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Contestations en tous genres et révolte perpétuelle: sommes-nous prisonniers des années 60?

On se retrouve constamment, depuis les années '60, devant le discours où il faut à tout prix abattre le système existant et instaurer des changements « radicaux », que ce soit sur le plan politique, économique, ou pour tout ce qui a trait à l'environnement. Dans cette logique d'opposition, tout fonctionnement à l'intérieur des structures en place n'est pas assez bon, pas assez efficace, et surtout pas assez rapide aux yeux des révolutionnaires permanents...
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Radio-Canada.ca

Il y a quelque chose de vraiment déplacé à utiliser l'expression « printemps québécois », pour évoquer le « printemps arabe » de 2011, alors qu'on a vu en Tunisie puis en Égypte, les gens se révolter contre des gouvernements totalitaires et des contextes où ils se trouvaient maintenus dans une désespérante pauvreté. On a quand même ici - et quoi qu'on en dise - un régime démocratique, où l'on jouit d'une liberté de pensée et de parole enviables. Et on se trouve en plus dans un des rares endroits épargnés par le marasme économique qui frappe une bonne partie de l'Occident : il faut voir ce qui se passe, pas plus loin qu'aux États-Unis... Et regarder la situation en Europe, à commencer par les taux de chômage effarants, surtout chez les jeunes.

Alors, pourquoi entend-on autant parler d'indignation, de révolte, de manifestations, et du fait que tant de gens « en ont assez »? Une bonne partie de la réponse se trouve dans un livre écrit par deux Canadiens, paru en 2005.

Dans The Rebel Sell (traduit, en français, sous le titre de Révolte consommée), et que j'ai pris le temps de relire ces jours-ci, Joseph Heath et Andrew Potter décortiquent « le mythe de la contre-culture ». Parmi les points abordés: pourquoi, depuis les années 60, tant ici qu'en France et aux États-Unis, est-on régulièrement possédés par l'idée qu'il faut « renverser le système », et que rien ne fonctionnera en dehors de solutions « radicales »? D'où vient ce fantasme permanent du « grand changement », cette apologie de l'indignation permanente ? Cet article paru à l'époque sur le site français Rien que des mots, résume plutôt bien le propos du livre. Pierre Assouline sur son blogue, La République des livres, en fait aussi une bonne recension, en plus de fournir un bon aperçu de la façon dont le livre avait été reçu à l'époque. Livre qui, d'ailleurs, semble avoir été davantage commenté et critiqué en France qu'au Québec. On retrouve quand même cette entrevue avec les auteurs faite par Steve Proulx dans Voir. Tous ces articles valent la peine d'être lus pour comprendre le propos (sans parler du livre lui-même bien sûr).

Mais en résumé: on se retrouve constamment, depuis les années '60, devant le discours où il faut à tout prix abattre le système existant et instaurer des changements « radicaux », que ce soit sur le plan politique, économique, ou pour tout ce qui a trait à l'environnement. Dans cette logique d'opposition, tout fonctionnement à l'intérieur des structures en place n'est pas assez bon, pas assez efficace, et surtout pas assez rapide aux yeux des révolutionnaires permanents... Et puis aussi, soyons honnêtes : c'est aussi beaucoup moins « le fun » que de participer à de joyeux happenings, manifester dans les rues, et, à l'occasion, en découdre avec la police pour aller mériter ses badges de révolutionnaires.

C'était vrai à la glorieuse époque des « hippies », de Abbie Hoffman et de ses « Yippies », de l' « année de l'amour » au Québec, sans oublier, bien sûr, Mai '68 en France. Ce l'est tout autant aujourd'hui, avec les manifestations altermondialistes , les mouvements Reclaim the Streets, et les diverses Fêtes de rues. Sans oublier, bien sûr, depuis l'automne dernier, les mouvements « Occupy / Occupons » et les diverses manifestations «d'indignés ». C'est aussi le ton que semble vouloir prendre cette année, à Montréal en tout cas, la marche annuelle pour le Jour de la Terre le 22 avril, que l'on voit de plus en plus associée à une sorte de révolte globale : contre l'exploration des gaz de schiste, contre le projet du Plan Nord dans son ensemble, contre le gouvernement Harper et tout ce qu'il fait et représente, sans oublier bien sûr pour le gel absolu des frais de scolarité, voire la gratuité au Cégep et à l'université.

Mais bon, l'important, n'est-ce pas, c'est de manifester. Et de s'opposer. Tout cela bien sûr pour ne pas sombrer, selon la formule désormais consacrée ici, dans « le confort et l'indifférence ». Ce redoutable cancer du cerveau, comme chacun sait.

