star Wars en carton avec des mécanismes. J'ai même fait un cube Rubik en carton à un moment donné. J'en avais ouvert un, j'avais vu comment c'était fait en dedans, j'en ai fabriqué un au complet, il tournait dans les 3 axes. C'était artisanal, la fabrication d'objets, et ça s'est transformé en fabrication de masques plus tard. Parallèlement, je jouais de la musique.

MR : Du piano?

PP : Le piano c'est assez récent, une dizaine d'années environ. Quand j'étais chez mes parents, c'était la guitare, Van Halen, de 12 à 18 ans, je jouais tout à l'oreille.

MR : Tu avais quel âge quand tu as commencé à être vraiment attiré par les arts plastiques ?

PP : Je ne sais pas, peut-être 8 ans, nous avions une espèce de tente d'indien jaune et je me souviens que dans cette tente, je faisais des figurines de La Planète des singes en faisant fondre des chandelles, tout pour mettre le feu! Mes parents les ont encore ces petites figurines, je les prenais en photo à la télé, j'étais complètement obsédé par La Planète des singes.

MR : Tes parents reconnaissaient déjà ton talent?

PP : Je pense que oui parce que j'arrivais toujours avec un nouveau projet et ils étaient tout le temps étonnés. C'est devenu des effets spéciaux tranquillement pas vite, des trucs du genre un crayon en travers de la main avec du faux sang pendant les nouvelles. On avait une maison à 3 étages et ils m'ont laissé, par la force des choses, l'étage du bas. Petit à petit, ils ont vu que je prenais de plus en plus d'espace jusqu'à ce que je fasse un contrat pour une pièce de théâtre. Je devais fabriquer une plante carnivore. C'est devenu un cauchemar total ! J'ai bouché tous les tuyaux de la maison, on faisait des moules en fibre de verre, mais du fibre de verre c'est extrêmement toxique et l'odeur dure 3 mois !

MR : Tu es parti de Québec pour aller travailler ?

PP : Oui, vers 24 ans, j'avais suivi un cours de maquillage d'effets spéciaux par correspondance avec Dick Smith (un New-Yorkais, maître en la matière, gagnant de plusieurs oscars). Ensuite, j'ai été engagé sur Highlander 3 pour joindre l'équipe des effets spéciaux. C'est un petit contrat qui a duré environ 2 mois. Et puis un jour, je marchais sur Saint-Laurent et je suis passé devant Softimage, je me suis dit : "Ça l'air bien, je vais essayer ça ". J'ai fait une session et j'ai tout de suite commencé à travailler sur The Sound of the Carceri (documentaire de François Girard, dans lequel il recrée en trois dimensions les prisons fictives de Piranesi autour du violoncelliste Yo-Yo Ma, 1995). Richard Langevin qui dirigeait la boîte à l'époque m'avait recommandé, mais je ne connaissais rien, j'avais deux mois d'infographie dans le corps. Ça m'a pris deux ans à apprendre, j'ai appris en le faisant.

(Portrait d'un vieillard. Huile sur toile. Par Pedro Pires)

MR : Tes parents t'encouragent toujours ?

PP : Oui, ils sont toujours là, ils me suivent.

MR : Quel âge ton premier film?

PP : Mon premier film je l'ai fait à 12, 13 ans. Une transformation de loup-garou. Tu veux que je te montre?

MR : Bien sûr !

MR : T'avais déjà le sens du montage, du suspense dramatique, de la musique et tout!

PP : Mon père avait acheté une caméra. Le montage, je le faisais avec la caméra, caméra à l'épaule. Je tournais le plan, je mettais sur « pause » et je préparais le prochain plan. Je lâchais le « pause » et ainsi de suite, tu vois ce que je veux dire? C'était fait live, un peu à l'américaine, style Le loup-garou de Londres quand il se transforme.

MR : D'où te vient ce côté macabre ?

