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Comment la recherche d'indépendance a remplacé la recherche du Prince Charmant

Certaines femmes semblent n'éprouver aucun intérêt pour la vie de couple. Mieux : pour elles, la recherche de l'indépendance aurait remplacé la recherche du Prince Charmant. Je suis allée à leur rencontre, comprendre ce qui a rendu «l'autonomie sentimentale» aussi désirable.
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Certaines femmes semblent n'éprouver aucun intérêt pour la vie de couple. Mieux : pour elles, la recherche de l'indépendance aurait remplacé la recherche du Prince Charmant. Un phénomène qui m'interpelle. Car ces femmes, ce sont des copines, des collègues, des femmes que je vois tous les jours, ou presque. Et parce que je ne suis pas loin de me laisser contaminer; pour le comprendre, je suis allée à leur rencontre, écouter ce qui avait ringardisé ce pauvre Prince Charmant et rendu «l'autonomie sentimentale» aussi désirable.

- C'est ton tour!

- Ouais, génial, il faut fêter ça! Bienvenue dans le club!

Ces amies ne célèbrent pas un mariage ou une naissance, mais la séparation de l'une d'elles qu'elles appellent «son autonomie». On n'est pas là dans le cliché de la «divorce party» avec alcool coulant à flot, mais plutôt dans une forme de sororité.

«Nous sommes un groupe de femmes célibataires pour l'état civil, mais occasionnellement en couple, et nous félicitons celles qui arrivent à sortir du carcan des couples officiels qui n'épanouissent plus réellement bien des femmes», explique Sophia, 34 ans. «J'ai mon propre appartement, mon travail, mon fils : je n'ai aucune intention de faire des concessions pour partager cela avec un homme. Je décide moi-même ce que je mange, quand je mange, quand je me couche et quel temps je consacre à mes amies.» Plus que du célibat, Sophia définit sa situation comme de l'indépendance.

Elles vécurent heureuses et eurent beaucoup de copines

Prises séparément, ces discussions ne sont que des anecdotes isolées. Mais mises en perspectives, elles forment un «faisceau d'indices concordants» qui définissent une culture commune à une génération. La première génération de femmes dont les mères ont été féministes en théorie, mais n'ont pas toujours pu bénéficier en pratique des effets concrets de la lutte pour l'égalité. «Je suis née un an après la légalisation de l'avortement, ma mère a eu sept enfants et m'a toujours dit que si elle avait pu choisir, elle n'en aurait eu qu'un», poursuit Sophia, «car cela l'aurait libérée de l'emprise de mon père». Le couple comme boulet, l'autonomie comme objectif ultime?

«Shoes on wearing, I found it, car on driving I found it (...) cause I depend on me», nous ont chanté en boucle Destiny's Child en 2001. La Princesse Charlotte de Monaco (née elle aussi dans les années 80) fait un bébé sans se marier, n'emménage pas avec le père du bébé par ailleurs divorcé, puis le quitte pour un autre. Pas de grand mariage en robe de princesse avec un archiduc archiriche. Et pourtant, un traitement médiatique très valorisant, façon «Charlotte l'indépendante» alors qu'il y a 20 ans, on plaignait sa tante quasi pestiférée pour les «mêmes peines mêmes motifs». Inversement, Kate Middleton qui a eu son «mariage de princesse», littéralement, fait bien moins rêver les jeunes femmes. Les articles de presse ayant comme thème «Kate Middleton triste» sont deux fois plus nombreux que ceux ayant pour thème «Kate Middleton heureuse». Le mariage apparaît dans ce cas aussi comme une suite de contraintes pénibles et en aucun cas comme un but à atteindre.

Comme les icônes médiatiques princières, les films qui déplacent massivement les jeunes femmes en salles ne sont plus systématiquement des comédies romantiques. Les femmes de nos générations rêvent devant des histoires d'amitié, où les femmes «s'en sortent toutes seules», trouvent du travail, s'assument financièrement, vécurent heureuses et eurent beaucoup de copines.

Le Prince Charmant n'est (plus) une garantie d'aisance matérielle

Dans les histoires de Disney comme dans les films de filles des années 80, l'homme apportait un confort financier à la femme. Working Girl ou Pretty Woman ne sont que des versions modernes de Cendrillon où la pauvre femme de la classe ouvrière est sortie de sa condition par un homme plus à l'aise qu'elle (la preuve, il porte une cravate).

