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L'affaire Joël Legendre et le vieux fond d'homophobie latente

L'histoire de Joël Legendre a été l'occasion de trop de débordements et de généralisations malheureuses sur «les comportements des gais».
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Rassurez-vous, je n'ai pas l'intention de revenir sur l'affaire Joël Legendre, si tant est que ce soit vraiment une «affaire». Les blogues de commentateurs ont suffisamment surchauffé sur ce faux scandale de presse à potins gravement en manque.

Ce qui m'est apparu beaucoup plus choquant et scandaleux que le geste, peu approprié il faut en convenir, posé par Joël Legendre dans ce parc de Longueuil, est ce vieux fond d'homophobie latente qui est remonté à la surface.

Dans les jours qui ont suivi ce «breaking news» qui a occupé une place dans l'espace médiatique encore plus indécente que le geste lui-même, il était fascinant de voir la violence avec laquelle certaines personnes s'exprimaient sur le sujet.

On a réservé à Joël Legendre une condamnation presque équivalente à celle que reçoit un pédophile. Pourtant, Joël n'a pas touché à un enfant, il ne s'est pas promené nu dans un manège où les bambins s'amusaient par un bel après-midi d'été, il n'a agressé personne et ne s'est pas exhibé devant des gens qui n'étaient pas consentants. Il croyait avoir rencontré un homme avec qui il voulait s'amuser entre deux haies de cèdre.

Ce n'était clairement pas son meilleur move, tout a été dit là-dessus. Son procès a été fait. Or, le beau policier en question était déguisé en civil. Sur le plan juridique, il existe plusieurs arrêts controversés de la Cour suprême du Canada qui remettent sérieusement en question cette pratique policière douteuse visant l'obtention de preuve. Cela pourrait être l'objet d'une longue dissertation que j'éviterai ici, mais qu'il serait intéressant de poursuivre éventuellement.

Sur le fond, le geste de Joël est-il un manque de jugement? Un excès de témérité? Certainement.

Indécence? Geste grossier? Peut-être.

Déviance? Maladie mentale? Non.

Aurions-nous accusé aussi violemment un hétérosexuel qui aurait commis un geste comparable? La réponse facile à cette question, qu'on aime à se donner dans notre société «tellement 2015, tellement évoluée et moderne» est: il n'y a pas de différence entre un homosexuel et un hétérosexuel, ce n'est pas parce qu'il est gai, voyons! C'est un peu le même genre de réactions impulsives entendues lorsqu'on demandait aux gens si le fait d'avoir une femme au pouvoir, quand Pauline Marois était première ministre, changeait quelque chose. Si cette «bourgeoise» de l'Assemblée nationale était à quelque part victime d'un jugement silencieux et sournois du simple fait qu'elle soit une femme? Bien sûr que non! Évidemment pas! Ça ne change rien qu'elle soit une femme, franchement!

En 2015, la société québécoise est moderne et évoluée, certes. Nous faisons l'envie de bien des peuples dans le monde qui ont soif d'égalité, de liberté et de «vivre et laisser vivre». Loin de moi l'idée d'accuser la société québécoise d'être homophobe ou misogyne. Ce serait grossier et ignorant.

Or, après les luttes, les grandes victoires sociales, la légalisation du mariage gai, l'élection de la première femme à la tête du Québec et tous les autres moments marquants de notre histoire contemporaine, il existe toujours des relents, des vieux fonds vaseux de jugement et d'ignorance. Comme des réflexes enfouis qui remontent à la surface, parfois bien sournoisement.

Les réactions au cas Legendre ont été explicites à cet égard.

Nous avons tous déjà vu un couple hétérosexuel s'aimer un peu trop intensément en public, dans un parc, sur une plage, dans un bar. Encore récemment, en plein cœur du parc Laurier à Montréal, un couple était couché devant moi, bouteille de rosé vide aux pieds. Monsieur avait la main disons baladeuse, et cherchait manifestement autre chose que son iPhone dans les poches de madame... Osé, audacieux, déplacé, un peu trop intense, «louez-vous une chambre!» disaient à voix basse et en riant les gens autour de moi.

