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Le journalisme est mort (pour moi)

Le 28 septembre, j'ai décidé de quitter mon travail de journaliste parce que je sentais que l'industrie ne rendait pas justice à ses écrivains les plus talentueux. Je voulais marquer mon départ de manière à faire rire mes parents et rendre justice à mon poste : directrice des vidéos virales. J'ai fait cette vidéo. Je me suis levée le lendemain pour me rendre compte que quelques personnes (11 millions jusqu'à aujourd'hui) l'avait regardée.
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Le 28 septembre, j'ai décidé de quitter mon travail de journaliste parce que je sentais que l'industrie ne rendait pas justice à ses écrivains les plus talentueux. Je voulais marquer mon départ de manière à faire rire mes parents et rendre justice à mon poste : directrice des vidéos virales. J'ai fait cette vidéo. Je me suis levée le lendemain pour me rendre compte que quelques personnes (11 millions jusqu'à aujourd'hui) l'avait regardée :

Je voudrais éclaircir un point : je ne pense pas que le « journalisme soit mort ». En fait, je pense que le journalisme est la Madonna des professions ; il se fera des liftings jusqu'à ce qu'il nous enterre tous. Cet article traite de ma décision d'essayer d'arrêter d'être journaliste.

Je pense que j'ai compris. Ces six dernières années, j'étais un écrivain piégé dans un corps de journaliste. J'ai été dans une école de journalisme réputée et eu des A dans toutes les matières. Une fois diplômée, je me suis dit : «Écoute, tu dois te débarrasser de ta pensée de petite étudiante débutante, ça fait trois ans que tu as commencé à étudier et ça ne te réussit pas. Veux-tu être journaliste ou écrivain ?»

Quand il a fallu décider entre être pauvre et être fauchée, j'ai décidé d'être pauvre. J'ai accepté un premier poste de journaliste pour un petit blog et ai mis tout mon petit cœur à faire du «reportage». Mais rapidement j'ai eu le sentiment que quelque chose n'allait pas. J'avais l'indépendance et une once de stabilité financière, mais je ne me sentais pas bien. Donc j'ai démissionné pour trouver mon bonheur ailleurs.

J'ai vite trouvé un deuxième poste de journaliste, mais celui-là était différent. C'était pour une société d'animation qui me laissait la liberté de faire des blagues et de mettre ma personnalité dans mon écriture. J'ai adoré ! J'avais trouvé la combinaison parfaite entre comédie et journalisme. J'avais le beurre ET l'argent du beurre. Je sacrifiais tout pour mon travail. Je passais des heures au bureau à perfectionner les titres de mes articles, mes commentaires sonores, mes histoires. Mais alors que la masse de travail augmentait, j'ai compris que je ne pouvais plus continuer comme ça. J'ai essayé. J'arrivais plus tôt, je restais plus tard, je travaillais le samedi et le dimanche. Inquiète de ne pas en faire assez, je suis allée voir mon patron et lui ai dit ce que je ressentais.

«Fais ton travail, pas de l'art», a été sa réponse.

Après avoir admis ne pas pouvoir respecter les dates limites fixées pour mettre à bien nos nouveaux projets satiriques en format long, j'ai été affectée aux histoires sérieuses. Vous savez ce que j'ai compris ? Il n'y a pas pire que le journalisme ! En clair, quand on ne parle pas de la grossesse d'une des Kardashian, c'est pour publier un article sur un bébé tué d'une balle dans la tête. Voici par exemple une liste de gros titres parus chez nous en une journée :

•Un jet privé s'écrase sur des maisons dans l'Indiana, deux morts

•Au moins 10 morts dans une attaque à la voiture piégée en Somalie

•L'Iran lance un nouveau navire de guerre en mer Caspienne

•Inde : six hommes arrêtés à la suite d'un viol collectif sur une touriste suisse

•Un Britannique et son fils succombent à un accident sur le Mont-Blanc

•Deux morts après la chute d'une voiture de course dans un ravin en Californie

•Deux prisonniers s'échappent par hélicoptère d'une prison québécoise

•L'employé d'une bijouterie asperge d'acide un braqueur à main armée

•Un pilote australien expérimenté meurt dans le crash d'une réplique de Spitfire

Si une fusillade ou une catastrophe naturelle surviennent, le bureau frémit d'une excitation palpable ! J'ai entendu des soupirs de déception quand on a appris que personne n'était mort dans l'effondrement d'un bâtiment. Une fois j'ai demandé à un collègue comment il pouvait tenir le coup face à toutes ces choses déprimantes dont on parlait chaque jour. Il a roulé des yeux et a désigné d'un signe de main mes collègues à l'allure négligée : «Pourquoi tu crois qu'on boit autant?»

TEMPS MORT. En tant que Russe, et buveuse, je ne me permettrais jamais de juger la consommation d'alcool de qui que ce soit. Mais je me permettrai de juger les raisons qui les poussent à boire. Je suis d'avis que l'alcool est fait pour les moments de fête, de joie et d'abandon, sans oublier les moments de stress. FIN DU TEMPS MORT.

Je ne suis pas en train de dire que les journalistes sont des monstres, mais l'atmosphère de la société actuelle - où tout doit arriver en priorité, à grand renfort de bruit et de sensationnel - ôte toute discrétion au journalisme. Les histoires à sensation ont toujours été la part sombre du journalisme. Mais avec la surreprésentation des plate-formes d'information sur le marché, ces histoires à sensation se multiplient, grossissent, se renforcent et deviennent à la mode. Aujourd'hui, le kit du journaliste est fait de machines et de boutons. Les clics sont rois. Les meilleurs journalistes connaissent cette règle et, qui plus est, la respectent. Les journalistes intelligents comme mon patron.