PP : Je ne sais pas trop d'où ça vient. Avec mon ami, on faisait des films d'horreur.

MR : As-tu un vrai côté sadique ?

PP : Pas du tout, je ne suis même pas capable d'écouter des films d'horreur. Des bons films d'horreur, oui, comme Le bébé de Rosemarie, Jaws ou Shinning, mais des films gore ça ne m'intéresse pas du tout. Je suis un pacifique, je ne vais jamais sur internet voir des horreurs, je ne suis même pas allé voir « Magnotta », je ne veux rien savoir de ça. Quand j'étais jeune, c'était une façon d'attirer l'attention, c'est une attitude très adolescente. Tu as vu la réaction que tu as eu tout à l'heure en visionnant les films? C'est ce qui m'intéressait, provoquer une réaction. Les gens criaient en voyant mes images et j'adorais ça.

MR : Penses-tu que c'est encore ce qui te motive aujourd'hui ? Comme avec Danse macabre qui nous montre en détails ce qu'il advient de notre corps aux moments juste avant, pendant et après la mort. Ou encore avec Hope, même chose avec l'agonie ?

PP : (Il réfléchit) Oui, j'imagine que c'est un reflexe de petit garçon qui faisait des films d'horreur, mais rendu d'une façon plus mature si on veut maintenant, mais oui, je pense que je suis probablement encore motivé par le désir de provoquer l'émotion en utilisant un coté macabre.

MR : Quand tu tournes, tu es cérébral ou instinctif?

PP : Instinctif. Trop.

MR : Pourquoi tu fais des films ?

PP : Pour le fun.

MR : Pour qui ?

PP : J'imagine que c'est pour moi, sinon je n'y mettrais pas autant d'effort. En même temps, je veux faire des films audacieux pour tout le monde. Je ne veux pas travailler sur un projet pendant 4 ans que personne n'aura envie de voir. Et oui, je le fais aussi pour moi. Je peux passer des années sur un film s'il le faut.

MR : As-tu déjà voulu faire autre chose ?

PP : Non, je ne me suis jamais demandé ce que je voulais faire vraiment. Ce qui est clair, c'est que quand je m'installe en montage, je ne suis pas arrêtable, il faut me sortir de là après une semaine. Le temps passe tellement vite qu'il est 4 heures du matin et je n'ai pas envie que le jour se lève parce que je veux continuer.

MR : Comment tu imagines ton public ?

PP : Je suis mon propre public dans le sens que je regarde le film sur lequel je travaille comme si j'étais spectateur. Est-ce que cette personne a vraiment bien travaillé ? Est-ce qu'elle a fait le tour de la question ou elle a tout bâclé rapidement ? C'est un peu comme ça que j'évalue mon travail.

MR : Tu te vois où dans 10 ans?

PP : À faire des films avec une signature que je vais définir de plus en plus et à jouer de la musique. Il y a beaucoup de choses que j'aimerais faire et je finis toujours par faire du montage. Heureusement, je peux faire de la peinture avec mes images, je peux faire un peu tout avec mes images.

MR : Ton top 3 meilleurs films ?

PP : J'ai 2000 films dans ma chambre ! J'ai toute la série Criterion, les Kubrick... je suis très inspiré par les films de Kubrick.

MR : C'est pour quand le long métrage en solo ?

PP : L'année prochaine si tout va bien. Un documentaire-fiction sur un personnage vraiment intéressant. Je ne peux pas vraiment en parler à ce moment-ci.

MR : Aller...un petit effort?

PP : Je travaille sur un court métrage documentaire portant sur un schizophrène et sur un long métrage poétique sur la mort. Bref, encore deux films pour le temps des Fêtes !

MR : Merci Pedro !

Québec. 2013. 101 min. Drame psychologique réalisé par Robert Lepage et Pedro Pires.

Photos: Archives Pedro Pires

- Le blogue personnel de Martine Rochon

- Martine au cinéma sur Facebook

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