Est-ce que la déviance et la maladie mentale ont pour autant été invoquées? Jamais.

Ce couple hétéro, s'il avait été connu publiquement, aurait-il eu à répondre aux questions d'un populaire duo d'animateur d'un talk-show de fin de soirée à Radio-Canada, en parlant de leur «côté sombre», de «thérapie» et d'une «vie antérieure, maintenant enterrée»?

C'est pourtant, d'une certaine façon, ce qu'à dû faire Joël Legendre pour passer à un autre appel. Cet homme-orchestre aux multiples talents avait envie de retourner au travail, et rapidement. Il n'y a rien de plus honorable et normal que cela. Or, pour y arriver, il a dû passer par ce discours qui sous-tend l'idée d'une «thérapie pour comprendre ce geste déviant» afin de satisfaire une certaine frange du public qui ne lui aurait probablement pas pardonné, ou pas si rapidement. Je ne remets surtout pas en question la sincérité des propos de Joël à Pénélope McQuade et Jean-Luc Mongrain, mais j'ai eu un petit pincement au cœur quand je l'ai vu, émotif, parler de son processus de thérapie alors que je reste convaincu qu'un hétérosexuel pris dans un scandale comparable, n'aurait pas eu à exposer tout cela à un million de téléspectateurs pour pouvoir retourner à sa vie professionnelle.

La rançon de la gloire? Le prix à payer pour être connu et entretenir le mythe d'une «petite vie parfaite de vedette»? Eh bien c'est précisément ce prix, exagérément élevé, qu'il a payé. Mais il y a plus dans ces analyses douteuses qui ont été faites.

C'est la grossièreté avec laquelle certains commentateurs et gens du public ont débordé du cas de Joël Legendre afin de poser leurs savantes analyses sur «les comportements déviants» qui m'a jeté par terre.

Il faut avoir une curiosité bien limitée ou des préjugés gros comme le monde pour penser que le sexe anonyme dans les parcs et autres lieux publics, communément appelé «cruising», est une activité déviante d'homosexuels parfaitement épanouis qui font le choix éclairé de cette pratique. Il s'agit, pour un très grand nombre d'hommes qui ne marchent pas quotidiennement et librement sous les boules roses de la rue Sainte-Catherine Est avec leur amoureux, de la seule façon de rencontrer d'autres hommes, souvent mariés, qui vivent l'enfer dans leur vie artificiellement hétérosexuelle. Le «cruising» cache souvent une autre réalité assez sombre qui est le lot de plusieurs hommes qui, sans être déviants, trouvent dans cette activité anonyme un refuge, une sorte de plaisir passager pour se donner le courage de retourner main dans la main au DIX30 avec leur femme.

L'histoire de Joël a été l'occasion de trop de débordements et de généralisations malheureuses sur «les comportements des gais». Joël a eu l'occasion de s'exprimer, maintenant il est de retour au travail et le succès reviendra au galop rapidement. Cette «affaire», véritable fast-food médiatique, qui a alimenté les blogues de ceux qui nous saoulent de leurs opinions sur des faits souvent tout à fait anecdotiques, aura été l'occasion de constater ce vieux fond vaseux d'homophobie latente.

Comme je suis de nature optimiste, le portrait de l'évolution de la situation des homosexuels au Québec me réjouit plus qu'il ne me déprime. Les personnages gais dans nos téléromans ne portent plus obligatoirement des chemises fleuries et n'ont plus tous des mèches blondes et un caniche. Ils n'aiment pas tous Céline et certains ne boivent pas de cosmos. Il est possible, dans les grandes villes, de vivre librement sans trop se soucier du regard des autres. L'indifférence totale et entière par rapport à l'orientation sexuelle, véritable objectif, sera un jour possiblement atteint à 100%. Il faut y croire, même si certaines réactions donnent parfois la nausée.

Quand je pense à cet idéal d'indifférence, ce «vieux» slogan, fort rassembleur, que j'ai souvent scandé avec fougue pendant le printemps érable de 2012 me revient en tête: «On avance, on avance, on recule pas!»

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