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Plaisir intellectuel et bonheurs sensuels

Le théâtre inspiré par l'Histoire est merveilleux en même temps que consternant: on se rend bien compte que rien n'a vraiment changé, que les méthodes retorses et les discours mensongers fonctionnent de la même manière aujourd'hui qu'il y a 300 ans et que dans la vie il y a des engagements que l'on prend et qu'on a aucunement l'intention de tenir.
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Courtoisie

Il est rare de voir une pièce de théâtre aussi chargée de signification, qui est une leçon de sciences politiques en même temps qu'une somptueuse démonstration de tout ce que l'esthétisme peut nous apporter. Le diable rouge, présenté au théâtre Jean-Duceppe dans une mise en scène de Serge Denoncourt est tout cela et plus encore: un immense plaisir intellectuel et un véritable bonheur pour tous les sens.

C'est l'histoire de la fin de parcours du Cardinal Mazarin et de sa mainmise sur le royaume de France. Successeur de Richelieu, ministre plénipotentiaire au 17ème siècle sous la régence d'Anne d'Autriche, puis jusqu'à la majorité de Louis XIV, Mazarin a décidé d'une grande partie du destin politique de l'Europe en plus d'amasser une fortune considérable et d'asseoir son influence en privilégiant ses amis et sa famille. C'était un homme remarquable à tous les points de vue, issu d'une obscure famille italienne, parti de rien et qui parvint à des sommets de pouvoir, d'influence et d'argent. Et qui a vécu toute sa vie dans la crainte d'être oublié après sa mort.

Crédit photo: François Brunelle

Michel Dumont nous offre un magnifique Mazarin. Si je ne l'avais pas vu jouer Hemingway, un rôle où il a aussi excellé, je dirais que c'est là la composition de sa vie, mais je suis sûre qu'il va encore nous étonner avec d'autres personnages. Ce Mazarin ne se peut plus d'être actuel : il avoue dans un même souffle que les dirigeants de l'état sont des fripons, et que si les coffres du royaume sont vides, il faut taxer ceux qui ne sont ni riches, ni pauvres, ceux qui aspirent à la richesse et ont peur de sombrer dans la pauvreté...

Toutes ses conversations avec Colbert sont des leçons de politique et de manipulation dignes de Machiavel. Sa relation avec Anne d'Autriche, incarnée par une Monique Miller altière, est marquée par le discours politique mais est aussi teintée d'ambiguïté, tout comme demeure ambigüe la question de la paternité de Louis XIV...

Son rapport avec ce Louis XIV jeune et fougueux (François-Xavier Dufour, mémorable) est empreint de paternalisme et de tendresse mais aussi d'une certaine dureté afin de faire comprendre au jeune monarque toutes les conséquences de ses décisions. Et les liens qui l'unissent à sa nièce Marie Mancini, l'objet de l'amour du jeune roi, (Magalie Lépine-Blondeau, attachante et vraie) sont caractérisés par une totale cruauté. L'anecdote historique est réelle: Louis XIV aurait voulu épouser Marie Mancini dont il était fou, mais la raison d'état l'a forcé à un mariage de raison avec Marie-Thérèse d'Autriche, l'infante d'Espagne, afin de mettre fin à 23 ans de guerre entre les deux pays.

Il y des accents du théâtre racinien chez Antoine Rault: c'est la raison d'état qui prime sur tout, un roi ne peut laisser cours à ses sentiments, il se sacrifie ou sacrifie les êtres autour de lui, s'il le faut, dans l'intérêt du royaume. Chez Racine, la beauté de l'alexandrin provoque l'émotion, chez Rault ce sont les sentiments eux-mêmes et il y a un moment vraiment touchant dans cette pièce, quelque chose que Racine, obnubilé par la noblesse et la grandeur de Phèdre et de Bérénice, n'aurait jamais osé suggérer. J'ai pensé qu'Antoine Rault avait humanisé tous ces personnages que nous avons peut-être tendance à figer dans une posture implacable. Il nous rappelle tout simplement qu'il s'agissait d'êtres humains de chair et de cœur, tout comme nous.

Le décor de cette pièce créé par Guillaume Lord est une splendeur, sobre et riche à la fois, il évoque avec peu d'accessoires le bureau de Mazarin, les jardins du Louvre ou le château de Vincennes. Le casting est impeccable, tout le monde est juste et s'approprie ce beau texte avec conviction. Serge Denoncourt a accompli un travail remarquable, c'est une pièce à voir.

Mazarin na rien à craindre, on se souvient encore de lui s'incarnant en diable rouge. Et les ficelles politiques qu'il a manipulées sont susceptibles d'en inspirer plus d'un encore de nos jours. Le théâtre inspiré par l'Histoire est merveilleux en même temps que consternant: on se rend bien compte que rien n'a vraiment changé, que les méthodes retorses et les discours mensongers fonctionnent de la même manière aujourd'hui qu'il y a 300 ans et que dans la vie il y a des engagements que l'on prend et qu'on a aucunement l'intention de tenir.

Le diable rouge est présenté au Théâtre Jean-Duceppe jusqu'au 18 mai 2013

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