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Quand les infirmières sonnent l’alarme

La loi au Canada propose un cadre trop étroit pour être d'une quelconque utilité pour des lanceurs d'alerte employés en établissement de santé public ou privé.
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Le 22 février, nous apprenions que Kassandra Leclerc, une infirmière auxiliaire au CHSLD L'Eden à Laval avait été suspendue par son employeur après avoir dénoncé les conditions d'hébergement des résidents de son établissement. Après avoir noté des manquements perturbants dans les besoins de base tels que l'alimentation, l'hygiène et le maintien de la dignité, elle a avisé la direction de son établissement, le CISSS de Laval ainsi que la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Ses tentatives, raisonnables et avisées, sont multiples et pourtant elle n'en a récolté que des avertissements, des avis disciplinaires, une suspension et des menaces de congédiement. Aucune enquête pour identifier les manquements. Pas de consultation avec les résidents ou leurs familles. Absence de suivi de la CNESST dont le mandat est pourtant de promouvoir les droits et les obligations en matière de travail et d'en assurer le respect, tant auprès des travailleurs que des employeurs du Québec.

Interrogée à ce sujet, la direction de l'établissement se complaît à répondre n'avoir reçu aucune plainte de la part des résidents. Elle reconnaît que des résidents « déplorent » des délais dans certains services, mais étrangement cela ne semble pas qualifier comme une plainte à ses yeux. Par ailleurs, elle passe outre le fait que les résidents de ces milieux sont une population extrêmement vulnérable, dont plusieurs peuvent présenter des états de confusion, une incapacité à s'exprimer, un manque de soutien de la part des proches ou tout simplement une crainte d'être perçus de manière défavorable par l'administration s'ils portent plainte contre les pratiques de gestion de cette dernière. Et à voir comment la direction est prête à faire subir des représailles à une employée comme Kassandra Leclerc, les résidents n'ont aucune raison de croire qu'elle sera à l'écoute de leurs besoins et encore moins disposée à rechercher des solutions. Car en agissant de la sorte avec cette infirmière auxiliaire, le CHSLD a montré que ses priorités sont tout autres que le bien-être des résidents et le respect de ses employés.

La manière violente dont sont traités les lanceurs d'alerte est un script classique écrit d'avance.

La manière violente dont sont traités les lanceurs d'alerte est un script classique écrit d'avance. Elle reflète jusqu'où les organisations (en santé ou ailleurs) sont prêtes à aller pour accabler et contrôler leurs employés plutôt que d'améliorer leurs pratiques internes; pour maquiller des problèmes organisationnels et systémiques en problèmes individuels; et pour démoniser celles et ceux qui osent parler – question de dissuader les autres qui seraient tentés d'en faire autant. La mauvaise foi de ces organisations, leur manque d'intégrité et les ripostes qu'elles font subir aux employés déviant du discours institutionnel sont des problèmes de taille auxquels le gouvernement doit s'attaquer. C'est d'autant plus vrai compte tenu du contexte actuel où les dénonciations de pratiques abusives dans le système de santé fusent de toutes parts. Or, à l'heure actuelle, aucune action concrète ou convaincante n'a encore été prise par le gouvernement dans la foulée de dénonciations dont nous sommes témoins depuis plusieurs semaines.

La loi au Canada propose un cadre trop étroit pour être d'une quelconque utilité pour des lanceurs d'alerte employés en établissement de santé public ou privé. Au niveau fédéral, le texte principal qui légifère en ce sens est le Code criminel, dont la Section 425.1 interdit à des employeurs publics ou privés (ou leurs représentants) de s'adonner à des menaces, des mesures disciplinaires ou encore la mise à pied d'un employé pour l'empêcher de fournir à des forces de l'ordre des informations sur des pratiques contraires à la loi (fédérale ou provinciale), ou pour le punir d'avoir déjà fourni de telles informations. Ce cadre légal comporte plusieurs limites de taille. Pour que l'employé puisse bénéficier d'une quelconque protection, les conditions suivantes doivent être remplies :

  • L'organisation doit avoir enfreint une loi provinciale ou fédérale (ou être en train de le faire);
  • L'employé doit connaître les lois pour pouvoir déterminer que l'une d'elles a été transgressée;
  • Seul l'employé de l'organisation peut sonner l'alerte (pas un patient ni un membre de sa famille, par exemple);
  • L'alerte doit être lancée à des forces de l'ordre (non pas à des médias par exemple).

Cet article n'a encore donné lieu à aucune poursuite contre des employeurs qui y auraient contrevenu, ce qui pourrait indiquer que l'article manque de mordant. Dans plusieurs provinces canadiennes, des lois axées sur les droits de la personne ou la santé et la sécurité au travail peuvent également protéger des dénonciateurs mais seulement si les employeurs de ceux-ci enfreignent des dispositions spécifiques à ces lois. De plus, un jugement de la Cour d'appel fédérale rendu en 2013 (Anderson v. IMTT-Québec) a confirmé (alourdi, plutôt) le devoir des employés en matière de loyauté et de fidélité envers leur employeur, jugeant que tous les mécanismes de plainte et de dénonciation internes devraient être épuisés avant qu'un recours à l'externe puisse être envisagé et jugé approprié. Or, en l'absence de politiques internes robustes, transparentes et justes, quand des mécanismes internes sont inadéquats, inefficaces ou risqués, comme l'illustre si bien le cas de Mme Leclerc, quel autre recours existe-t-il?

Ce sont des professionnelles autonomes pourvues du jugement critique et des connaissances nécessaires pour repérer des manquements dans les soins et dans les pratiques de gestion.

Au plan déontologique et éthique, la réponse est claire. Sonner l'alarme est de mise lorsque la santé et la sécurité des patients est en jeu. Les infirmières, toutes catégories confondues, ne sont pas de « bons petits soldats » passifs et complaisants. Ce ne sont pas non plus des « femmes émotives » dont les doléances doivent être mises en doute. Leur présence continue auprès des patients fait d'elles des témoins précieux pour bien saisir la réalité des soins. Ce sont des professionnelles autonomes pourvues du jugement critique et des connaissances nécessaires pour repérer des manquements dans les soins et dans les pratiques de gestion. Ne pas agir face à de tels manquements n'est pas une option pour ces professionnelles, et la multitude de dénonciations qui déferlent depuis plusieurs semaines montre qu'elles prennent cette responsabilité au sérieux, au risque de subir des représailles. Il est primordial d'écouter et de protéger celles et ceux qui sonnent l'alarme. Sans cette protection, ce sont la santé et la sécurité de tous les patients qui en souffrent.

Avril 2018

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