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«Le Royaume des animaux»: le paradoxe identitaire du comédien

Fable et parabole sur l'accession au pouvoir, «Le Royaume des animaux» n'est pas sans rappeler sous certains aspectsou. Mais le thème principal demeure la dureté du métier de comédien et le questionnement sur l'identité.
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Qui dira l'ampleur du travail du comédien de théâtre dont le corps, les sentiments, la voix, les gestes, le passé, tout l'être contribuent au rôle qu'il investit? Qui peut comprendre la souffrance, le fardeau émotif, l'insécurité financière, le doute constant, la féroce compétition et le danger que représente l'identification à un personnage, à un rôle dans lequel on risque de se perdre? Le royaume des animaux, la très bonne pièce du dramaturge allemand Roland Schimmelpfennig présentée au Théâtre de Quat'Sous, s'intéresse à ces questions. Et il fallait Angela Konrad pour se l'approprier, la mettre dans un contexte proche de nous et en faire le spectacle remarquable que j'ai vu.

Angela Konrad a traduit la pièce avec Dominique Quesnel en plus de la mettre en scène. Les comédiens accomplissent avec aisance l'aller-retour entre la langue familière qu'ils pratiquent entre eux et le discours littéraire de la pièce dans laquelle ils jouent, ce fameux Royaume des animaux, fable et parabole sur l'accession au pouvoir qui n'est pas sans rappeler sous certains aspects Le roi lion ou Le livre de la jungle. Mais le thème principal demeure la dureté de ce métier et le questionnement sur l'identité. Qui suis-je si je suis constamment un autre? Est-ce que j'existe vraiment lorsque j'incarne une suite d'avatars? Est-ce que je perds mon temps et mon âme à personnifier depuis six ans un zèbre alors qu'une prochaine production me demanderait d'être une bouteille de ketchup ou un œuf au miroir?

C'est ce dont parlent le zèbre (Philippe Cousineau), le lion (Gaétan Nadeau), l'antilope (Marie-Laurence Moreau), la genette (Lise Roy) et le marabout (Alain Fournier) lorsqu'ils se retrouvent ensemble avant ou après le spectacle qui leur permet de gagner leur vie. Ils se questionnent sur leur existence même, eux que les administrateurs du théâtre ne reconnaissent même pas lorsqu'ils les croisent dans les corridors. Et ils sont tous très inquiets, sachant que Le Royaume des animaux tire à sa fin et qu'une autre production prendra la place. Cette production sera dirigée par un metteur en scène disons d'avant-garde (Eric Bernier) qui se retrouve un soir chez Frank, le zèbre. Cette rencontre aura des conséquences pour Frank qui, disons-le, saura tirer son épingle du jeu. Aux dépens, bien entendu, d'une certaine solidarité et empruntant les voies d'une morale élastique mise au service d'un avancement tout personnel.

Les comédiens, tous admirablement dirigés, plongent très profondément dans cet univers où l'importance demeure d'être reconnu sur la rue. Ce n'est pas leur cas, affublés qu'ils sont de costumes représentant les divers animaux de ce Royaume, des créations de Linda Brunelle qui, avec les maquillages et coiffures saisissants d'Angelo Barsetti, nous font comprendre la fatigue et les douleurs physiques qu'ils imposent à leur corps six, sept ou huit fois par semaine. La scène, toute bleue et dépouillée, se transforme métaphoriquement grâce aux éclairages de Cédric Delorme-Bouchard, donnant parfois l'impression de centaines d'animaux fuyant l'incendie de la steppe, ou coupant le corps des comédiens en deux horizontalement pour mieux marquer leur altérité et la fissure avec laquelle ils vivent. La musique de Wagner accompagne parfaitement toute cette violence. Le royaume des animaux a des exigences pour ses spectateurs. À côté de moi, un jeune homme n'a manifestement pas apprécié et a plus ou moins dormi pendant la représentation. Mais l'investissement qui nous est demandé est récompensé, croyez-moi. C'est du théâtre hautement intelligent et qui fait appel à notre propre intelligence.

Parfois, en rentrant chez-moi, après avoir vu quelque chose de particulièrement exigeant pour les comédiens, je me dis qu'ils doivent revenir chez eux épuisés et que, contrairement à ce que l'on voit dans des films comme par exemple All about Eve, ils ne doivent certainement pas aller souper dans un resto branché et boire du champagne. Ils doivent aller se coucher et se reposer, continuer leur vie d'ascèse afin de pouvoir exercer ce métier de fou. Bien sûr qu'ils ont choisi cela, mais ce doit être à la fois doux et cruel. Et en sortant du Quat'Sous, j'ai eu la conviction que c'était plus cruel que doux.

Le royaume des animaux : Une coproduction du Théâtre de Quat'Sous et de La Fabrik, au Théâtre de Quat'Sous jusqu'au 1er octobre 2016.

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