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Le souffle des mourants

À chaque inspiration, il s'échappait de sa bouche grande ouverte, un râlement à donner froid dans le dos. Simultanément, sa cage thoracique se soulevait très haut, comme s'il manquait d'air... Le lendemain matin, le lit était vide. L'homme de la chambre 524 était mort au cours de la nuit. Seul.
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Je ne connaissais de la mort que ce que j'avais vu au cinéma. Les scènes que j'avais en tête se terminaient presque toujours de la même façon: le malade en phase terminale partait doucement, entouré de sa famille. Une belle mort, toute en douceur et sans souffrances... Dans la réalité, les malades peuvent vivre une fin très différente.

Refusant obstinément de laisser ma mère toute seule, je dormais là-bas presque tous les soirs. J'avais le sommeil léger, me réveillant au moindre bruit, au moindre gémissement ou toussotement, et à chaque ronde du personnel. Souvent, je pouvais rester éveillée pendant de longues heures pendant lesquelles je restais là, silencieuse, à la regarder dormir, à la fois attendrie et inquiète.

Malgré la tristesse et la lourdeur ambiante, mes nuits là-bas font partie de mes plus beaux souvenirs. Nous avons vécu quelques beaux moments également... J'y reviendrai un autre jour, c'est promis!

J'étais aussi témoin de moments plus tristes. Hantant les couloirs de l'étage des soins palliatifs, de jour comme de nuit, le hasard me rendait parfois spectatrice des derniers élans de vie et des souffrances des autres.

L'homme de la chambre 524 me revient immanquablement en tête. Il était là bien avant que ma mère ne soit admise.

Quand je marchais dans le couloir qui menait vers la chambre de ma mère, je passais devant la chambre 524. Chaque jour, je le voyais, couché sur son lit, les deux yeux grands ouverts, fixant le plafond... Pendant trois semaines, je l'avais vu comme ça, je n'avais vu aucun visiteur se pointer. Était-il solitaire de nature? Ses proches étaient-ils tous décédés? Peut-être était-il de ceux dont l'agonie s'étirait au point où la famille ne sentait plus l'urgence de venir le visiter? Qui sait.

Une nuit, alors que je passais devant sa chambre, j'avais remarqué que sa respiration était différente. À chaque inspiration, il s'échappait de sa bouche grande ouverte, un râlement à donner froid dans le dos. Simultanément, sa cage thoracique se soulevait très haut, comme s'il manquait d'air... Ce fut mon premier contact avec ce souffle bien distinct que j'ai éventuellement surnommé «le souffle des mourants».

Le lendemain matin, quand je suis passée devant la chambre 524, le lit était vide. L'homme de la chambre 524 était mort au cours de la nuit. Seul.

***

On nous avait vendu l'idée des soins palliatifs comme étant des soins «de confort» où les douleurs de maman allaient être soulagées. Pourtant, jour après jour, j'étais témoin des douleurs de ma mère qui, au cours des premières semaines suivant son hospitalisation, souffrait constamment de nausées à cause de sa médication et vomissait spontanément à peu près tout ce qu'elle essayait d'avaler au point où la simple odeur d'un plateau de nourriture suffisait à la rendre malade. Tout ça n'étant que la cerise sur un sundae de douleurs «à couper le souffle», qu'elle me disait.

Aussi, le soulagement de ses douleurs dépendait en majeure partie des médecins qui la suivaient. Sans entrer dans les détails ni faire le procès de qui que ce soit, un des deux médecins qui suivaient Maman sur l'étage des soins palliatifs avait une opinion médicale différente des autres médecins qui l'avaient suivie avant et nous donnait du fil à retordre. Ce n'est qu'au bout de nombreuses plaintes que la balance avait fini par pencher du bon côté et sa médication avait finalement été modifiée, rendant ses douleurs «tolérables». Ce fut d'ailleurs ma plus grande déception face aux soins palliatifs: les douleurs ressenties par ma mère étaient, selon eux, impossibles à soulager complètement.

Au mieux, ma mère a pu profiter d'un léger sursis avant la grande dégringolade... mais à aucun moment, je n'ai eu l'impression qu'elle était «confortable».

***

Je repense également à cette autre dame, âgée d'une quarantaine d'années, qui vivait ses derniers moments dans une chambre au bout du couloir. Elle hurlait constamment, projetant parfois les objets qui se trouvaient à sa portée, ce qui troublait le calme du département. Elle n'était pas confortable, elle non plus. «Cancer du cerveau. Elle souffre beaucoup...», m'avait-on soufflé à l'oreille, d'un ton grave.

Un bon matin, le calme était revenu sur l'étage. En chemin vers le salon des visiteurs, j'avais aperçu sa famille, rassemblée à son chevet. C'est en entendant sa respiration que j'ai compris qu'elle allait bientôt être délivrée.

Quelques heures plus tard, elle nous quittait... En silence, j'ai remercié l'univers de ne pas l'avoir laissée souffrir plus longtemps.

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