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Pour réussir un poulet: l'horreur de la nature humaine

Ai, dans les premières minutes de ce spectacle présenté à La Licorne, on rit des répliques assassines qui déferlent comme de la mitraille, peu à peu le malaise s'installe.
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Je sors toujours la gorge serrée après avoir vu une pièce de Fabien Cloutier. La gorge serrée et au bord des larmes, parce que ce dramaturge a le don de nous amener au bord de la falaise et de nous donner la poussée qui nous fera tomber dans l'abîme de cette nature humaine pas toujours belle à regarder. Ça nous sort de notre bulle et je considère cela comme une nécessité.

Pour réussir un poulet ne déroge pas et si, dans les premières minutes de ce spectacle présenté à La Licorne, on rit des répliques assassines qui déferlent comme de la mitraille, peu à peu le malaise s'installe devant cette toile tissée par Mario Vaillancourt (Denis Bernard) le propriétaire des Galeries du Boulevard qui a engagé deux bozos : Carl (Guillaume Cyr) et Steven (Hubert Proulx) pour des petits boulots pas très payants et qui leur propose une gimmick qui leur permettra de faire facilement un gros tas de sous. Et là, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à Frank Underwood de House of cards. Mario Vaillancourt, sur une échelle plus humble et plus locale, disons, est de la même race, de ceux qui, pour arriver à leurs fins, par soif de pouvoir, d'argent, de contrôle, abîment et détruisent irrémédiablement ceux qui ont le malheur de les côtoyer. Et les personnages, comme les spectateurs, ne sortent pas indemnes de ce foutu engrenage à l'impeccable mécanique dont il est impossible de s'extirper.

En une heure dix, on apprend tout sur ces deux paumés, des bons gars au fond, sans instruction, sans envergure, sans ambition, mais qui ne sont pas méchants pour deux sous. La mère de Steven (Marie Michaud) nous fait rire avec ses conversations sur Internet avec son amie Jacqueline qui tient absolument à ce qu'elle signe des pétitions s'opposant à la lapidation d'une musulmane accusée d'infidélité ou quoi que ce soit d'autre pour lequel on lapide les femmes dans certains pays. La blonde de Steven, Melissa (Gabrielle Côté), qui elle non plus n'est pas allée à l'école trop longtemps et qui est serveuse dans le restaurant appartenant à Vaillancourt, aspire à autre chose, mais le seul moyen qu'elle trouve pour améliorer sa condition c'est de tomber dans les bras de son horrible patron.

Ce qui frappe chez tous ces personnages c'est leur misère culturelle, leur incapacité à voir au-delà de leur univers étriqué, mais aussi leur désir de faire le mieux possible avec ce qu'ils ont. Ainsi on sent l'amour véritable que Carl porte à ses deux petites filles dont il a la garde une fin de semaine sur deux et c'est probablement parce que ce sentiment-là est le plus pur qu'il sera foulé aux pieds de la façon la plus abjecte qui soit par l'incarnation du mal qu'est Vaillancourt.

La musique de Misteur Valaire souligne et accompagne l'action et l'émotion tout au long de la représentation. À la mise en scène, Fabien Cloutier a choisi un décor composé d'un grand mur jaune percé de deux portes devant lequel évoluent les comédiens. D'ailleurs on n'a pas besoin de plus que cela. Tout est ici dans ce texte, dans cette langue primaire et primale au vocabulaire pauvre qui utilise les sacres, les cris et les larmes pour véhiculer la révolte et le ressentiment. Et même si j'ai trouvé Pour réussir un poulet très dur, à la limite du soutenable, j'ai aussi éprouvé une immense compassion pour Steven et Carl parce qu'on a envie de les prendre dans nos bras et de leur dire que, non, il n'y a pas que de la méchanceté et de la perversité en ce bas monde et que, comme le dit Léonard Cohen, à travers les failles on peut parfois apercevoir la lumière.

Pour réussir un poulet : une production du Théâtre de la Manufacture, à La Licorne jusqu'au 1ier novembre 2014.

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