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Survivre, dans un univers d'une platitude grandiose

, la pièce d'Olivier Kemeid et d'Éric Jean présentée au Quat'sous, jette un regard sur un bureau miteux où travaillent sans enthousiasme six employés, des ronds-de-cuir du 21e siècle qui répondent au téléphone et entrent des commandes sur leur ordi. Un travail qui les laisse hébétés à la fin de la journée.
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Yanick Macdonald

Je crois qu'il nous faut tous, à une époque de notre vie, avoir fait une job plate. Je veux dire par là un travail ennuyeux, répétitif où on ne trouve aucune stimulation de quelque ordre que ce soit. Et, règle générale, ce genre de travail s'accompagne de collègues qui sont la plupart du temps aussi ternes que la tâche à accomplir. Si je crois qu'il faut être soumis à cela, volontairement ou par la force des choses, c'est pour bien sûr apprécier davantage ce que nous faisons par choix et par passion malgré les écueils qui parsèment la vie professionnelle. Rien de tel comme la chaîne de montage, au propre comme au figuré, pour nous faire aimer les imprévus et la sortie des sentiers battus de la routine.

Survivre, la pièce d'Olivier Kemeid et d'Éric Jean présentée au Quat'sous, nous propose de jeter un regard sur un univers d'une platitude grandiose, un bureau miteux où travaillent sans enthousiasme six employés, des ronds-de-cuir du 21e siècle qui répondent au téléphone et entrent des commandes sur leur ordi. Il est visible qu'ils accomplissent un travail mortellement ennuyeux, complètement abrutissant, sans défi aucun. Un travail qui les laisse hébétés à la fin de la journée et sans une once d'énergie alors qu'on devine qu'une fois à l'extérieur, ils ne vont rien faire de plus excitant que de regarder le télé parce que leur huit heures dans ce bureau a vampirisé toute leur énergie et a tué chez eux toute velléité de créativité, de questionnement ou de révolte.

Mais cela donne lieu aussi à des scènes amusantes malgré leurs accents désespérés. Ces six personnes se tombent tous royalement sur les nerfs les uns des autres, mais personne ne va jamais relever les travers exaspérants afin d'améliorer l'atmosphère de travail. Une des employés garde en permanence ses écouteurs sur les oreilles et se laisse aller à chanter parfois, à la grande horreur de ses collègues... une autre tente, sans succès, de créer des liens avec sa voisine de bureau. Un troisième pique une crise devant les tiroirs récalcitrants d'un classeur. La mise en scène, qui mise sur la routine et sur la répétition des gestes avec de temps à autre un moment complètement excessif, traduit parfaitement l'atmosphère confinée, claustrophobe et paranoïaque qui est le lot de cet endroit ou travail semble être synonyme de mort à petit feu. Jusqu'au moment où...

Crédit photo: Yanick Macdonald

Je ne veux pas en dire trop, mais sachez seulement qu'un bel étranger surgit et qu'il est l'objet de bien des fantasmes et de bien des rêves. Et que la présence réelle ou imaginaire de ce personnage sera le révélateur de secrets enfouis et le prétexte aussi à des envolées lyriques que l'on croyait impossibles de la part de personnages aussi médiocres.

J'ai beaucoup aimé Survivre et j'aurais aimé en avoir davantage, en savoir plus sur ces êtres plus proches du robot que de l'humain. Mais les six comédiens nous tracent tout de même, avec très peu de texte finalement, un portrait de leur cœur et de leur âme qui demeure extrêmement frappant. Anne Casabonne, marchant comme si elle souffrait d'une scoliose avancée et arborant un masque impassible, est la personnification même de la personne inatteignable, imperméable à toutes les avances d'amour ou d'amitié. André Robitaille, gris de visage et de vie, porte le costume le plus laid de l'histoire du théâtre québécois et nous donne un personnage que l'on sent à la fois dangereux et pathétique, le genre de collègue qu'il faut fuir à toutes jambes, mais qui inspire tout de même une certaine pitié. Il y a aussi la merveilleuse Sylvie Drapeau en femme aigrie qui est passée à côté de tout et dont l'on sent la rage contenue qui ne demande qu'à éclater. Renaud Lacelle-Bourdon, le mystérieux et bel étranger, tient avec brio ce rôle où il ne dit rien, pas un mot, mais où il signifie tout, ce qui n'est pas si simple. Et Martine-Marie Lalande, Olivia Palacci et Laurie Gagné sont également excellentes dans cette production qui rend de façon originale la fusion entre l'idéal et le réel.

Le travail rend libre, dit-on. Sauf quand il devient une prison, un sarcophage, et qu'il ne nous donne plus une raison de vivre, mais à peine un prétexte à survivre.

Et soit dit en passant, avant Survivre on nous présente une courte pièce de dix minutes, Cleaning, où jouent trois jeunes gens fraîchement sortis de l'école de théâtre. C'est très drôle et très réussi, une excellente idée que l'on devrait exploiter davantage.

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