Mon patron est un excellent écrivain. Le respect que je lui porte est sans limite. Il est un journaliste devenu un entrepreneur riche et couronné de succès. En tant qu'homme d'affaires, son objectif principal est de faire du revenu. Comment fait-on du revenu? Avec des clics. Vous vous souvenez? Les clics sont rois. C'est pourquoi cet homme d'affaires intelligent, doté de talents journalistiques sans pareil et de compétences d'écriture que je n'atteindrai même pas en rêve, a écrit un article sur la moustache de Justin Bieber la semaine dernière. SUR SA MOUSTACHE nom d'un chien.

Je ne dis pas que le journalisme dans son intégralité est mauvais. Je dis que le « journalisme » le plus populaire est mauvais. On ne peut pas en vouloir aux écrivains, ceci dit, on joue sur notre peur pour nous amener à faire ça. C'est nous qui écrivons sur la mauvaise situation du marché de l'emploi, c'est nous qui nous rendons en classe où l'on nous apprend que « le journalisme est mort ». C'est pourquoi quand nous trouvons un travail qui implique ne serait-ce que la plus petite essence de journalisme, nous nous inclinons, nous nous installons à notre bureau et nous laissons les clics faire leur chemin en nous.

Je l'ai fait. J'étais énervée quand quelqu'un d'autre est tombé sur l'histoire du twerking de Miley Cirus avant moi. Bon nombre de diplômés en journalisme étaient déçus de ne pas pouvoir couvrir l'histoire de cette native de Nashville de 20 ans faisant l'amour avec un doigt en mousse. J'aimerais beaucoup être le genre de personne à s'élever contre cette hérésie, à donner aux clics ma propre version du doigt en mousse et à pratiquer un journalisme dénonciateur et déterminant qui force les gens à reconsidérer tout ce qu'ils connaissaient jusqu'à cet instant. Le problème c'est que je ne suis pas assez intelligente et mes capacités d'écriture sont sujettes à critique. Mais il y a une lumière au bout du tunnel : mes pairs et mes idoles sont assez intelligents, assez talentueux et assez motivés pour apporter un changement au journalisme. C'est pourquoi je sors du jeu et laisse la place aux vrais journalistes. La chose la plus excitante c'est qu'une bonne partie des journalistes avec qui j'ai fait mes études aspirent au Graal du bon reportage. Mais ça ne suffit pas! Il en faut plus.

Peut-être que le totem du journalisme ne m'a jamais assez enthousiasmée. Peut-être que les histoires sur la barbe de David Beckham sont juste l'équivalent des petites nouvelles sans importance de notre génération. Peut-être qu'il y a réellement un meilleur journalisme au bout du compte et je ne suis jamais parvenue jusque là. Ce que je sais c'est qu'il y a tout un tas de reporters intelligents qui ne font pas leur travail de manière intelligente. Soyez honnêtes, combien d'entre vous ont perdu un peu de leur âme en cliquant sur le bouton « publier » ?

Quant à vous, non journalistes qui lisez ces histoires horribles. Vous ! Oui, vous ! Vous qui lisez l'article sur la prise de poids de Jennifer Aniston. Je vous vois. ARRETEZ TOUT DE SUITE ! Voyons, vous valez mieux que ça. Que les choses soient claires, quand je suis seule, bien au calme chez moi, j'agis comme vous, mais j'essaie d'arrêter. J'ai trouvé certaines solutions pour combattre l'envie de cliquer sur ces histoires sans importance. Les voici :

1. Courez jusqu'au magasin, vendeur de journaux ou chambre d'adolescente les plus proches pour trouver un magazine. Et pourquoi ne pas perdre des calories et des neurones par la même occasion ? Vous pouvez même en acheter un et inviter des amis à le lire. Dieu sait si l'industrie a besoin de lecteurs. Utilisez votre bouche pour communiquer vos impressions sur le derrière de Lindsay Lohan.

2. Bon,mais si vous n'avez pas le temps ou l'énergie pour l'option n°1, j'ai une autre solution : pour chaque article horrible sur lequel vous cliquez, cliquez (et de préférence, lisez) sur deux longs articles bien construits et intelligents.

Ce matin, je discutais avec la copine de mon petit frère. Elle a commencé sa première année d'études dans mon Missouri natal (Allez Tigers!). Elle m'abreuvait de questions sur l'école de journalisme et le journalisme en général. J'ai ri devant son enthousiasme et m'en suis tout de suite voulu. J'ai fait taire mon envie de lui dire de courir vers une autre direction, de changer de cursus, de devenir strip-teaseuse - TOUT sauf journaliste.

TEMPS MORT. Pardon. Cette diatribe ne reflète en aucun cas mon opinion sur le Missouri. Je n'aurais pas pu trouver meilleure université ou école de journalisme. FIN DU TEMPS MORT.

La fuite n'est jamais la bonne solution. A moins qu'il s'agisse d'un voleur à main armée. Dans ce cas, oui, courez. PARTEZ ! TOUT DE SUITE ! Mais dans ce cas précis, la solution est de se retrousser les manches, mettre les mains dans la carte mère et trifouiller les fils jusqu'à tout reprenne sa place.

Je lui ai dit de travailler dur et de souvent poser des questions. Je lui ai dit que l'industrie du journalisme évolue constamment et se remodèle. Je lui ai dit qu'à condition d'avoir la motivation et le talent, elle pouvait s'en sortir dans n'importe quelle profession.

Marina Shifrin est une journaliste devenue humoriste qui écrit régulièrement sur marinashifrin.wordpress.com, où a été publié originellement cet article.

Voir aussi:

La lettre d'un père à son fils homosexuel

Les lettres qui ont fait le tour du web

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