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Quand l'autisme des autistes n'est pas celui des autres

Le docteur Laurent Mottron a décrété que l'autisme est une autre forme d'intelligence, pas moindre, pas déficiente.
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C'est un soir de semaine bien tranquille. Un lundi sans artifice, un peu trop froid, une fin de journée automnale obscure et anonyme. En frissonnant un peu, j'ouvre ma page Facebook, intriguée de prendre connaissance des messages qui m'attendent docilement. Parmi mes messages en patiente attente de réponse, celui d'une dame, contact avec qui je n'ai jamais eu d'échanges personnels, dont le nom à consonance étrangère ne me dit rien de prime abord. Elle est blottie dans ma liste de contacts, des dizaines « d'amis » en commun nous rallient à une cause commune : l'autisme. Curieuse, je visionne sa page. Je constate qu'elle a un titre « long de même », titre qui laisse présager de longues études en psychologie, un parcours de terrain ou du moins de la recherche théorique avec la clientèle autiste. Une spécialiste, quoi.

Elle me nomme une tierce personne, appelons-là Agnès. Ce nom n'a rien à voir avec notre histoire, mais il est le premier à frapper avec insistance à la porte de mon esprit. « Avant d'accepter une demande d'ajout, surfez sur la page du demandeur pour voir ses liens avec l'autisme! Il y a beaucoup d'escrocs sur les forums de discussions », me semonce-t-elle. Déjà de me dire quoi faire ou pas sans m'avoir prouvé être digne de confiance au préalable et doté d'un sens logique crédible est une insulte. Agnès a également de nombreux contacts en commun avec moi, tous reliés à l'autisme. Discriminée toute ma vie, je ne discrimine pas les autres. J'accepte tout le monde qui a des contacts communs avec moi sur ce sujet qui m'est hautement important.

Nos échanges demeurent courtois, car je me mords diplomatiquement la langue à en faire partir un bon tiers d'un coup de dents ravageur. Je lui explique que je n'ai aucune raison de me méfier de cette tierce personne, que rien dans ses propos ou agissements ne vient sonner une alarme dans ma tête. Madame avec un titre long de même me revient argumentant sur la malhonnêteté potentielle d'Agnès que je ne connais ni d'Ève, ni d'Adam, ni de Gérard, autre nom sans rapport, mais qui lui aussi tambourine dans mon crâne. Elle conclut, hors propos, avec un coup de marteau, tentative vaine de me faire taire avec des trucs de thérapeutes qui sentent la manipulation mentale à 453 mètres de distance : « De toute manière, le propre et la difficulté majeure des autistes c'est la déficience en Théorie de l'esprit ». Elle me ramène cette damnée théorie de l'esprit qui dit que l'autiste est incapable de se mettre à la place de l'autre. Comme si j'étais une pauvre innocente naïve, quoi.

Mais je ne me décourage pas pour autant. Je suis patiente. J'explique à madame avec un titre long de même, ma manière toute personnelle de voir les choses : « Le problème n'est pas tant la théorie de l'esprit "déficitaire" chez l'autiste qui ne se met pas à la place de la personne non-autiste que l'inverse, soit l'incapacité de la personne non-autiste à se mettre à la place de la personne autiste. Deux modes de pensée, mais un seul considéré comme valide. Et si le meilleur des mondes se situait à la rencontre de ces deux univers? ». Je lui tends une perche bien longue. Pas de réponse. Un « vu ». 20 heures 13. Silence radio. Fin d'un dialogue absurde entre les deux antipodes extrêmes en autisme : la personne qui vit l'autisme au quotidien et la personne spécialiste qui regarde du haut de son mirador. Ce dialogue qui ne s'établit pratiquement jamais. Ce dialogue qui ouvrirait sans doute la voie à une compréhension réaliste et pratique de l'autisme.

Oui, il est bien là le problème. L'autisme des autistes n'est pas celui de ceux qui les observe, qui colligent des informations de l'extérieur, qui produisent des études hautement scientifiques, mais qui ne questionnent pas dignement les principaux concernés. Étudier les fonds marins en restant assis sur le pont de son navire ne donne que des informations fragmentaires. Les spécialistes écoutent trop peu, à ma connaissance, les adultes autistes pour valider leurs théories et se raccrochent à de vieux schémas de pensée à des kilomètres de la réalité sur le terrain. Ils répètent ad nauseam les mêmes termes : manque d'empathie, manque de théorie de l'esprit, manque d'adaptabilité, manque de ci, de ça... Jamais on ne s'arrête sur les forces intrinsèques à l'autisme.

Ce manque de théorie de l'esprit qui nous coupe de la capacité de mentir ou de manipuler est-il vraiment une malédiction et une carence à combler? Et si cette franchise crue et cette honnêteté droite comme un « i », à toute épreuve, qui sont pourtant des valeurs morales théoriquement valorisées dans la société étaient nos meilleurs atouts et que nous y tenions mordicus?

La communauté émergente des adultes autistes n'apprécie pas les termes tétanisants de handicap, de maladie grave, les statuts toujours limitatifs de personnes avec déficit. Bien évidemment, l'autisme varie d'un individu à l'autre et certaines personnes sur le spectre de l'autisme ont des besoins plus grands et ne sont pas autonomes. Mais une ouverture plus grande vers les adultes autistes plus autonomes au lieu d'un balaiement du revers de la main ne serait-il pas plus profitable pour tous? Pourquoi madame avec un titre long de même a-t-elle rompu l'échange abruptement, après une sortie voulue cinglante?

Il serait bon de garder les yeux ouverts et les oreilles bien débouchées. Pour sa part, le docteur Laurent Mottron a décrété que l'autisme est une autre forme d'intelligence, pas moindre, pas déficiente. Mais différente. Alors, pourquoi ne pas laisser ce droit de parole à l'autiste et lui donner l'opportunité d'être enfin entendu. Pour l'individu qu'il est et pour les connaissances concrètes dont pourraient bénéficier les gens à même d'entendre son message.

Découvrez d'autres textes de Marie Josée Cordeau sur son blogue 52 semaines avec une autiste asperger

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