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Tu te souviendras de moi : une pièce dont on va se rappeler

Je vous préviens tout de suite: vous allez assister à un morceau de bravoure en allant voir: un très bon texte desservi par d'excellents comédiens au-dessus desquels plane Guy Nadon.
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Je vous préviens tout de suite: vous allez assister à un morceau de bravoure en allant voir Tu te souviendras de moi : un très bon texte desservi par d'excellents comédiens au-dessus desquels plane Guy Nadon. Un Guy Nadon en grande forme qui insuffle à cette pièce une dimension profondément humaine en exploitant les côtés cabotins, fragiles, suaves et souvent insupportables de son personnage, un intellectuel en train de perdre la tête.

Édouard est un prof d'histoire qui a beaucoup réfléchi et qui croit profondément que le passé est garant de l'avenir. Il se souvient parfaitement des dates de l'Antiquité et des détails des cours qu'il donnait à l'université. Mais il est bien incapable de dire ce qu'il a mangé au petit déjeuner. Ses absences se font plus fréquentes, il ne se rappelle plus des noms ni de la conversation qu'il vient tout juste d'avoir. Et il en est conscient. Sa femme, Madeleine (Johanne-Marie Tremblay) n'en peut plus et l'amène chez leur fille Isabelle (Marie-Hélène Thibault), journaliste incapable d'émotion et de compassion, qui vit avec son nouveau conjoint, Patrick (Claude Despins). C'est ce dernier qui s'occupera d'Édouard pendant le week-end et lorsqu'à son tour il veut une pause, il fait appel à sa fille Bérénice (Emmanuelle Lussier Martinez), petite punkette aux cheveux rouges et à la dégaine très contemporaine. Et autant cette pièce traite de la mémoire, autant elle s'attarde sur cette rencontre sinueuse et improbable entre deux êtres que tout sépare.

Et ce personnage de Bérénice, qui va passer de l'effroi au ravissement devant ce vieux monsieur avec qui, croit-elle, elle n'a rien en commun, est étonnant. Et donnons tout le crédit à Emmanuelle Lussier Martinez qui se retrouve en face d'un des meilleurs comédiens de théâtre de la province et qui s'en tire avec tous les honneurs. Eh! Il fallait qu'elle soit à la hauteur! La chimie entre les deux est palpable et les scènes où ils se retrouvent sont délicieuses d'ironie et de lucidité.

Le sujet est grave, mais le traitement laisse une grande place à des situations biscornues ou à des moments totalement absurdes. Édouard représente l'ultime carpe diem, sauf que de cela non plus il ne se souvient pas. Jouer aux cartes relève d'un principe de haute voltige qui tourne à vide. Discuter de l'état de la civilisation devient un exercice redondant où le même discours revient à intervalles réguliers. Il faut répéter les mêmes choses toutes les cinq minutes, rappeler qui on est, où on se trouve, qu'est-ce qui va arriver. Édouard va d'ailleurs dire à sa femme: «Tu ne trouves pas ça lourd de s'occuper de moi?» La réponse sera oui. En fait, elle rêve de l'étrangler.

Ces pertes de mémoire sont formidablement mises en parallèle avec les intérêts (ou l'absence d'intérêts) de notre belle jeunesse. Pourquoi apprendre quoi que ce soit puisque tout est à portée des doigts avec un ordi ou notre téléphone? La réflexion est poussée davantage avec les allusions aux deux référendums de 1980 et 1995 où la mémoire collective n'a manifestement pas été à la hauteur des attentes. Où est le Je me souviens dans tout cela? Mais aussi: est-il bien utile de se rappeler alors que tout est peut-être dérisoire.

François Archambault nous propose une galerie de personnages tous plus humains les uns que les autres, avec leurs défauts, leurs failles, leur autodérision. Il y a beaucoup de moments très drôles dans la pièce et j'ai apprécié que le pathos inhérent à ce genre de situation ne soit pas exploité outre mesure. On est touchés, certes, mais on ne pleure pas toutes les larmes de son corps. Parce que c'est plein de sève, de vie et de tendresse, parce que c'est narquois aussi et parce que les choses ne sont jamais aussi claires que lorsqu'une souffrance les dévoile. Mais cette souffrance est mise en perspective et ne prend pas toute la place. Voyez-vous, il faut bien continuer de vivre.

En négociant les nuances de la tragédie dissimulées dans la vie des personnages, François Archambault atterrit au milieu de la vérité. Et s'il n'y a pas de rédemption pour Édouard, il connaîtra au moins une consolation grâce à cette turbulente Bérénice à l'audace qui conquiert tout.

Tu te souviendras de moi est une production du Théâtre de la manufacture et est présentée au théâtre La Licorne jusqu'au 22 février 2014.

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Avril 2018

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