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La magie de l'art et le pouvoir des mots

La famille est l'un des sujets les plus exploités dans le domaine de la fiction parce qu'il y a là le terreau le plus riche qui soit. Trop souvent cela donne des histoires qui peinent à s'extirper de la banalité du quotidien. À d'autres moments une touche de génie, comme celle de Michel-Marc Bouchard, nous entraîne dans tellement plus.
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Duceppe

J'avoue, à ma courte honte, n'avoir jamais vu Les muses orphelines de Michel-Marc Bouchard. La pièce a été présentée pour la première fois à la fin des années 80, et je devais être trop occupée à faire et à élever des bébés ce qui peut, comme chacun sait, vous tenir singulièrement absorbé. Maintenant que les enfants sont grands, et se prennent à manger tout seuls, je peux enfin pallier les immenses trous de ma culture, comme par exemple voir enfin le film Pulp Fiction, lire les romans de Bret Easton Ellis et aller voir Les muses orphelines au Théâtre Jean-Duceppe. La vie est bien faite quand même.

J'ai vu déjà, de Michel-Marc Bouchard,L'histoire de l'oie (avec les enfants justement) et, dernièrement, le remarquable Christine, la reine-garçon. Michel-Marc Bouchard est un dramaturge extrêmement doué, il est capable de maîtriser plusieurs registres dans ses différentes pièces tout en maniant la langue de façon à consolider l'univers dans lequel il nous entraîne: que ce soit le langage de l'enfant dans L'histoire de l'oie, la langue classique digne du 18e siècle de Christine, la reine-garçon, ou le langage plus simple et plus rugueux des Muses orphelines.

Les Muses est une histoire de famille dysfonctionnelle qui se passe dans un bled perdu du Lac-Saint-Jean, en 1965. La mère a abandonné ses quatre enfants, non sans avoir auparavant pris un amant, ce qui ne se fait tout simplement pas à l'époque. Les enfants ont grandi et se sont réfugiés chacun dans un cocon afin de ne pas trop souffrir: Martine (Nathalie Mallette) dans l'armée pour vivre son lesbianisme, Catherine (Macha Limonchik) dans une vie de discipline et de rigidité et Luc (Maxime Denommée) dans un doux délire d'artiste qui se travestit avec les vêtements laissés par sa mère. Il y a Isabelle (Léane Labrèche-Dor), la petite dernière, qui semble un peu attardée, mais qui est la détentrice en fait de toute la lucidité qui a été dévolue à cette famille. Mais il va de soi que ces quatre personnages sont complètement aliénés de leur milieu où ils sont perçus comme des olibrius en plus de devoir assumer l'héritage d'excentricité que leur mère a laissé derrière elle. Tout ça enrobé d'un immense non-dit parce que, bien sûr, on ne parle pas de ces choses, n'est-ce pas?

Il s'agit là d'une excellente production et j'incite tous ceux qui, comme moi, ont raté Les muses orphelines lors de précédentes incarnations, à aller voir ce classique de notre théâtre. La distribution est impeccable et je tiens à souligner le jeu de Léane Labrèche-Dor qui en met juste assez dans ce personnage de fille un peu débile, mais au fond tellement observatrice, dans la série elle est folle, mais pas si folle que ça. Cela doit tenir entre autres à la direction de comédiens : Martine Beaulne a épuré ce spectacle qui, d'ailleurs, parle sans avoir besoin d'artifices. Dans un décor dépouillé, mais très beau qui évoque ces maisons aux murs faits de lattes de bois verticales, les personnages prennent vie et nous interpellent grâce à la très grande qualité et à la construction impeccable de ce texte.

La famille est l'un des sujets les plus exploités dans le domaine de la fiction parce qu'il y a là le terreau le plus riche qui soit. Trop souvent cela donne des histoires qui peinent à s'extirper de la banalité du quotidien. À d'autres moments une touche de génie, comme celle de Michel-Marc Bouchard, nous entraîne dans tellement plus. C'est là la magie de l'art, nous faire comprendre la souffrance et la peine, l'absence et le désarroi ressentis par des étrangers et ce grâce au pouvoir des mots.

Les muses orphelines est présentée au Théâtre Jean-Duceppe jusqu'au 30 mars 2013.

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