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La démesure d'une 32A

J'ai été élevée avec Clémence Desrochers. Dans le sens où ses monologues et chansons ont scandé mon enfance et mon adolescence, dans la mesure où je savais par cœur l'histoire du petit saint italien Fra Gio Gio Fragetti, qui marchait trois milles chaque matin, bravant les tempêtes de neige sous le soleil brûlant d'Italie, pour se rendre à l'école. Et je m'identifiais terriblement à mademoiselle Bourbonnais, souffre-douleur de la religieuse qui racontait l'édifiante histoire aux petites filles qui mangeaient dans le réfectoire du couvent.
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J'ai été élevée avec Clémence Desrochers. Dans le sens où ses monologues et chansons ont scandé mon enfance et mon adolescence, dans la mesure où je savais par cœur l'histoire du petit saint italien Fra Gio Gio Fragetti, qui marchait trois milles chaque matin, bravant les tempêtes de neige sous le soleil brûlant d'Italie, pour se rendre à l'école.

Et je m'identifiais terriblement à mademoiselle Bourbonnais, souffre-douleur de la religieuse qui racontait l'édifiante histoire aux petites filles qui mangeaient dans le réfectoire du couvent. Cette mademoiselle Bourbonnais qui, selon moi, faisait preuve d'un sain scepticisme face à la soi-disant vie exemplaire du petit Fra.

C'est donc le cœur plein de joie que je suis allée à l'Espace Go pour voir le spectacle où Pascale Montpetit revisite les textes et les chansons de Clémence. Je dirai tout de suite que les musiciens sont excellents, que la mise en scène de Brigitte Poupart et le dispositif scénique font preuve d'une grande originalité et d'une remarquable efficacité et que la voix d'Ariane Moffat ajoute une autre dimension et une modernité inattendue à des textes dont la principale caractéristique est la simplicité. C'est un spectacle qui fait du bien à l'âme et qui a aussi le mérite de nous tracer des portraits de femmes que nous avons tous connues mais qui commencent à se faire rares au XXIème siècle : la religieuse hargneuse et confite en dévotions, la travailleuse en usine, l'acheteuse, celle qui a fait un beau voyage dans les Europes. Ces types de femmes qui disparaissent à cause de l'accès à l'éducation et de la plus grande sophistication qui colore maintenant le monde où nous vivons. Il y a donc toute une galerie de ces personnages excentriques que Pascale Montpetit nous propose avec exactitude et sensibilité.

Clémence est bien la digne fille de son père, le poète Alfred Desrochers, ce « fils déchu d'une race surhumaine » qui se languit du « reste du rêve où tu fus immortel ». Mais là où le père pose un constat, lance un grand cri et souffre à travers des alexandrins souvent magnifiques, Clémence opte pour la rime facile, pour une candeur quasi-infantile, pour un humour à peine grinçant. C'est une observatrice qui ne va pas beaucoup plus loin que le premier degré. Elle le fait avec beaucoup de charme et de sympathie pour les personnages qu'elle nous dépeint. Mais cela s'arrête là. Mon éternel compagnon de la génération Y me faisait remarquer après la représentation qu'il avait bien aimé, mais que les thèmes abordés ne résonnaient pas avec lui, que cela représentait davantage pour lui la peinture d'une époque révolue, attachante certes, mais quasi-préhistorique. Et il ne croit pas que l'œuvre de Clémence se retrouve parmi nos classiques dans cinquante ou cent ans, comme le seront les Vigneault ou les Deschamps.

J'abonde dans le même sens. Il demeure que La démesure d'une 32A m'a fait passer de bien agréables moments et que j'aurai toujours beaucoup d'affection pour Clémence. Elle me fait rire ou sourire, elle me rappelle une époque révolue qui semble si lointaine maintenant qu'on a la possibilité d'en parler avec nostalgie. Et elle me fait comprendre qu'on peut très bien aimer des auteurs et des œuvres mêmes s'ils ne sont pas appelés à devenir immortels.

Crédit photo: Carl Lessard

La démesure d'une 32A est présenté à l'Espace Go jusqu'au 8 décembre 2012

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