Mais dans les comédies des années 2000, plus de Prince Charmant. Dans Tout ce qui brille, la fin heureuse n'est pas lié à un garçon, mais à un nouveau travail. Dans Les Gazelles, un groupe de jeunes femmes de 30 à 35 ans fraîchement divorcées expliquent que «leur vie commence». Connasse est l'histoire d'une femme qui ne trouve pas de Prince Charmant et qui trouve ça très bien. Le Graal n'est plus d'être avec un homme, le Graal est d'être indépendante. La chanson de Destiny's child n'est pas loin, et ses paroles «je ne dépends que de moi, j'ai acheté ma voiture avec mon propre argent».

Peut-être parce que les femmes des générations précédentes ont compris que le couple n'était pas toujours un gage d'aisance matérielle? L'institution du mariage est, à la base, organisée autour d'arrangements matériels. Qui n'ont plus forcément lieu d'être...

Ainsi dans Indépendance financière, une fausse promesse? paru dans la revue sociologique Pensées plurielles, le Dr Caroline Henchoz, maîtresse de conférences, énonce : «Les femmes, qui ont plus de probabilité sociale d'avoir un revenu inférieur à leur conjoint, en paient le prix, notamment en termes d'accès à la consommation et à l'autonomie de décision, et ce coût peut encore s'accentuer à l'arrivée des enfants.» En clair, plus que le niveau des revenus, pèse sur ces femmes la dépendance vis-à-vis de leur conjoint dans la prise de décision, bien que rien légalement ne les y oblige plus depuis un demi-siècle. Comme si les trentenaires actuelles étaient les premières générations à expérimenter réellement l'indépendance financière de fait.

Le Prince Charmant s'est fait virer

Le couple, certaines ont essayé. Et en sont revenues. Elles ne veulent pas remplacer un mari par un autre comme Scarlett O'Hara, mais remplacer un homme par l'autonomie (comme Scarlett O'hara aussi, mais période veuvage de Kennedy). Cassia Carrigan, blogueuse et écrivaine française (elle a notamment participé à Lettres à mon utérus) trentenaire, raconte : «Je n'ai jamais rêvé de me marier, quand j'étais petite je m'imaginais écrivain, mère célibataire, et je prévoyais d'avoir suffisamment de sous pour m'acheter une villa avec piscine au bord de l'eau (et un campeur Barbie). Ça ne m'a pas empêchée de me marier très jeune, pour tenter d'atteindre une espèce de «normalité», pour savoir ce que c'était cette fameuse vie de couple dont on nous rabâche les oreilles. Ce mariage m'a bien remis les idées en place : je ne pense pas être faite pour la conjugalité pavillonnaire et je tâtonne pour trouver mon schéma amoureux idéal. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'implique ni un bail à deux noms, ni un compte commun.»

Socialement, le barbecue du dimanche chez les beaux-parents ne fait pas (plus?) rêver. On ose le dire. Et les barrières qu'ont certaines de nos aînées («je ne veux pas passer Noël seule», etc.) semblent tombées. À l'approche des vacances d'été, «Voyager en amoureux» appelle 600 000 résultats sur Google, «voyager seule» 1 300 000. «Voyager seule c'est un kiff ultime!», lancent de concert Pénélope, Sophie et Anissa, 32 ans chacune. Les vacances d'été seule, ce n'est même plus un état de fait que l'on accepte un peu déprimée, mais une situation recherchée et assumée comme «épanouissante», selon elles.

D'ailleurs, jadis la rubrique «C'est mon histoire» du magazine ELLE narrait de belles rencontres estivales romantiques ou insolites. En ce printemps, une bonne moitié des dernières histoires est consacrée aux «ruptures joyeuses» qui célèbrent l'indépendance féminine. («Je l'ai quitté», «J'ai divorcé», etc.) La figure de la femme célibataire n'est plus associée à une perdante, mais à une femme battante. Elle «fait envie».

Épanouissement sexuel sans (forcément) d'attache

Côté films américains, les comédies des dernières années évoquent aussi les bandes de filles ou les relations de «sexfriends» sans engagement. «Nous sommes la génération du "sans engagement", alors une relation "jusqu'à ce que la mort nous sépare" ne nous fait plus forcément rêver», explique Marie Minelli, auteure du guide Osez les sexfriends et de Les filles bien n'avalent pas sur les clichés de la sexualité féminine.

Et cette indépendance n'est pas signe de frustration sexuelle, bien au contraire. Une étude de Roy Baumesiter précisait que statistiquement, les femmes les plus émancipées sont les plus heureuses sexuellement.

