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Peter et Alice: des vies sous le signe de la fiction

C'est une très bonne pièce que nous propose là le. Qui aborde avec doigté et intelligence la possibilité que les relations entre ces adultes et ces enfants aient été teintées de motivations pas toujours très nettes.
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Peter et Alice traite du destin de ceux qui, bien malgré eux, ont été des muses. Dans une excellente traduction de Maryse Warda, à qui l'on doit aussi la traduction d'une autre pièce de John Logan, Rouge, que j'avais beaucoup aimée, Peter et Alice réunit Peter Llewelyn Davies, l'inspiration de James Barrie pour Peter Pan et Alice Liddle Hargreaves qui, sous la plume de Lewis Carroll deviendra Alice au pays des merveilles. Cela se passe en 1932. Peter est dans la trentaine, Alice a 80 ans.

La tragédie, car c'en est une, réside dans le fait qu'ils n'ont rien fait, rien accompli, rien demandé pour atteindre cette notoriété qui va être leur lot pour toute leur vie. Ils n'ont été que des enfants, charmants certes, mais ni plus ni moins que bien d'autres. Sauf qu'ils évoluaient autour de deux écrivains à qui ils ont servi d'inspiration.

C'est une très bonne pièce que nous propose là le théâtre Jean-Duceppe. Qui aborde avec doigté et intelligence la possibilité que les relations entre ces adultes et ces enfants aient été teintées de motivations pas toujours très nettes. La mise en scène d'Hugo Bélanger utilise avec bonheur le très beau décor de Geneviève Lizotte qui confère une atmosphère magique à l'action grâce à des miroirs qui réfléchissent, mais qu'on peut aussi traverser. (Fine allusion à Through the looking-glass, peut-être...) Vont surgir : Lewis Carroll, James Barrie, la petite Alice et Peter Pan ainsi que d'autres personnages marquants de la vie d'Alice et de Peter. Il y aura des justifications, des tentatives d'explication, des mises au point, mais rien qui ne peut réparer le dommage qui a été fait. Alice et Peter revivent leur enfance par procuration, car en fait elle ne leur appartient pas, devenue mythique à cause de l'imaginaire des écrivains. Alice n'est jamais tombée dans le terrier du lapin blanc, Peter n'a jamais été capable de voler, mais allez donc expliquer cela à un public qui vous identifie à jamais avec des personnages trouvés dans des livres devenus des classiques de la littérature pour enfants.

Béatrice Picard est sensationnelle en Alice. Elle joue la vieille dame revêche tout comme la petite fille éblouie par les histoires du pasteur Dodgson et qui lui demande de les écrire pour elle. Félix Beaulieu-Duchesneau incarne un Lewis Carroll bégayant et manifestement bien mal adapté au côté pratique de l'existence. Marie-Ève Milot personnifie une délicieuse Alice familière de ce pays des merveilles, Sébastien René est un très convaincant et amusant Peter Pan et Jean-Guy Viau endosse James Barrie chez qui l'on sent le désir de contrôler, de s'approprier les destins de ces cinq petits garçons Davies, dont Peter, qu'il a pris sous son aile après la mort de leurs parents. De son côté, Éric Paulhus, qui joue trois rôles, les rend parfaitement bien. Là où le bât blesse, c'est avec Carl Poliquin. Le rôle de Peter Davies est de la plus haute importance, et je dois dire à regret que le comédien qui l'incarne n'est pas du tout dans le coup. Je ne sais pas s'il faut attribuer cela à la nervosité du soir de la première, mais Carl Poliquin m'a semblé complètement déconnecté émotivement. Il débitait son texte sans conviction aucune, avec une diction parfois relâchée, l'air de vouloir être ailleurs, incapable de rendre l'homme brisé qu'est devenu Peter Davies et je ne pouvais m'empêcher de plaindre Béatrice Picard qui n'avait pas en face d'elle le protagoniste qu'elle aurait mérité.

Le texte de la pièce est sans équivoque : Alice et Peter avaient la très nette impression qu'on avait pillé leur âme et leur essence et que les ombres de ces écrivains ne leur avaient laissé aucun repos. Mais ces personnages de fiction, inspirés par la vie, sont aussi nés de la tristesse et de la solitude vécues par Lewis Carroll et James Barrie. Deux hommes qui ont rêvé une enfance idéale où on peut prendre le thé avec un loir et un chapelier fou et où on ne grandit jamais. Et où bien sûr, on est immortel.

Peter et Alice, au théâtre Jean-Duceppe jusqu'au 18 octobre 2014

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<em>Peter et Alice</em>

Saison 2014-2015 du Théâtre Jean Duceppe

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