Tout cela ne serait que drôle et distrayant, si les conséquences, à la longue, n'étaient pas aussi néfastes. Car, pendant que l'on fait cela, on déserte les structures où l'on aurait l'occasion de faire avancer les choses. Désormais, pour quiconque veut être vu comme « progressiste », se lancer en politique, par exemple, est de moins en moins une option... Ou, en tout cas, sûrement pas à l'intérieur d'un parti conventionnel (c'est-à-dire, qui a au moins une petite chance d'être au pouvoir, ou d'exercer une opposition significative). Et pour quiconque revendique quoi que ce soit, la seule façon d'interagir avec le gouvernement, c'est en étant opposé et absolutiste, et en rejetant tout en bloc dès qu'on n'obtient pas ce que l'on veut. Plutôt que de vouloir fonctionner avec les structures, et les façons de faire mis en place selon des principes de droits et de démocraties.

Ce genre d'état d'esprit a aussi mené à une romanticisation de la délinquance, et même parfois de la violence. Cela aussi remonte aux années '60 : par une sorte de glissement, on en est venus à glorifier indistinctement tous ceux qui pouvaient être étiquetés comme « rebelles ». Dans l'imagerie et la culture populaires, on en est venus à faire voisiner, de façon pas si lointaine, un leader éclairé comme Martin Luther King (qui prenait la peine d'expliquer pourquoi il défiait la loi, pourquoi il en acceptait pleinement les conséquences, à savoir la prison, et prenait la peine de décourager, expressément, le recours à la violence), et les Hell's Angels... (Pour les plus jeunes lecteurs de ce billet : oui, les Hell's Angels étaient plutôt bien vus par certains à l'époque; les Rolling Stones les avaient même engagés, en 1969, pour assurer le service d'ordre lors d'un concert en Californie. Avec des conséquences désastreuses.)

Tout cela, aussi, finit par être extrêmement dommageable à toute revendication légitime: comment, ensuite, distinguer la révolte légitime et éclairée des actions menées par des casseurs ou des profiteurs? Et c'est ainsi qu'on se retrouve avec des leaders étudiants qui sont incapables de même émettre une phrase pour condamner la violence et le vandalisme.

Quand on y pense un peu, on traîne ce genre de discours hérité des années '60 et '70 dans à peu près toutes les sphères au Québec. Pour le débat linguistique, par exemple : on en est encore à se sentir automatiquement menacés et opprimés par la présence de l'anglais à Montréal. Alors que, comme plusieurs le soulignent, entre autres Lise Ravary, tout récemment, dans cet excellent billet, la situation est plus complexe que ça. Les choses ont bien évolué, depuis les années '70, et '80. Et c'est d'ailleurs le Parti Québécois qui, en prenant le pouvoir et en promulguant la Loi 101, a favorisé ce changement. Bravo. C'était toute une révolution. Mais pourquoi continuer aujourd'hui de réagir comme en 1975, comme si tout cela n'était pas arrivé?

Et ce qui devient drôlement gênant, c'est qu'on a parfois l'impression que ce discours d'opposition à tous crins est devenu le seul acceptable parmi une certaine élite, prédominante dans les médias et, encore plus, chez les artistes. Impression encore plus renforcée, ces temps-ci, par la dynamique qui prévaut sur les médias sociaux, comme je le soulignais récemment sur mon blogue. Ceux qui, au départ, prônent la contestation se sentent libres de s'exprimer, en sachant bien qu'ils vont d'abord se faire applaudir, et surtout pas remettre en question. Ceux qui voudraient émettre des opinions dissidentes y pensent à deux fois, en sachant bien qu'ils ont des chances de faire face à une vague de huées « 2.0 ».

Les baby-boomers se retrouvent un peu enfermés dans leur propre logique, qu'ils n'ont pas pris la peine de questionner, et face à laquelle ils n'ont jamais vraiment pris de recul. Et cette lacune les rattrape maintenant face à leurs propres enfants : oui, c'est bien d'apprendre à revendiquer, et à contester. Oui, un petit stage à l' « école de la rue », ça ne fait pas de tort, et ce peut être hautement instructif (et en plus d'être « le fun », pourquoi pas?). Mais jusqu'où tout cela doit-il aller? À partir de quand tout cela finit-il par être contre-productif? Y a-t-il des choses carrément inacceptables, lesquelles, et pourquoi?

Selon certains points de vue que j'ai lus et entendus, les baby-boomers, eux, ont fini par rentrer dans le rang sans être parvenus à changer le monde. Et ils bloqueraient aujourd'hui le chemin aux jeunes qui, eux, espèrent encore y arriver. Cet angle n'est pas le bon, l'analyse est faussée : les boomers sont juste incapables de remettre en question leur ancienne logique révolutionnaire des années '60-'70, à laquelle ils ont fait traverser les années sans l'ajuster. C'est pourquoi, d'ailleurs, on en voit certains manifester leur appui à tout ce qui ressemble à une contestation de l'ordre établi. Et que les autres se retrouvent dépourvus de tout discours articulé pour tenter d'expliquer pourquoi certaines façons de faire deviennent indéfendables.

À l'époque Robert Charlebois, qui faisait pourtant partie de ceux qui personnifiaient la contestation, était au moins capable de distance et d'humour. Allez réécouter Le Révolté, tout en relisant les paroles (écrites par Réjean Ducharme).

Et on s'en reparlera. J'imagine.

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