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«Televizione»: qui trop embrasse, mal étreint

se révèle un ramassis de clichés et un texte pas très abouti où on nous répète encore et encore les mêmes choses.
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Je viens de terminer la tétralogie napolitaine d'Elena Ferrante (un chef-d'œuvre, et je pèse mes mots) et en me rendant voir Televizione de Sébastien Dodge au Quat'Sous, je me disais que j'allais retrouver l'atmosphère italienne dans laquelle j'ai baigné au cours des deux dernières semaines et qui m'a tant enchantée. Grave erreur de ma part.

Je peux comprendre le désir de dénoncer qui habite Sébastien Dodge. Avec Dominion (2013) qui traitait du scandale du Canadien Pacifique et Damnatio Memoriae (2014) où s'étalaient la corruption et les excès de l'Empire romain, (et j'avais aimé ces deux productions) il ne fait aucun doute qu'il se sent investi d'une mission: celle de nous dire qu'on se fait avoir constamment par les riches et les puissants et que l'Histoire n'est que la répétition nauséeuse des mêmes erreurs dont on n'apprend manifestement jamais rien. Mais Televizione se révèle un ramassis de clichés et un texte pas très abouti où on nous répète encore et encore les mêmes choses.

Cette fois-ci, pour le féru d'Histoire qu'est Sébastien Dodge, c'est le thème de la colonisation de l'Éthiopie par l'Italie qui va servir de prétexte de départ. Colonisation entreprise par le régime de Mussolini en 1935 dont peu de gens savent peu de choses et qui a bien sûr mené à des massacres et des exactions de toutes sortes. Dans Televizione, un producteur qui s'appelle, lui ou sa compagnie ce n'est pas clair, Baroque Gold (on a compris ici l'allusion à Barrick Gold, la compagnie minière canadienne accusée de pratiques plus que douteuses dans le domaine de l'environnement et qui a entamé des poursuites-baillons à la suite de révélations) décide après la fin de la guerre de produire une série télévisée sur cette colonisation de l'Éthiopie afin de redonner au peuple italien la fierté dont l'occupation allemande l'aurait dépouillé. Baroque Gold (Mathieu Gosselin) embauche Mike (Louis-Olivier Maufette), le Capitaine Canada qui a bouté les méchants nazis hors de l'Italie (quasi à lui tout seul) afin d'en faire le symbole de la Liberté et de la Démocratie. Se joignent au duo Arlequino (David-Alexandre Després) qui incarnera les tout aussi méchants Éthiopiens et Gina (Marie-Ève Trudel), la pitoune de service.

Ce qui suit est très, très confus. Tout en abordant le thème de l'extermination des sauvages mécréants qui ne partagent pas les valeurs occidentales et qui ne consomment pas les biens qui contribuent à l'expansion et à la richesse du capitalisme, la pièce traite également des femmes qu'on jette à la poubelle dès qu'elles vieillissent, des âmes droites qui lancent des cris d'alerte pour dénoncer de terribles injustices, de tous ceux qui se donnent bonne conscience avec leur yoga, leur kale, leur jogging et leur discours nouvel-âgeux relevant de la plus grande nounounerie et, évidemment, des médias complices de tout cela avec un intense nivelage vers le bas où la superficialité affiche une fausse profondeur, surtout lorsqu'une célébrité vient nous assener sur un ton docte quelques idées reçues traitant de la vie et de ses vicissitudes. (Allo, Gwyneth Paltrow.)

Je comprends tout cela, le public du Quat'Sous aussi, j'en suis sûre. Ce qu'on nous offre en pâture à la radio et à la télévision, et dans les journaux et les magazines, est d'une affligeante médiocrité. Et les passages de la pièce qui se moquent des médias sont relativement amusants. Mais encore, Sébastien Dodge?

Le résultat est chaotique. Les comédiens, qui jouent tous plusieurs rôles sauf Louis-Olivier Maufette, semblent un peu perdus là-dedans. La critique des médias en tant que telle survient un bon quarante minutes après le début. On ne parle pas de la télévision italienne (qui aurait pourtant donné un sujet en or), et les pans d'Histoire qui sont mentionnés le sont dans des contextes qui les ramènent à la simple anecdote. Ici, qui trop embrasse mal étreint.

La pièce débute avec des nazis subjugués par les discours de Hitler transmis à la radio chaque jour et faisant état d'avancées factices et de victoires fantômes. Goebbels, le ministre de la propagande de l'Allemagne, avait compris bien avant Marshall McLuhan que le medium, c'est le message, que le canal de transmission qui transmet l'information compte bien davantage que le sens ou le contenu de ce qui est diffusé. Sébastien Dodge a probablement voulu en faire l'ultime démonstration, mais le résultat est un fouillis peu convaincant. Et son message se perd dans un médium qui part dans toutes les directions et où tout demeure au premier degré. Ce dramaturge a plusieurs cordes à son arc, mais ici il tire dans tous les sens et cela donne, sur scène, l'effroyable machination du rien.

Televizione, une production du Théâtre de la Pacotille, au Quat'Sous jusqu'au 28 avril 2016.

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