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Et si les féministes n'étaient pas «en train de capoter»?

J'avais essayé de le repousser, sans succès. Prise de panique, je m'étais mise à crier et à me débattre, sous le regard amusé de Dave qui encourageait Michel à continuer ses gestes déplacés, plutôt que de me laisser tranquille.
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Ayant grandi en région, j'aimais bien fréquenter ce café-bar de la rue Mont-Royal parce qu'il me rappelait les lieux que j'avais l'habitude de fréquenter au début de l'âge adulte dans mon petit village. J'y connaissais tout le personnel et on y retrouvait souvent les mêmes clients. Je n'avais aucun problème à y sortir seule parce que je savais que j'allais immanquablement rencontrer des amis ou des connaissances et passer une bonne soirée. Je m'y sentais comme chez moi.

Un soir, alors que j'étais assise au bar, Dave* - que je ne connaissais ni d'Ève ni d'Adam -, s'est présenté à moi avant de se permettre quelques commentaires gratuits concernant ma façon de m'habiller : «c'est vraiment ridicule la façon dont tu t'habilles... T'as l'air d'une pute!»

Il avait conclu notre court entretien par : «si tu veux qu'on te respecte, ben t'as juste à pas t'habiller de même!» Les escarpins, mini-jupes et skinny jeans constituaient une bonne partie ma garde-robe, c'est vrai. Était-ce une bonne raison pour m'attaquer? Je ne pense pas.

Quelques jours après, alors que je prenais un verre au café-bar et que j'étais en pleine discussion avec une connaissance, Dave s'était invité dans notre conversation: «Ah ben, salut toi... Toujours habillée comme une Marie-couche-toi-là à ce que je vois!»

Choquée, je lui avais rapidement tourné le dos et j'avais tenté de l'ignorer, continuant de raconter à Michel* un événement qui m'avait bouleversée un peu plus tôt dans la soirée. Prétextant vouloir me réconforter, Michel m'avait serré dans ses bras...

«Si t'avais pas annulé mon invitation à un souper, tu t'en serais pas sortie aussi facilement parce que je t'aurais saoulée!»

J'avais déjà eu, par le passé, une conversation claire (enfin, c'est ce que je croyais!) avec Michel* concernant le fait qu'il était friendzoné et que je n'étais intéressée qu'à une relation platonique, alors je n'étais pas sur mes gardes.

Malheureusement, faisant fi de mon souhait quelques secondes plus tard, Michel commençait à me toucher à des endroits inappropriés.

- Qu'est-ce que tu fais là ?!? Arrête!!!

J'avais essayé de le repousser, sans succès. Prise de panique, je m'étais mise à crier et à me débattre, sous le regard amusé de Dave qui encourageait Michel à continuer ses gestes déplacés, plutôt que de me laisser tranquille.

Michel avait fini par me lâcher, en me disant : «si t'avais pas annulé mon invitation à un souper, tu t'en serais pas sortie aussi facilement parce que je t'aurais saoulée! »

J'ai croisé Michel quelques jours plus tard, au même café-bar. Je l'ai confronté. Il m'a dit qu'il n'avait qu'un souvenir vague de l'incident, car il était fortement intoxiqué ce soir-là, mais n'a pas contredit ma version des faits. Il s'est confondu en excuses, et je les ai acceptées. Pour moi, l'incident était clos. Ce fût notre dernière communication et je ne l'ai jamais revu.

Au fait, voulez-vous savoir ce que faisait Dave dans la vie? Il était enseignant au secondaire...

***

Pendant longtemps, je voyais les «féministes» comme des femmes frustrées tenant des propos flirtant avec la misandrie. Je croyais que le féminisme était d'une autre époque, que nous avions évolué. Que le statut de la femme était «ben correct»... Le problème était ailleurs, dans les autres pays... Pas au Québec! Et surtout, je trouvais que les féministes capotaient avec leur «culture du viol»... Je n'y croyais pas. Ou plutôt, je ne voulais pas y croire.

Avec le recul, je réalise qu'elles avaient raison. La «culture du viol», elle se manifeste subtilement, dans ces petits détails, ces façons de penser qui passent pratiquement inaperçues quand on ne veut pas les voir:

  • C'est quand on se fait dire que c'est normal qu'un homme pense qu'on va coucher avec lui parce qu'on a accepté une invitation à souper...
  • C'est quand une jeune femme se fait dire que si elle ne voulait pas que les gens passent des commentaires sur sa poitrine, elle n'avait qu'à ne pas porter de chandail décolleté sur sa photo de profil Facebook...
  • C'est quand on se fait dire que c'est normal qu'on ait reçu des avances ou qu'on ait posé sur nous des gestes déplacés, parce qu'on était habillées «sexy» ...
  • C'est quand on apprend qu'une adolescente de 16 ans s'est fait agresser sexuellement au cours de la nuit et que tout ce qu'on trouve à répondre c'est « qu'est-ce qu'elle faisait dehors à cette heure-là?»...
  • C'est quand des femmes allèguent avoir été agressées sexuellement par Bill Cosby ou Donald Trump et qu'elles se font traiter de menteuses, de chercher l'attention ou l'argent...
  • C'est quand on dit que «ça fait des années de ça, pourquoi porter plainte maintenant?», comme si le temps pouvait effacer tout...
  • C'est quand on ose prétendre que le présumé agresseur a souffert plus que la présumée victime, parce que sa réputation a été ruinée...
  • C'est quand des jeunes femmes vivant sur un campus se font dire qu'elles n'avaient qu'à verrouiller leur porte pour éviter des incidents fâcheux...
  • C'est quand on fouille le passé d'une présumée victime et qu'on rend public un passé de prostitution, comme si un «non» ou qu'un témoignage provenant d'elle n'avait aucune valeur...
  • C'est quand on attaque la crédibilité de la victime et qu'on questionne la validité du mot «non» quand il sort de sa bouche.
  • C'est quand on pense que «non», ça veut un peu dire «oui».

***

Regardez autour de vous. Écoutez les présumées victimes. Remarquez bien les commentaires plus ou moins subtils ici et là...

Est-ce que vous pensez toujours que les féministes sont «en train de capoter»?

Pas moi.

* Prénoms fictifs

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