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Droit des animaux: pourquoi un manifeste?

Au dernier décompte, plus de 24 000 personnes avaient, elles aussi, lu et approuvé un texte qui demande qu'on sorte les animaux de la catégorie juridique des biens meubles pour leur reconnaître la qualité d'être sensible. La chose est suffisamment rare pour être notée.
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Qu'est-ce que peuvent bien avoir en commun Julie Snyder et Anarchopanda ? Le philosophe Michel Seymour et l'avocate Me Anne France Goldwater ? Élise Desaulniers, Gilles Proulx, Laure Waridel, Jacques Languirand, Anne Dorval et le titulaire de la chaire de recherche du Canada en sciences cognitives, Stevan Harnad ?

Ils ont tous signé le manifeste Les animaux ne sont pas des choses. Et ils ne sont pas les seuls. Au dernier décompte, plus de 24 000 personnes avaient, elles aussi, lu et approuvé un texte qui demande qu'on sorte les animaux de la catégorie juridique des biens meubles pour leur reconnaître la qualité d'être sensible. La chose est suffisamment rare pour être notée. Elle révèle un profond décalage entre les valeurs des Québécois et leur régime juridique. Comment ne pas voir ce qui cloche ? Un grille-pain ou une chaise n'ont pas d'intérêts ; un chien, un cochon ou une baleine, si. Voilà pourquoi les animaux ne sont pas des choses.

J'ai coécrit ce manifeste avec Me Sophie Gaillard. Elle est avocate, brillante, travaille pour la SPCA de Montréal et passe bien à la télé. Je suis chercheur postdoctoral en philosophie morale (oui, ça existe !) et plutôt introverti. Ensemble, nous avons décidé de mobiliser les gens sur le sort des animaux du Québec. Et si nous avons écrit un manifeste, c'est avant tout parce que les principaux intéressés - les animaux - n'ont jamais voix au chapitre. Nous avons donc voulu ouvrir le débat sur la place qu'ils ont aujourd'hui - et sur celle qu'ils méritent d'occuper. Les enjeux, me semble-t-il, sont à la fois d'ordre moral, politique et juridique.

Un débat moral

Nous avons écrit ce manifeste pour que chacun puisse exprimer son indignation morale. Les animaux ne devraient pas être considérés comme des choses. Qui n'a jamais éprouvé d'empathie pour un animal qui souffre ? Qui n'a pas des hauts le coeur devant des images d'abattoir ou d'élevage industriel ?

L'argument moral, derrière cette intuition, est relativement simple. Si un être est un être sensible, alors il a un intérêt à ne pas souffrir. Or, nous savons aujourd'hui que tous les vertébrés, puisqu'ils sont dotés d'un système nerveux, peuvent avoir des émotions et ressentir du plaisir ou de la douleur. Comme nous l'écrivons dans le manifeste : « Il est donc légitime de tenir compte de leurs intérêts et de leur valeur morale lorsque nous prenons des décisions qui les concernent. »

Qu'est-ce que cela signifie? Pour ma part, je crois qu'on ferait un pas immense en évitant de nuire aux intérêts des animaux lorsque cela n'est pas absolument nécessaire. Ce principe, bien connu des philosophes, c'est le principe du tort (harm principle). Je ne vois pas de bonnes raisons d'en réserver l'application aux torts commis envers les seuls êtres humains. Je peux bien évidemment me tromper ; mais il faut en débattre.

Un débat politique

Une chose est sûre : on ne peut plus ignorer les faits. D'un côté, la science comprend de mieux en mieux la cognition animale. De l'autre, des documentaires comme La Face cachée de la viande nous rappellent la triste réalité de la souffrance animale. Maltraitance, abandon, expérimentation, fourrure, usine à chiot, élevage industriel et abattoirs : comment souhaitons-nous que la société québécoise traite ses animaux ? La question est impérieuse. Elle est aussi politique.

Nous avons donc aussi écrit ce manifeste pour alerter les pouvoirs publics. Certes, les animaux ne peuvent pas voter - mais les enfants et certaines personnes en situation de handicap non plus. Est-ce une raison pour ignorer leurs intérêts? Est-ce une raison pour les exclure? Leur silence ne devrait pas être un prétexte à notre aveuglement.

Je crois qu'il serait temps que nos représentants politiques, quels que soient leurs partis, se prononcent enfin sur la question animale. Et qu'on ne nous dise pas qu'on s'occupera des animaux plus tard, quand on aura réglé tous les problèmes humains. Jusqu'à preuve du contraire, il est encore possible de traiter deux dossiers en même temps. Tous les êtres sensibles (humains et animaux) ont des intérêts, mais tous ne sont pas capables de les défendre.

Une société peut-elle être juste si elle viole systématiquement les intérêts fondamentaux d'un nombre incalculable d'êtres sensibles ? Après avoir un peu lu sur le sujet et en avoir discuté avec des personnes dont j'admire l'intelligence et la probité, je suis convaincu du contraire. Je peux bien évidemment me tromper ; mais il faut en débattre.

Un débat juridique

Parce que les discussions politiques débouchent habituellement sur des avancées juridiques, nous avons enfin écrit ce manifeste pour mettre en chantier une réforme. La question, un peu technique, est de savoir où ranger les animaux dans notre Code civil, étant entendu que celui-ci divise l'univers juridique en deux catégories, les personnes et les biens.

Pour sortir les animaux de la catégorie des biens, plusieurs options sont envisageables. On pourrait d'abord élargir la catégorie des « personnes » pour y inclure les animaux. Une autre stratégie, plus conservatrice, serait de créer une catégorie qui reconnaisse la sensibilité des animaux sans toutefois remettre en cause leur statut de bien. C'est cette approche qui a été privilégiée en Suisse, en Allemagne et en Autriche.

Une troisième option serait de créer une catégorie mixte, à mi-chemin entre les personnes et les biens. Les animaux pourraient encore être des propriétés - c'est-à-dire vendus et achetés. Mais certains droits limiteraient l'usage que pourraient en faire leurs propriétaires. Quant à l'exercice de ses droits (devant un tribunal, par exemple), il supposerait un mécanisme particulier de représentation.

Même si j'ai l'intuition que, dans un monde idéal, les animaux ne devraient pas être des marchandises, je n'ai pas d'avis tranché sur la meilleure manière de faire évoluer notre Code civil. Tout ce que je sais, c'est qu'une réforme purement symbolique ne serait pas satisfaisante, ni moralement ni politiquement. Reconnaître - juridiquement - que les animaux sont des êtres sensibles devrait nous donner les moyens d'améliorer significativement leur sort. Encore une fois, je peux évidemment me tromper. Mais qu'est-ce qu'on attend pour en débattre ?

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