Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

«Unité modèle»: sous les apparences

Dans ce monde idéal, en compagnie de ce couple idéal, dans un décor choisi où tout semble parfait, on se rend compte bien vite que c'est l'avoir et le paraître qui prime avant tout. Jusqu'à ce que la machine se déglingue et que la dure réalité nous rejoigne.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

J'ai déjà comparé le théâtre de Guillaume Corbeil au film Blue Velvet de David Lynch. Tout comme chez le cinéaste, Corbeil nous présente des univers léchés, esthétisants, où tout semble harmonieux alors que la réalité dissimulée se révèle beaucoup plus sombre. C'est la monstruosité qui sommeille en chacun de nous ou qui s'instrumentalise dans les institutions ou dans les outils financiers du capitalisme.

Unité modèle, la plus récente pièce du dramaturge présentée au Théâtre d'Aujourd'hui, ne déroge pas. Tout comme dans Cinq visages de Camille Brunelle, sous les jolies et séduisantes apparences se cachent quelques rouages grinçants. On le sent dans Unité modèle, la technique étant la même, mais le résultat demeure surprenant.

Patrice Robitaille et Anne-Élisabeth Bossé convient les spectateurs à une de ces soirées où on boit du champagne (oui, oui, j'en ai bu pour de vrai) et où on fait l'article pour vous vendre quelque chose. Ici, il ne s'agit pas d'une croisière, mais de condos au design ultramoderne et à la vue imprenable qui ne peuvent faire autrement que changer le regard que l'on pose sur la vie.

Car vous allez devenir une meilleure personne en vivant dans ce décor, vos rêves seront bientôt réalité. Vous rencontrerez l'amour dans ce complexe d'appartements, vous mangerez de l'osso buco et boirez du bon vin, vous irez dans le jacuzzi et contemplerez les étoiles, tout sera parfait et vous n'aurez plus à vous préoccuper de ce vide existentiel qui vous ronge l'âme. Votre vie sera dorénavant formatée, encadrée, sans soucis. Et en plus on paye pour vous le notaire, le déménagement et les frais de condos pour la première année.

Dans la scénographie géniale de Max-Otto Fauteux, où des modules deviennent ce que l'on veut, et avec les vidéos de Larsen Lupin, complètement tributaires d'un marketing aux méthodes éprouvées, les deux comédiens nous vendent leur salade avec une conviction qui serait risible si elle n'était aussi quelque peu inquiétante. Car il est tellement facile de se laisser piéger par la promesse d'un rêve accessible. Changer de vie et, peut-être, de peau pour quelques centaines de milliers de dollars? Ce n'est pas cher payé. Et la compagnie Diorama vous promet une quasi-autosuffisance où tout ce dont vous avez besoin, maintenant et dans l'avenir, se trouvera à portée de la main.

J'ai déjà lu des nouvelles de science-fiction qui traitaient d'univers comme celui-là. Et bien, nous y sommes. Et cela a évoqué pour moi une forme de totalitarisme, comme dans les pays d'Europe de l'Est avant la chute du mur de Berlin, où dans tous les intérieurs on retrouvait les mêmes horribles meubles de contreplaqué brun, les mêmes cadres désastreux sur les murs, les mêmes accessoires hideux, produits des usines communistes et vendus dans tous les pays satellites de l'URSS. De nos jours, c'est IKEA qu'on trouve dans tous les intérieurs, dans toutes les cultures à travers le monde occidental. Et si leur production est plus jolie, le principe est le même: cette uniformisation du goût où tout le monde se retrouve avec les mêmes étagères, le même lit, la même table de salle à manger, la même vaisselle. Les vendeurs précisent dans Unité modèle que l'acheteur potentiel peut choisir le matériau de son comptoir de cuisine ou le bois qui va entourer son écran plat dans son salon. Mais tous les appartements sont semblables, avec les mêmes modules, les mêmes espaces et les mêmes gens qui veulent rêver leur vie à l'intérieur de leur quatre-vingt-dix mètres carrés.

Dans ce monde idéal, en compagnie de ce couple idéal, dans un décor choisi où tout semble parfait, on se rend compte bien vite que c'est l'avoir et le paraître qui prime avant tout. Jusqu'à ce que la machine se déglingue et que la dure réalité nous rejoigne. La mise en scène de Sylvain Bélanger sert très justement le propos de Guillaume Corbeil sans temps mort, conférant au texte un rythme soutenu fort bien rendu par les comédiens. Et le principal mérite de ce texte, c'est qu'il est éminemment plausible, à quelques détails près. Et, franchement, c'est terrifiant. Parce que les personnages sont prisonniers d'une terrible machine et qu'ils n'ont pas les outils pour la démanteler.

Unité modèle, au Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 7 mai 2016.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Les artistes saluent Rita Lafontaine au Théâtre du Rideau Vert

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.