Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

«Sauvageau Sauvageau»: insondable

Il y a, dans ce diamant brut, un talent littéraire brillant. Mais Yves Sauvageau était comme un cheval fou.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Il s'appelait Yves Hébert, mais préférait Sauvageau. Il a traversé à la vitesse de l'éclair le firmament du théâtre québécois avant de se donner la mort en pleine Crise d'octobre, en 1970. Il avait 24 ans. J'ai lu son unique pièce de théâtre, Wouf Wouf, dans ma jeunesse. Je n'ai pas compris grand chose à ce moment-là à ce texte touffu, baroque, dont se dégageaient une révolte et un désespoir qui ne m'avait pas touchée. Je ne peux pas dire que la pièce adaptée de ses écrits et mise en scène par Christian Lapointe l'a fait davantage.

Mais rendons à César... Les deux comédiens, Paul Savoie, en Sauvageau âgé, celui qu'il aurait pu être s'il avait vécu; et surtout Gabriel Szabo, en Sauvageau jeune et impétueux, sont excellents. Le jeune Szabo nous fait retenir notre souffle lors d'un monologue qui doit durer plus de 20 minutes et où il résume sa pensée dans un discours inouï, démesuré et d'une rare intensité.

C'est sûr que si on vit habité par ce genre de pensées, ce doit être bien difficile de supporter le quotidien, la médiocrité, le train-train habituel. Je crois que Sauvageau se rapproche en cela d'Antonin Artaud dans cette exigence exaspérée et toujours déçue face à la création, à ce qu'il souhaite accomplir, aux obstacles et aux embûches qu'il rencontre, à l'incompréhension du monde.

Crédit photo: Valérie Remise.

Mais cette même exigence, tout à fait louable dans l'absolu, fait aussi en sorte que ce texte, cette pièce, ce Sauvageau, demeurent des énigmes.

Au même titre que les Nelligan, Radiguet, Rimbaud de ce monde, il a choisi de se taire, de partir brusquement. Ce qu'il a laissé derrière lui n'est pas facile d'accès. La maturité, s'il l'avait connue, l'aurait peut-être amené à épurer, à consolider son verbe, qui relève davantage de la logorrhée que d'un discours cohérent. On comprend que sa parole rebelle dénonce la course à la richesse, la solitude de l'artiste, tous les travers d'une société où Sauvageau est mal à l'aise, mais tout cela est dénué d'humour et d'une structure qui nous permettrait à nous, spectateurs, de tenir un fil conducteur. On se retrouve dans un maelstrom de mots qui nous laisse hébété.

La mise en situation du début de la pièce m'a beaucoup plu. Les voix de Jean-Louis Millette, Jean-Louis Roux et Gaétan Labrèche parlent de leur rencontre avec ce jeune homme hors du commun, au regard doux et au cœur pur, trop doux et trop pur pour ce monde.

Des photos nous le rendent concret, son écriture est projetée sur ce cube-écran qui sert de décor et de maxi-accessoire. Tout est en place pour une découverte qui n'aura pas lieu. Car le choix d'adopter un style plutôt déclamatoire pour les comédiens et la teneur même de l'œuvre de Sauvageau rendent le résultat peu accessible.

Je n'en sais pas beaucoup plus sur Sauvageau. J'aurais aimé qu'on se penche sur la source de sa créativité, sur les réactions de son milieu, familial et artistique, face à ce déluge d'une rare originalité mais qui aurait sûrement gagné à être canalisé et apprivoisé. Sauvageau Sauvageau a échoué à capturer mon imagination avec ce texte sybillin et insondable. Il y a, dans ce diamant brut, un talent littéraire brillant. Mais Yves Sauvageau était comme un cheval fou. Qui n'a manifestement jamais trouvé celui ou celle qui lui aurait murmuré à l'oreille.

Sauvageau Sauvageau: une création du Centre du Théâtre d'Aujourd'hui et du Théâtre Blanc, au Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 10 octobre 2015.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

As it (Tel quel)

Théâtre Duceppe: Saison 2015-2016 dévoilée

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.