Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

«Les diablogues»: complètement irrésistible

, c'est la liberté de l'expression et la réinterprétation de concepts que nous tenons pour acquis.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Le premier dialogue des Diablogues, cette pièce du dramaturge français Roland Dubillard mise en scène par Denis Marleau au Rideau vert, nous plonge dans un univers exquis avec le décor ravissant d'un salon bourgeois où deux hommes discutent de Beethoven et de sa surdité. Les propos des deux hommes n'ont ni queue ni tête; c'est très drôle et le ton est ainsi donné à ce qui va suivre.

Deux femmes vont parler du fait que l'une ressent des choses qui ne lui font ressentir rien du tout (elles en déduisent qu'il s'agit tout simplement de l'existence...), deux autres comparses contemplent un tableau représentant la femme de l'un, et déduisent que ce ne peut pas être elle puisqu'elle est en Hollande... une conversation dérive parce que l'un des protagonistes a demandé innocemment à l'autre s'il était allé aux États-Unis... un homme doit s'acheter des lunettes parce qu'il est myope et s'inquiète de savoir s'il y a des cyclopes dans sa famille... on assiste à une discussion sur un compte-goutte de Besançon et sur le fait qu'il ne compte pas vraiment les gouttes et que donc il n'existe pas... une dame se prend pour une pendule et rend visite à un psychanalyste spécialisé justement dans la schizophrénie et dans les pendules... il y aura aussi une réflexion sur les similitudes (ou pas) du cheval et de l'hippocampe, sur les racines de la haine pour la pluie que ressent un homme et le tout se termine sur un match de ping pong comme vous n'en avez jamais vu.

Ces conversations bizarres et ineptes, sont d'une drôlerie ensorcelante. Elles débusquent l'inutilité des choses et, pourquoi pas, des gens aussi. Elles dérapent souvent vers une logique bien à elles, comme si Alice au pays des merveilles avait envahi notre quotidien et que prendre un mot pour un autre, un concept pour un autre (explorations chères à Jean Tardieu et aux représentants du Théâtre de l'absurde) se devrait d'être la norme dans un univers où on a trop souvent peur de sortir du cadre des conventions qui nous sont imposées. Inutile de dire que c'est singulièrement rafraîchissant.

Ressortent de tout cela des préoccupations pour différentes parties du corps, le nez, les yeux, le genou, un corps qui ne nous appartient plus, qui peut se transformer, tiens donc, en pendule. Et la dérision devant certains usages ou certaines expressions pour mieux en démonter les mécanismes et en faire ressortir l'absence de sens. Nous mettant ainsi au défi de trouver ce sens ailleurs, de refuser les contraintes et de ne pas craindre un peu de surréalisme ou beaucoup d'absurdité.

Les comédiens, en plus de s'amuser visiblement comme des petits fous, sont parfaits et adorables. Carl Béchard a trouvé ici le médium idéal pour le style de comédie à la fois physique et subtile où il excelle. Et avec le délicieux Bruno Marcil, il en résulte un duo du plus haut comique. Sylvie Léonard est très différente et complètement à l'aise dans un registre où je ne l'ai jamais vue auparavant. Olivier Morin véhicule parfaitement l'illusion qu'il est plus âgé qu'il ne l'est en réalité et se révèle hilarant dans ses différentes incarnations, de même que Bernard Meney et Isabeau Blanche, parfaitement à la hauteur.

Le décor de Stéphanie Jasmin est absolument fabuleux. De véritables meubles s'intègrent à des projections en trompe-l'œil, où tout est blanc ou grège, ce qui donne un effet de sérénité surprenant pour encadrer tous ces propos qui ne le sont pas moins. Techniquement impeccable, la production est appuyée et magnifiée par la mise en scène élégante de Denis Marleau où rien n'est inutile, où il joue sur une physicalité décalée, un peu étrange, pour mettre en exergue le langage sinueux de Roland Dubillard.

Les diablogues, c'est la liberté de l'expression et la réinterprétation de concepts que nous tenons pour acquis. Trop souvent on s'enivre de mots afin de mieux oublier le tragique de notre condition et la brutalité du monde qui nous entoure. Cette pièce nous le rappelle. Gentiment. Avec un sourire en coin. Et le résultat est franchement réussi.

Les diablogues , une coproduction Ubu, au Rideau vert jusqu'au 23 avril 2016.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Samedi 26 mars à 19:30

Journée mondiale du théâtre 2016

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.