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Ma mère avait été le centre de mon univers pendant si longtemps et soudainement, elle n'était plus là. J'avais perdu tous mes repères. Je ne savais même plus qui j'étais...
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Quand je me promenais dans le couloir des soins palliatifs, je les voyais souvent, scotchés l'un à l'autre, partageant les mêmes écouteurs, pour regarder Top Modèles ensemble.

Dans les semaines précédant le décès de ma mère, alors que j'allais emmener cette dernière faire une balade en fauteuil roulant, je les avais surpris au bout du couloir, en train de s'embrasser passionnément. Monsieur s'était fait réprimander par l'infirmière qui lui disait qu'il ne devrait pas faire autant d'efforts et sortir de sa chambre. Il lui avait répondu: «Madame, tant que je serai capable de marcher, j'irai reconduire ma princesse!» Les deux amoureux s'étaient regardés avec des étoiles dans les yeux, arborant tous deux un sourire à vous faire craquer. La force des sentiments qui liait ces deux êtres humains était si puissante qu'elle en était palpable.

En sortant, nous avions croisé le vieil homme qui retournait à sa chambre, en boitant. Chaque pas représentait un effort, mais malgré la maladie, il avait tout de même fait l'effort de reconduire sa belle jusqu'au bout du couloir, tel un chevalier servant.

Ma mère et moi nous étions retrouvées à marcher derrière sa «princesse». Cette dernière, après avoir tourné le coin, elle avait brusquement interrompu sa marche, s'était appuyée contre le mur et avait éclaté en sanglots.

***

«Es-tu capable de dormir, toi? (pause) Moi, j'ai besoin de pilules si je veux être capable de dormir trois heures d'affilée», m'avait-elle dit, brisant le silence qui régnait dans le salon des visiteurs.

Mme B. avait environ soixante-dix ans. Je la croisais régulièrement sur l'étage: elle arrivait à l'aube et partait rarement avant onze heures le soir. Elle veillait sur son mari diabétique.

«Ses plaies aux pieds ne guériront pas. Les médecins savent qu'il ne passera pas au travers. Ils ont dit que ça ne servait à rien de l'amputer. Son cœur s'affaiblit... Je sens qu'il se laisse partir tranquillement.»

Une quarantaine d'années nous séparaient et bien que le contexte soit différent, nous vivions une épreuve similaire. On ne se connaissait pas, mais on se comprenait. Dans nos cœurs, il existait le même courage, les mêmes peurs, le même désespoir, la même colère, la même résilience et les mêmes contradictions.

Inévitablement, un jour, alors que j'étais passée prendre des nouvelles de son mari, celle-ci m'avait annoncé qu'on se revoyait pour la dernière fois. Les médecins s'apprêtaient à injecter à son mari de la morphine en fortes doses afin de ne pas prolonger inutilement ses souffrances:

«Ils ont dit que ce serait rapide. C'est mieux comme ça: quelle qualité de vie lui reste-t-il de toute façon? Il a assez souffert comme ça.»

J'avais fait mes au revoir à Mme B. Je lui avais souhaité d'être en paix et heureuse, une fois le deuil passé. Je lui avais dit de prendre bien soin d'elle, surtout. Elle le méritait.

Le lendemain matin, quand je suis repassée, la chambre était vide. Quelques semaines plus tard, alors que ma mère emménageait de nouveau sur l'étage des soins palliatifs après un léger sursis, j'avais eu des nouvelles d'elle par personne interposée. On m'avait dit que la mort de son mari avait été très dure pour elle, au début ... mais que peu à peu, elle avait retrouvé l'envie de vivre. Cela m'avait donné un peu d'espoir.

***

Maman est morte le 24 août 2006. Elle avait 55 ans.

Le stress de l'organisation de l'enterrement m'avait aidée à tenir debout au cours des jours suivants son décès. Elle avait été incinérée et ses cendres étaient exposées dans une petite salle. Passant la majeure partie de mon temps cachée dans une autre pièce du salon funéraire avec la famille et mes amis, je me répétais sans cesse les mêmes mots: «Reste forte. Reste forte. Reste forte!!!»... Je devais tenir le coup. Ne pas pleurer.

Tel que ma mère l'avait demandé, j'avais animé la cérémonie et son mari Serge avait lu un texte qu'elle avait rédigé. À la fin de la célébration, l'urne, voyageant entre les mains de mon demi-frère et mes demi-sœurs tous alignés en ordre de naissance, avait finalement atterri entre les miennes et je l'avais déposée dans la niche qui lui était destinée.

La dernière page de son histoire venait d'être tournée.

***

Pendant des semaines, mon système immunitaire m'avait fait payer le stress et les nuits blanches des mois précédents.

Mes émotions étaient sens dessus dessous. Ma mère avait été le centre de mon univers pendant si longtemps et soudainement, elle n'était plus là. J'avais perdu tous mes repères. Je ne savais même plus qui j'étais...

Après le travail, j'enfilais les unes après les autres les épisodes de la série Sex and the City pour ne plus penser, pour essayer de combler le vide et le silence que son départ avait causé. Si mes «dernières fois» avec elle avaient été difficiles, les premières fois sans elle étaient encore pires.

C'est mon amie Jennifer qui, sans le savoir, m'avait sauvée de la déprime en m'offrant de remplacer son colocataire sur le Plateau Mont-Royal. Nouveau départ, nouvel environnement, nouvelle routine... Fidèle à mes mauvaises habitudes, j'étais quand même allée m'écorcher le cœur en entrant en relation avec un jeune homme déjà en couple. La chute fut brutale. Puis, moins d'un an plus tard: nouvel homme, faux départ, nouvelle chute...

Il m'en a fallu du temps, mais j'ai fini par comprendre que le vide que je cherchais à remplir, ce n'était pas une relation amoureuse qui allait le combler. Je devais vivre mon deuil et apprivoiser la solitude. L'ex-copain avait promis de m'emmener à New York? «Qu'à cela ne tienne, j'irai quand même!» Le projet de voyage en amoureux est devenu un voyage de filles.

C'est ainsi qu'un beau matin de juillet, après avoir passé la nuit dans un autobus Greyhound, mon amie Jennifer et moi avons finalement foulé le sol de la grosse pomme... Et dans le vacarme assourdissant de la 42e rue, je me suis réconciliée avec la vie.

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Mai 2017

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