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Voir l'autisme avec mes yeux

J'ai toujours été la «petite gênée» du groupe, immobile, silencieuse.
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A chaque jour, on me convie à définir l'autisme avec précision. Des définitions, il en existe un nombre incalculable, certaines prennent une facture très scientifique, d'autres s'habillent d'une terminologie plus vulgarisée. Mais jamais une définition unique et figée ne pourra s'appliquer à l'ensemble de toutes les personnes autistes. Alors aujourd'hui, je vais vous partager un petit mot à ma manière, en tant qu'individu. Je vais vous montrer comment entrevoir brièvement l'autisme avec mes yeux.

Enfant, je ne savais pas ce qu'était l'autisme et encore moins que je faisais partie de cette grande famille sans patronyme clair à l'époque. Je suis née au milieu des années 60 et l'autisme de haut niveau ou Asperger n'étaient pas dans le répertoire courant des diagnostics. Encore moins chez les quelques médecins de famille qui se sont accaparés de mon dossier de santé au cours de mon presque demi-siècle d'existence. J'étais effacée, timide, pataude, dans la lune et taciturne, sous la pupille de la plupart des gens qui me scrutaient. J'étais la «petite gênée» du groupe, immobile, silencieuse. Une gamine qui ne prend pas sa place en groupe, qui ne s'approche pas avec spontanéité de ses pairs, qui se fait intimider et écraser sans posséder le mode d'emploi du «comment réagir». Une enfant qui ne sait même pas de toute manière déceler quand elle se fait rabaisser ou non. Intérieurement, j'étais tout bonnement terrorisée de vivre dans ce vaste monde que je ne comprenais tout simplement pas.

A mon avis, cette enfance n'était pas pour autant plus malheureuse que celle des autres. En contrepartie, j'ai été une enfant hypersensible qui s'émerveillait de tout et de rien, qui aimait les chats à l'obsession, malgré le fait que ma mère s'opposait à l'embauche d'un mini-félin à temps plein à la maison. J'aimais inventer des histoires et des personnages dans ma tête et même des mondes mystérieux et inexistants. Heureuse, je l'étais, sauf quand je me retrouvais avec les autres. Dans ces moments-là, je demeurais de marbre, sans mot et sans geste.

C'est seulement dans le cloître bien isolé de ma chambre jaune et blanche de fillette que je pouvais être entièrement moi. Loin des regards inquisiteurs, à l'abri des autres enfants bruyants qui jouaient à des jeux dont je ne comprenais pas les règles et qui changeaient tout le temps d'orientation. Loin des dynamiques d'équipe, celles où Alain, Claudine ou Julien est le leader implicitement désigné, concepts hiérarchiques qui étaient totalement absents de mon répertoire personnel.

Puis l'adolescence s'est installée temporairement. Imiter les autres, vouloir « faire comme les grands », être attirée par les garçons, tout était décalé chez moi. J'étais en retard, me direz-vous? Je ne sais pas. Sans doute que le fait de ne pas me comparer aux autres, de ne pas voir comment la société fonctionnait, d'être une étrangère dans ma propre vie y étaient pour quelque chose. Avec le recul, il me semble avoir été enfant plus longtemps que les autres. Mais est-ce bien grave? Je me suis procuré en bonus une jeunesse plus longue, tout simplement!

Rendue à l'âge adulte, on me demande si je «souffre» de l'autisme. Non. Pas du tout. J'apprécie toujours davantage la solitude que les groupes, non par méchanceté ou volonté d'isolement. Mais principalement car je suis dérangée par les bruits et les conversations cacophoniques. Toute agitation m'épuise, car je traite chaque information, son, parole, couleur, mimique faciale sans discrimination. Je ne m'ennuie jamais lorsque je suis seule, tout plein de passions et d'intérêts particuliers m'animent et font mon bonheur. En public, je vis sur le terre-plein d'une autoroute en pleine période de trafic dense. Tout le monde roule avec fracas à 120 km heure de chaque côté de ma tête, alors que je rêve de tranquilles rangs de campagne et de sentiers de terre battue en pleine forêt. J'ai besoin de silence et de paix.

Là où une forme de souffrance peut survenir, c'est lors de mes contacts au quotidien avec les autres. Les attentes sociales qui me sont parfois étrangères, les non-dits qui matérialisent des malentendus complexes, les jeux de pouvoir interpersonnels auxquels je n'ai ni envie ni habileté à participer. Je n'ai pas de filtre, ou si peu, alors je dis les choses franchement, sans enrobage sucré et parfois sans revêtir mes gants de velours ou de soie. J'aime aussi en retour que les choses me soient clairement exprimées, prévisibles et colligées, car il m'apparaît superflu de prendre des détours, de manipuler ou de laisser l'autre dans un flou qu'il devra interpréter tout en risquant de se tromper à son tour.

Je suis autiste et tout ce dont j'ai besoin, c'est de la compréhension de l'autre, qu'il prenne le temps de s'arrêter pour me voir comme je suis, ni menaçante, ni source de pitié. Je veux m'intégrer à mon rythme et apporter ma palette de couleurs, même si elle est différente de celle de la majorité. Je ne veux pas non plus qu'on me force à me modeler aux autres sans raison rationnelle, car je ne suis pas conçue de cette manière. J'ai mes caractéristiques propres et j'ai besoin de l'espace nécessaire pour les mettre de l'avant. Car même si mon chemin est en marge de celui de la majorité des gens, c'est le mien et j'ai besoin qu'on lui accorde respect et attention. Car ne perdons pas de vue l'essentiel : je suis un être humain avant tout.

Marie Josée Cordeau est la marraine du Réseau Bulle et elle développe actuellement avec une belle équipe une antenne québécoise de cet organisme français. Suivez la campagne de sensibilisation du mois d'avril sur la page Facebook de Réseau Bulle Québec.

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