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«Les ossements de Connemara»: une fascinante pièce

«Les ossements de Connemara» est une savoureuse et terrible comédie humaine pleine de rebondissements, où l'amour qui pourrait exister entre les êtres est soigneusement dissimulé par l'urgence de la survie.
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C'est quelque chose d'assez extraordinaire qui se passe sur la scène du Théâtre Prospero ces jours-ci : la production des Ossements de Connemara de l'auteur irlandais Martin McDonagh, dans une mise en scène de Sébastien Gauthier, une pièce formidable rendue par des comédiens tout aussi formidables qui laisse le spectateur hors d'haleine, partagé entre le rire et l'ébahissement.

J'ai vu L'ouest solitaire du même auteur il y a quelques années et j'avais beaucoup, beaucoup aimé. On retrouve chez ce dramaturge irlandais un nombre considérable d'affinités avec notre Québec. Bon, peut-être un Québec d'il y a un petit moment, une société avec une religion catholique et un prêtre (qui s'appelle Welsh ou Walsh, on n'est pas sûr) dont on parle abondamment, avec un portrait du Sacré-Cœur occupant la place d'honneur au-dessus de la cheminée et le bingo comme principal passe-temps pour les vieilles dames. Et puisque ce sont des Irlandais, il y a bien évidemment une omniprésence de l'alcool (conduire après avoir bu est normal puisque tout le monde le fait et que tout le monde a au moins tué un chien ainsi), et la truculence à laquelle on est en droit de s'attendre de la part des protagonistes.

Mais surtout, surtout, il y a une histoire. Mick (Hugo Giroux) travaille au cimetière de la paroisse à déterrer les cadavres qui se trouvent là depuis un certain temps afin de faire de la place. Sept ans auparavant, sa femme est morte dans un accident et tout le monde se demande s'il ne l'a pas aidée un peu à mourir. Dans le décor de Jessica Hart très réussi et d'un réalisme cru, avec d'un côté une petite colline de terre figurant le cimetière et de l'autre la cuisine de Mick avec le fameux portrait du Sacré-Cœur, la grand-mère indigne, capricieuse et maniaque, Mary (Danielle Proulx), le policier Thomas (Pierre-Luc Brillant), inepte et inapte et qui rêve de devenir un émule de Colombo, et Martin (Marc-André Thibault) neveu, frère et petit-fils de tout ce beau monde s'agitent, palabrent, supposent, boivent et composent un portrait terriblement vivant et complètement irrésistible de cette petite communauté.

Si tous les comédiens sont parfaits là-dedans, je décerne cependant la palme au personnage de Martin. C'est un rôle en or et Marc-André Thibault le rend avec une texture majuscule, faisant de ce Martin qui, au premier abord, semble donner dans un consternant premier degré, un personnage aux multiples facettes qui ne cesse de nous surprendre. Martin est un jeune adulte menteur, délinquant, un crétin des Alpes, nono, crédule, cruel, d'une naïveté sans borne, branleux, qui frôle la débilité mentale et pourtant...il est incroyablement attachant. Le regard qu'il pose sur les choses et les gens, les répliques qui sortent de sa bouche représentent le plus complet condensé d'humanité qu'il m'ait été donnée de voir au théâtre depuis longtemps. Martin est très divertissant, mais c'est aussi celui qui s'approche le plus d'une certaine lucidité face à l'univers où il vit. Il est irrésistible dans cette inconscience qui lui fait poser toutes les questions qu'il faut, dans cette absence de mémoire et dans cette férocité idiote où transparaît sa vulnérabilité.

McDonagh est extraordinairement habile en nous racontant cette histoire. Les excès de toutes sortes, les anecdotes qui sont tellement absurdes qu'elles doivent être vraies, les dialogues d'une véracité à toute épreuve font des Ossements de Connemara une pièce où on rit beaucoup, mais d'où ressort un sentiment de profond découragement devant le cul-de-sac que sont ces vies. C'est aussi Marc-André Thibault qui a traduit le texte et il en fait une adaptation remarquable avec les fautes de grammaire, une langue imagée, proche de nous que les comédiens s'approprient complètement.

Et il y a quelque chose de shakespearien dans cette histoire, dans ces personnages aux prises avec des destins qu'ils n'ont pas choisis et même, je crois, une référence à peine voilée à Hamlet avec tous ces crânes que Mick rapporte chez-lui pour leur faire subir un sort peu enviable. Les ossements de Connemara est une savoureuse et terrible comédie humaine pleine de rebondissements, où l'amour qui pourrait exister entre les êtres est soigneusement dissimulé par l'urgence de la survie. Et on quitte cette pièce de théâtre avec nostalgie parce qu'on ne quitte pas une histoire, mais un monde.

Les ossements de Connemara : Une production du Théâtre Bistouri, au Prospero jusqu'au 26 novembre 2016.

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