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La ménagerie de verre: toute la fragilité du monde

La traduction de René Gingras de la pièce de Tennessee Williams est d'une grande justesse. On reste dans l'esprit du sud, mais avec une langue adaptée à la modernité et avec un texte qui est parfaitement maîtrisé par les comédiens.
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J'ai vu, jadis, La ménagerie de verre, le film qui date de 1950 avec Kirk Douglas dans le rôle de Jim O'Connor. Le souvenir le plus frappant que j'en ai retenu est cette ménagerie, cette collection de petits animaux en verre que Laura garde précieusement et qui m'avait fait rêver. Depuis, soit la plus grande partie de ma vie, lorsque je vois de ces bibelots délicats en verre, c'est le texte de Tennessee Williams qui surgit dans ma mémoire. Et quelle bonne idée que de reprendre la pièce. Ce fut une soirée parfaite : un texte de grande qualité, des comédiens investis, une mise en scène de Yan Rompré pleine de tendresse et de sensibilité. Tout ce dont on a besoin dans la vie.

La traduction de René Gingras est d'une grande justesse. On reste dans l'esprit du sud, mais avec une langue adaptée à la modernité et avec un texte qui est parfaitement maîtrisé par les comédiens. Rappelons que La ménagerie de verre est en grande partie autobiographique et que c'est avec cette pièce que Tennessee Williams a connu la renommée. On comprend alors pourquoi le thème et les dialogues sonnent si juste.

Crédit photo: Julie Artacho

Amanda, la mère, incarne la quintessence de la Southern Belle avec ce que cela comporte d'excès, de névrose et de rêves brisés. Cette mère, et nous en connaissons tous des comme ça, s'acharne sur ses enfants et les manipule émotivement afin qu'ils ne connaissent pas la même vie qu'elle, remplie d'espoirs déçus, d'un mari qui l'a abandonnée et de la pauvreté qui est son lot quotidien. Dorothée Berryman est lumineuse dans ce rôle. Elle assume complètement l'extravagance et la fragilité du personnage dont la seule façon d'approcher le monde est de s'en sentir exclue. Enrica Boucher est Laura, la fille boiteuse qui rêve et s'amuse des heures durant avec ses petits animaux de verre afin de ne pas faire face à la vie. Philippe Cousineau joue le rôle de Tom, le fils et le frère, qui travaille dans un entrepôt et fait vivre toute la famille. Prétextant des sorties au cinéma, tous les soirs il va dans les bars et boit immodérément. Il lit D.H. Lawrence, à la grande horreur de sa mère, et ne rêve que de s'enfuir de ce huis clos étouffant, en dépit de l'affection qu'il porte à sa sœur. Amanda, qui veut absolument caser Laura en la mariant, incite Tom à inviter un collègue de travail. Et c'est la venue de Jim O'Connor qui va modifier la dynamique de ce trio quasi infernal.

Le décor est réaliste et plausible, mais minimaliste. La photo du père enfui sur le mur fait en sorte que les personnages et les spectateurs n'oublient jamais qui est l'artisan du malheur de cette famille. Conjuguons cela avec la Dépression des années 30 et la crainte de l'échec qui hante Amanda, Laura et Tom.

Mais ils sont tous les trois si profondément humains que leur désarroi et leurs espoirs nous touchent et nous étreignent le cœur. Et dans la petite salle intime du Prospero, la proximité avec les comédiens nous fait pénétrer et ressentir complètement cet univers où il ne semble pas y avoir d'issue possible.

Tennessee Williams, à qui on demandait pourquoi un homme boit, répondit : «Parce qu'il a peur et parce qu'il ne veut pas voir la vérité en face.» C'est le cas pour Tom dans la pièce. Pour Amanda, sa béquille sont ses rêves enfuis et pour Laura, l'imaginaire représenté par une collection de bibelots. Ces échappatoires gardent peut-être au loin les démons qui les hantent, mais ils ne peuvent faire taire les fantômes du passé qui vivent en chacun d'eux et qui se nourrissent de leurs faiblesses et de leurs craintes.

La ménagerie de verre, une production du TG_2, est présentée au Théâtre Prospero jusqu'au 1er février 2014.

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Avril 2018

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