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The Dragonfly of Chicoutimi ou la libellule de Saguenay

est une surimpression entre passé et présent qui laisse aux fantômes l'opportunité de revenir en force. Et à la mémoire, l'occasion, comme une pierre lancée par un enfant, de faire des ronds dans l'eau.
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J'ai lu récemment le roman L'Orangeraie de Larry Tremblay (c'est très bon, soit dit en passant) où on retrouve, comme dans sa pièce The Dragonfly of Chicoutimi , les thèmes de l'enfance et du double, où la mère exerce une considérable influence, pas toujours bienveillante d'ailleurs, et où de terribles secrets composent la géographie subjective du personnage principal en quête d'identité.

Je n'avais jamais vu cette pièce qui a été écrite il y a plus de 20 ans, texte qui s'inscrit définitivement dans le sillage lumineux de nos classiques contemporains. Tout d'abord destinée à un seul protagoniste, le metteur en scène Claude Poissant, toujours aussi génial, l'a transformée en un chœur à cinq voix qui prend son envol et ne nous lâche pas une seconde. Je parlais des thèmes un peu plus haut, ce qui est le plus frappant dans The Dragonfly of Chicoutimi c'est le langage utilisé. Gaston Talbot, diagnostiqué aphasique, se réveille un matin et ne parle plus qu'anglais. Un anglais à la syntaxe française qui met encore davantage en relief l'aliénation dont il est victime. C'est dans cette langue bâtarde qu'il va raconter certains événements de son enfance, avec minutie, de façon pressante, entremêlant le mensonge à des demi-vérités, en avançant d'un pas et en reculant de deux, laissant le spectateur désorienté, mais terriblement avide de savoir ce qui a pu véritablement se passer. Mais le saura-t-on jamais?

Crédit photo : Danny Taillon

Les saumons retournent à l'endroit où ils ont vu le jour. De la même façon Gaston Talbot, incarné par cinq excellents comédiens, revient sur les traces de sa mémoire pour rendre compte d'un événement qui s'est produit bien des années auparavant tout près de chez lui, à la Rivière-aux-Roches à Chicoutimi. Victime ou bourreau, Gaston ne sait pas s'il est naufragé ou s'il a réussi à garder sa tête hors de l'eau. L'histoire qu'il raconte est volontairement floue, mais elle est aussi remarquable pas sa densité et son urgence lorsqu'elle se penche sur la cruauté du monde.

La mise en scène est tout aussi remarquable. Claude Poissant a inséré les 5 Gaston Talbot dans des boîtes représentant divers lieux : une cuisine, un chalet, une cellule d'hôpital psychiatrique...Chacun leur tour ou parlant d'une même voix, les comédiens sont appuyés par des sons, de la musique et des éclairages qui viennent magnifier leurs propos et amplifier le sentiment d'inquiétude et d'étrangeté qui émane de ce texte. La métaphore de la libellule survient à point : clouée au mur par l'aiguille de l'oncle entomologiste amateur, elle personnifie le cul-de-sac dans lequel Gaston se retrouve épinglé, sans consolation ni rédemption possible.

Chicoutimi, d'où je suis originaire, signifie en montagnais Jusqu'où c'est profond. Larry Tremblay fait plusieurs fois allusion à cette toponymie dans sa pièce. Car les profondeurs, maritimes ou autres, dissimulent souvent des monstres. Avec lesquels il faut compter. Et au lendemain des élections provinciales, on peut très bien faire une lecture politique du Dragonfly of Chicoutimi et trouver matière à réflexion sur notre place et notre avenir dans cette terre d'Amérique où aucun de nos dirigeants ne semble se préoccuper de la qualité de la langue que nous parlons et où nous nous laissons trop souvent confondre par une pensée étrangère.

The Dragonfly of Chicoutimi est une surimpression entre passé et présent qui laisse aux fantômes l'opportunité de revenir en force. Et à la mémoire, l'occasion, comme une pierre lancée par un enfant, de faire des ronds dans l'eau. Dans l'eau de la Rivière-aux-Roches qui ne coulera plus jamais de façon aussi limpide.

The Dragonfly of Chicoutimi, une production du Théâtre PÀP, est présenté à l'Espace Go jusqu'au 19 avril 2014

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