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«Septembre»: la maternité expliquée

Toutes les femmes qui ont des enfants savent de quoi il retourne. Habitée par la certitude que ce monde est terriblement dangereux pour vos petits chéris, vous allez voir la pièceà l'Espace libre. Évelyne de la Chenelière y incarne une femme fatale, c'est-à-dire que la fatalité poursuit.
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Toutes les femmes qui ont des enfants savent de quoi il retourne. Même si vos enfants sont grands, qu'ils volent de leurs propres ailes, qu'ils se débrouillent dans la vie, vous êtes persuadée qu'il peut toujours leur arriver d'innombrables malheurs, qu'ils sont toujours capables de faire connerie par-dessus connerie, vous en perdez le sommeil en pensant à tout ce qui pourrait leur arriver, qu'ils aient trois ans ou trente ans. Vous envisagez une attaque terroriste, un accident de vélo ou de voiture, une bombe atomique qui leur tombe sur la tête, une maladie rare (ou pas si rare que ça) qui les emporte soudainement. Vous vous faites pleurer vous-même le soir dans votre lit en pensant à ce qu'a dit Nora Ephron face sur la maternité : You never stop worrying. Never.

Habitée par la certitude que ce monde est terriblement dangereux pour vos petits chéris, vous allez voir la pièce Septembre à l'Espace libre. Évelyne de la Chenelière y incarne une femme fatale, c'est-à-dire que la fatalité poursuit. Rongée d'inquiétude, elle cherche un moyen de protéger cette fille qu'elle aime par-dessus tout, mais qui, elle l'avoue, la dérange parfois dans ses projets et son travail lorsqu'elle l'appelle de l'école en prise avec un mal de ventre atroce. Dit-elle. Vous comprenez parfaitement cette inexorable contradiction qui est le lot des mères en Occident (et ailleurs aussi sûrement) : faire comprendre à son enfant qu'on ne sera pas toujours là et que la vie est une lutte acharnée tout en protégeant le plus possible cet être fragile et délicat des aléas de l'existence. Et mêlant à tout cela le souhait que cette enfant soit autre. Plus épanouie, plus lumineuse, plus blonde. Parce qu'alors, peut-être, la responsabilité parentale s'amenuiserait.

Vous voyez Évelyne de la Chenelière observer la cour d'école à travers la clôture Frost. Vous entendez ses réflexions que vous trouvez très justes sur la hiérarchie inhérente à ce microcosme, à ce lieu clos où la différence, l'originalité ou la médiocrité ne sont pas tolérées. Vous imaginez sans peine avec elle le calvaire de la petite Melissa dont la scandaleuse mère (qui boit) vient raconter n'importe quoi de l'autre côté de cette clôture. Vous compatissez devant la description de cette autre petite qui n'a qu'un œil et qui est transie d'admiration et d'amour devant Mia, la plus populaire, la plus belle, la plus cruelle aussi. Vous comprenez le sacrifice d'elle-même qu'envisage cette autre mère dont le fils est le souffre-douleur de la bande des petits caïds. Vous aimez les pointes d'humour et d'ironie du texte, ses images, sa couleur, la poésie qui s'en dégage. Vous aimez comment Évelyne de la Chenelière rend la fascination des enfants pour les assonances, dissonances et allitérations du langage. Vous aimez la façon dont elle se glisse dans la peau de tous ces êtres quelle ne connait pas, mais qu'elle connait pourtant parce qu'elle est une habituée des tempêtes et des vertiges de la vie.

Vous regardez avec stupéfaction ces dessins à la craie dans des cours d'école qui sont projetés en arrière-plan. Parce qu'ils évoquent un réalisme rempli de souffrances et de douleurs. Vous comprenez la métaphore des petites figurines avec lesquelles jouent les enfants et qui représentent un monde idéalisé, parfait, qui ne change jamais et qu'on peut ranger dans une boîte pour retrouver, intactes, la prochaine fois. Stabilité dans tout ce chaos.

Vous appréciez le minimalisme de cette mise en scène de Daniel Brière qui laisse toute la place à ce beau et grand texte. Vous trouvez saisissantes les dernières minutes de ce spectacle et vous en sortez avec une solution, certes pas vraiment envisageable, mais une solution tout de même pour vous permettre de vivre sans toujours être obsédée par cet absurde et immense chagrin relatif au bien-être de vos enfants. Vous remerciez dans votre cœur Évelyne de la Chenelière pour avoir écrit et articulé ce que vous ressentez si profondément. Parce que Septembre c'est dur et beau. Très dur et très beau.

Septembre: Une production du Nouveau Théâtre Expérimental, à l'Espace libre jusqu'au 3 octobre 2015.

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