Elles transigent moins, aussi. Une étude menée pour Psychologie Magazine montre un basculement dans la génération des femmes de moins de 35 ans : elles osent plus facilement exprimer leurs fantasmes et «demander» ce qu'elles veulent que leurs aînées, plus massivement prêtes à transiger ou à passer sous silence leurs désirs sexuels réels pour plaire à leur «prince charmant».

Indépendance émotionnelle

Le couple est, enfin, censé apporter un sentiment de satisfaction lié à l'amour, la sécurité affective, l'émotion. Or, les femmes n'acceptent plus la médiocrité ou la routine, sur lesquelles elles posent un regard de plus en plus lucide, d'après le dernier ouvrage du sociologue Jean-Claude Kaufmann. Dans Piégée dans son couple (Editions Les liens qui libèrent), il analyse ainsi les mécanismes qui amènent les femmes à être de moins en moins satisfaite de leur relation de couple. Certaines sautent le pas de la séparation, sans avoir quoi que ce soit à reprocher à leur conjoint, par amour de l'indépendance. Dans un article canadien, une mère explique : «J'ai choisi d'être célibataire pour prendre toutes les décisions moi-même.»

Les femmes ne cherchent plus un compagnon par nécessité, il doit être «un plus». Pas un «partenaire de vie», mais une «valeur ajoutée». Aude (prénom modifié), 38 ans, est une directrice du marketing pour une grande marque de cosmétiques. Elle a créé sa start-up qui emploie une dizaine de personnes à plein temps et créé des applications liées à la beauté. «J'ai quatre enfants, un super mari. Mais ce qui me donne le plus d'adrénaline, c'est ma carrière. Il m'arrive d'avoir des aventures dans ce cadre, je ne surinvestis plus mon couple comme quand j'avais 25 ans. Je pars souvent en déplacement à l'étranger seule. Rentrer chez moi tous les soirs pour dîner en tête-à-tête avec le même homme ne me fait pas du tout rêver!» Les samedis soirs, quand les enfants sont couchés, Aude ne dîne pas avec son mari, mais avec ses amies. «D'ailleurs si j'ai peu de batterie un soir en déplacement, je préfère appeler une copine que mon mec.»

Indépendante affective

Comme elle, certaines femmes de cette génération se demandent : «Et après?» Le bonheur absolu promis par les contes de fées n'est pas fourni avec le mariage. Elles assument 80 % des tâches ménagères et gèrent plus de 70 % des missions éducatives avec les enfants, tout en dormant moins et en étant plus épuisées. Dans l'étude Maman travaille de 2013, plusieurs femmes expliquaient ne pas souhaiter la présence de leur compagnon pendant leur congé maternité car «c'est comme un enfant en plus à gérer.» D'où ce soulagement lors de leurs séparations?

«J'ai compris que je recherchais l'indépendance, pas le Prince Charmant», explique Anissa. «Ça demande aussi du travail, de la réflexion. C'est se forcer à ne pas répondre aux sollicitations des hommes. Accepter et même avoir la volonté de passer des soirées seule chez soi.» Pour Rachel Les Masseries, attachée de presse et auteure du blogue Non mais franchement!, indépendance ne signifie pas cœur de pierre : «Je crois que la première phrase qui me vient en tête quand je pense à ma mère est : «ma fille, souviens-toi que tu ne dois absolument jamais dépendre d'un homme, ni émotionnellement ni surtout financièrement». Je pense que si elle n'avait pas été farouchement contre les tatouages, je porterais encore aujourd'hui les stigmates de cette maxime encrée dans ma chair. Ce qui est tordant, c'est qu'une relation très fusionnelle avec ma génitrice a fait de moi, au fil des années, un magnifique spécimen de dépendante affective. Et tout ça, je l'ai compris en quittant d'un seul coup mon mari (le père de mes enfants) et ma mère (la grand-mère de mes enfants). Alors, oui, aujourd'hui je suis dépendante affective, certes, mais je suis une junky qui a apprivoisé son addiction.»

Anissa souligne qu'on nous a vendu pendant des années le mariage ou l'amour comme LA réponse à une quête humaine d'absolu philosophique. Une publicité mensongère, pour elle. «Mon mariage était censé être le plus beau jour de ma vie, mais j'ai ressenti plus d'émotions quand j'ai eu une promotion ou quand le serveur m'a annoncé que pour 2 mojitos achetés, le 3ème était offert. Ça pose question, non?» Si.

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Ce billet a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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